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Ethnologie

Qui a décrété que le Gaulois mangeait du sanglier ?

par Dominique Raizon

Article publié le 17/07/2008 Dernière mise à jour le 28/07/2008 à 10:30 TU

Paléoclimatologue de formation, Anne Flouest s’est initiée à l’archéologie culinaire expérimentale pour écrire un carnet de voyage gourmand au temps des Gaulois. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur l’expertise des archéobotanistes et des archéozoologues. Dans un ouvrage intitulé La cuisine gauloise continue (éditions Bibracte et Bleu autour), elle présente donc quelque trois cents recettes, probablement réalisables du temps des Gaulois, à la lumière des vestiges retrouvés à Bibracte ; une manière de battre en brèche les idées fausses nées du mythe Astérix le Gaulois, la bande dessinée de René Goscinny et Albert Uderzo.

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)


Les Gaulois avaient un usage limité de l’écriture et n’ont pas laissé à la postérité de traces très éloquentes ni sur leur manière de se nourrir ni sur le contenu de leurs écuelles. Alors, que pouvaient-ils bien manger ? Anne Flouest, co-auteur avec Jean-Paul Romac de La cuisine gauloise continue, a rassemblé, en un premier temps, tous les produits, les composants et les techniques connus à l’époque gauloise puis elle a rédigé la synthèse des connaissances archéologiques apportées par les ingrédients et par les ustensiles retrouvés lors des fouilles à Bibracte, dûment identifiés par les scientifiques. Ce faisant, elle est parvenue à la conclusion selon laquelle, grosso modo, les Gaulois mangeaient la même chose que les Français d’aujourd’hui, mais une cuisine moins riche -avec une palette de denrées considérablement réduite comparée à nos jours- et préparée de manière plus rustique. Que buvaient-ils ? Peu de vin car il était importé et coûtait cher, mais beaucoup de bières ou « cervoises », fabriquées à base de céréales.

Anne Flouest

Paléontologue, climatologue

« Les cervoises ce sont des bières sans houblon avec divers parfums qui servent un peu pour tout. »

écouter 01 min 40 sec

21/07/2008 par Alice Milot


Des cruches, des pelles à feu, des brochettes, des écumoires ...

Ensuite, a commencé l’aventure : Anne Flouest et Jean-Paul Romac, cuisinier, ont alors imaginé quelque 300 plats cuisinés réalisables il y a plus de deux mille ans ! Anne Flouest insiste : « les préparations correspondent à une sorte de reconstitution expérimentale à partir des objets trouvés tels que fours culinaires en terre cuite, chaudrons métalliques suspendus, écuelles en grès, et pots de terre ; cuillers en bois, louches ou puisoirs également, taillés dans de l’aulne, du hêtre, du bouleau, du pin et du pommier ou bien encore petits bouts de bois branchus pouvant servir de fouet, de batteurs ou d’agitateurs » .. Or, souligne Anne Flouest,  si « la présence du beurre n’est pas attestée, qui a battu de la crème fraîche sait bien, qu’il est plus facile d’obtenir du beurre que de la crème Chantilly. Pline l’évoque au Ier siècle  de notre ère comme une production gauloise. »

Anne Flouest

« Je pense que la cuisine gauloise continue aujourd'hui par exemple lorsque vous mangez un petit salé aux lentilles. »

écouter 02 min 50 sec

21/07/2008 par Alice Milot

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

L’absence de toute trace de poêle, en revanche, permet d’imaginer que les Gaulois ne pratiquaient pas la friture et de conclure que les crêpes ressemblaient davantage à des galettes cuites au four ! Par déduction également, deux données permettent de penser que Dumnorix (le « roi (rix) du monde »), célèbre chef éduen contemporain de Jules César, ne se nourrissait pas quotidiennement de sanglier mais bien plutôt de cochon : c’est, d’une part, l’absence de vaste forêt à une époque où une agglomération sertie de remparts était implantée sur le mont Beuvray et, d’autre part, les preuves archéologiques de l’élevage de cochons domestiques en vue de leur consommation mais aussi de bœufs, de moutons, de vaches, de poissons etc. qui laissent penser que les viandes très variées étaient appréciées.

Des débris végétaux aux formes des ustensiles

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

« A Bibracte, nous fouillons les poubelles des ménagères gauloises », s’amuse Anne Flouest, expliquant que « l’on peut détecter des inclusions de matière grasse dans les céramiques », par exemple, mais que « les os, les débris végétaux, même les plus ténus, renseignent également l’archéologue sur les pollens des plantes comestibles sauvages ou cultivées ». Elle s’est donc attachée « au contenu des écuelles [pour procéder à la reconstitution],, aux ingrédients, et aux ustensiles qui ont servi à les préparer car la forme inspire la fonction, puis au système économique et social qui ont permis la production des premiers et la fabrication des suivants».

Si, explique par ailleurs Anne Flouest dans son ouvrage, le gaulois est bien une langue identifiée comme appartenant au groupe des langues celtiques, les Gaulois répugnaient à écrire. Cependant quelques traces éparses ont permis de reconstituer quelques mots tels que ceruesa ou curmi (« bière »), bracis (« malt »), arinca (« blé »), iutto- (« bouillie »), pocto- (« bien cuit ») esox (« saumon »), bou- (« vache ») ou bien encore calaco (« coq ») et iaro- (« poule »)  qui finissait souvent dans la souxto- (« marmite ») … autant de renseignements qui viennent s’ajouter aux vestiges trouvés dans la mémoire du sol.

Des caves, des celliers et des greniers …

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

(Photo : Dominique Raizon/ RFI)

De la même manière, au gré de quelques mots identifiés et de vestiges tels que cages, pièges, nasses, bêches, paniers et vieilles toiles, pots à salaison, seaux et bonbonnes ventrues etc, les scientifiques ont pu reconstituer à la fois le mode d’approvisionnement, de conservation, de conditionnement et de stockage des provisions. En mettant à jour les fondations de maisons, ils ont pu également déterminer que les Gaulois ne vivaient pas dans des huttes fragiles mais qu’ils disposaient d’habitations équipées de cave, de celliers et de greniers surélevés : autant de bâtis qui permettaient de garder au frais ou au sec les provisions et les céréales (le blé, l’épeautre, l’orge etc…) utilisées pour la fabrication des bières et des pâtes, et pour stocker des viandes salées.

Au fil de l’entreprise, c’est l’histoire de la tradition culinaire européenne qui se dessine, où le lecteur apprend que « l’alimentation occidentale -à base de viande de porc, de bœuf et de mouton, de céréales et de légumineuses- est en effet le fruit d’une histoire plusieurs fois millénaire [et que] la révolution agraire gauloise de la fin de l’Age du Fer a compté dans cette histoire », souligne la chercheuse.

Pour en savoir plus :

- Lire La cuisine gauloise continue (éditions Bibracte et Bleu autour), de Anne Flouest et Jean-Paul Romac

- Se rendre au restaurant du site archéologique de Bibracte, le Chaudron de Bibracte, pour y savourer les recettes !

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