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Environnement

Le Canada resserre ses frontières aquatiques

par Pascale Guéricolas

Article publié le 12/05/2008 Dernière mise à jour le 14/05/2008 à 12:08 TU

Le Kivalina lors de son passage à l'Inspection à l'écluse Saint-Martin(Photo : Pascale Guéricolas/ RFI)

Le Kivalina lors de son passage à l'Inspection à l'écluse Saint-Martin
(Photo : Pascale Guéricolas/ RFI)

Écluse Saint-Lambert à Montréal : le Kivalina, un navire chargé de sable à destination des Grands Lacs, attend la fin de son inspection par les autorités de la Voie maritime du Saint-Laurent. À chaque passage désormais, les responsables doivent prouver que les cales, servant à assurer le ballast du navire, contiennent une eau à bonne teneur en sel. C’est le moyen utilisé par les Américains et les Canadiens pour préserver les Grands Lacs de l’arrivée de nouvelles espèces envahissantes dommageables pour l’environnement.

Sur la carte du monde, le lac supérieur, le lac Huron, le lac Érié, le lac Michigan et le lac Ontario forment une tâche bleue bien distincte, entre les Etats-Unis et le Canada, avec  20% des eaux douces de la planète. Seulement voilà, il suffit de s’approcher un peu pour constater que  leur santé s’est considérablement dégradée. Le niveau de certains lacs a tellement  baissé que les quais de bateaux ne sont même plus à l’eau, et des espèces de poisson ont quasiment disparu de leur habitat. Si la pollution des usines et des agglomérations riveraines explique en partie ce phénomène, s’ajoute aussi la présence envahissante de quelque 185 espèces de mollusques ou de poissons venus  d’ailleurs, qui ont souvent voyagé à bord des cales des navires de transport .

Après avoir longtemps négligé ce problème, les autorités ont donc décidé d’agir pour limiter le plus possible l’arrivée des « aliens ». Une des méthodes consiste à contraindre les bateaux, empruntant la voie maritime du Saint-Laurent pour gagner les Grands Lacs, à rincer leurs citernes de ballast à l’eau salée, même lorsqu’elles sont vides, ce qui correspond à la majorité du trafic. On s’assure ainsi d’éliminer la majorité des micro-organismes vivant en eau douce. Bien évidemment, la même procédure s’applique pour les bâtiments voyageant  avec leurs cales pleines d’eau pour des questions de flottaison.

Côté canadien, les normes ont été fixées, il y a deux ans, mais la législation se fait encore attendre chez les Américains, car le texte attend encore l’approbation du congrès américain. Cela n’empêche pas les organismes responsables des deux côtés de la frontière d’agir de concert  pour  inspecter tous les navires, qu’ils se rendent dans les ports d’un pays ou de l’autre.

Dans les écluses ou à l’arrivée au port

Le réfractomètre enregistre le taux de sel contenu dans les cales du navire.(Photo : Pascale Guéricolas/ RFI)

Le réfractomètre enregistre le taux de sel contenu dans les cales du navire.
(Photo : Pascale Guéricolas/ RFI)

Désormais, les capitaines des navires océaniques montrent donc patte blanche à l’écluse ou auprès des inspecteurs des ports canadiens. « Ils doivent remplir un document précisant quel moment et à quel endroit ils ont procédé au remplissage ou au nettoyage de leurs cales », explique  Paul Gourdeau, vice-président aux opérations de Fednav, la compagnie maritime propriétaire du Kivalina. « C’est très important de respecter certaines règles, par exemple de procéder au rinçage durant la journée, car de nombreux organismes comme la crevette restent au fond pour se cacher du soleil, complète Laurent Jean, chargé des inspections à Transport Canada. En obligeant les navires trans-océaniques  à faire cette opération à 200 miles nautiques des côtes et à une bonne profondeur, on espère aussi éviter d’embarquer dans les cales les espèces des estuaires susceptibles de s’adapter en eau douce. »

L’inspection a lieu dans les écluses ou à l’arrivée dans certains ports du fleuve Saint-Laurent. Un fil de plomb est descendu systématiquement dans chaque cale pour ramener un échantillon dont on vérifie la teneur en sel. L’équipage -ou l’inspecteur- vérifie ensuite à l’aide de réfractomètres le degré de salinité dans les citernes de ballast. Si le pourcentage de sel n’est pas suffisant, certaines cales peuvent être scellées ou, dans les cas extrêmes, le navire pourrait être renvoyé en haute mer pour procéder à un rinçage adéquat. Ces mesures suffisent-elles à empêcher l’arrivée dans les Grands Lacs de nouvelles espèces?  « Le risque zéro n’existe pas dans ce domaine, reconnaît  Hugh Macisaac, un biologiste, à l’Université de Windsor en Ontario. Je pense cependant que ce la peut empêcher au moins 99% des nouvelles arrivées. »

La lamproie, le gobie et la moule zébrée …

Hugh Macisaac, spécialiste de la vie aquatique, assiste en effet depuis plusieurs années à une métamorphose de l’écosystème des Grands lacs sous la pression, par exemple, de la lamproie  qui a fait des ravages dans les bancs de truites grises, un poisson jadis très prisé des pêcheurs, ou encore du gobie à tâches  noires, amateur des œufs et des petits des poissons indigènes. Les pires dommages viennent cependant de la moule zébrée, arrivée de la mer Caspienne, en 1988. Ce mollusque se gave de phytoplancton, privant de nourriture ses voisins, tout en bouchant les conduites des municipalités puisant leur eau dans les lacs. Sans compter que sa capacité à concentrer les toxines empoisonne fréquemment les canards qui s’en nourrissent.

Certaines études évaluent à plusieurs centaines de millions de dollars le coût des dégâts reliés à la moule zébrée, sans parler des frais pour remettre les lacs en état. Du coup, des écologistes avaient suggéré que l’accès des Grands lacs soit désormais interdit aux navires océaniques pour prévenir d’autres invasions. Les mesures de contrôle renforcées adoptées par le Canada vont peut-être les convaincre de changer d’optique.