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Génétique

La petite fourmi de feu n’a pas peur du clonage

par Dominique Raizon

Article publié le 18/11/2008 Dernière mise à jour le 02/02/2009 à 16:00 TU

Wasmannia auropunctata est originaire d’Amérique centrale et du Sud et, chez cette petite fourmi rouge, il suffit d’exister pour se reproduire : des chercheurs du Fonds national de recherche sientifique, de l’Institut national de la recherche agronomique, du Centre national de la recherche scientifique, de l’Institut de recherche pour le développement et de l'Université de Lausanne ont mis en évidence un système de reproduction particulier et unique dans le monde animal.

 Reines et mâles, les individus reproducteurs, sont issus d’une reproduction par clonage tandis que les ouvrières, stériles, sont issues d’une reproduction sexuée. Ces deux modes de reproduction permettent aux mères de maximiser leur propre succès reproducteur tout en bénéficiant d ela diversité génétique des ouvrières.

Confrontation entre deux fourmis de feu.(© Alex Wild 2007)

Confrontation entre deux fourmis de feu.
(© Alex Wild 2007)

Wasmannia auropunctata, la petite fourmi de feu, figure parmi les 100 espèces animales et végétales les plus nuisibles. En activité de manière ininterrompue, généraliste tant dans le choix de son habitat que dans celui de son régime alimentaire, s’attaquant aussi bien aux fourmis qu'à la faune arthropode en général et vertébrés, cette petite fourmi de feu, appelée ainsi en raison de la sensation de brûlure provoquée par sa piqûre, se reproduit inexorablement en adoptant toutes les stratégies possibles. L’homme n’est pas prêt de se défaire de ce fléau écologique car l’espèce colonise tous les territoires où elle est introduite : originaire d’Amérique centrale et du Sud, on la retrouve le long de la ceinture tropicale du globe et, notamment, en Afrique, aux Antilles, en Guyane, aux Galapagos et en Polynésie française. 

Biologiste de l'évolution, Denis Fournier, chercheur qualifié au Fonds de la recherche scientifique (FRS - FNRS) s'intéresse plus particulièrement aux invasions biologiques. En collaboration avec Arnaud Estoup, du Centre de biologie et de gestion des populations à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra-Montpellier) et, Laurent Keller, de l'Université de Lausanne, il a pris pour objet d'étude la petite fourmi de feu, pour comprendre pourquoi et comment une espèce devient envahissante. Il s’est intéressé en premier lieu à l'architecture génétique de populations guyanaises Wasmannia auropunctata.

Un mode de reproduction unique dans le monde animal 

Les chercheurs ont constaté que toutes les reines de la colonie avaient le même patrimoine génétique, que ces reines avaient été fécondées par des mâles qui, eux aussi, portaient tous le même patrimoine génétique, que les filles futures reines étaient identiques à leur mère et que les fils étaient identiques à leur père. 

Et c’est précisément cette dernière observation qui leur a paru extraordinaire. Chez les fourmis, les mâles sont issus d'oeufs non fécondés, haploïdes, pondus par la mère et qui par conséquent ne contiennent que le patrimoine génétique de la mère. Chez la petite fourmi de feu, au contraire, les oeufs haploïdes ne contiennent que le génome de leur père. Les mâles de la petite fourmi de feu ont un père et pas de mère; les reines ont une mère et pas de père.

(Crédit : Denis Fournier)

(Crédit : Denis Fournier)

Denis Fournier explique que, en règle générale, chez les fourmis, comme chez tous les hyménoptères sociaux (les abeilles, les guêpes et les bourdons), les reines pondent deux types d’œufs : des œufs haploïdes, non fécondés, qui ne contiennent par conséquent que le patrimoine génétique de la mère (c’est une parthénogenèse arrhénotoque), et des œufs fécondés, diploïdes qui contiennent pour moitié le patrimoine génétique de la mère et pour l’autre moitié le patrimoine génétique du père. Les œufs haploïdes donneront naissance à des mâles, alors que les œufs diploïdes conduiront soit à la production de reines qui assurent la reproduction, soit à la production d’ouvrières qui assurent les soins aux jeunes.

Le passage vers la voie royale ou vers la voie ouvrières est piloté par des gènes qui sont eux-mêmes sous l’influence de facteurs environnementaux. Par le déterminisme haplo-diploïde du sexe et par le déterminisme trophique des castes, les mâles n’ont pas de père et leur unique moyen pour transmettre leurs gènes à la génération suivante et via la production de femelles reproductrices.

(Crédit : Denis Fournier)

(Crédit : Denis Fournier)

Chez la petite fourmi de feu, en revanche, explique Denis Fournier, cela ne se passe pas tout à fait de la même façon. Si les ouvrières sont classiquement issues d’une reproduction sexuée, les reines, elles, sont produites par clonalité et ne portent que le génome de leur mère. Même chose pour les mâles qui sont également produits par clonalité mais qui eux, ne portent que le génome de leur père. Les mâles de la petite fourmi de feu ont un père mais pas de mère, et les reines ont une mère mais de père.

A partir de cette observation, complète-t-il, les chercheurs ont émis deux hypothèses : selon la première, le génome mâle aurait détruit l’ADN femelle au moment où il a fécondé l’œuf femelle ; selon la seconde, le génome mâle se serait installé dans un œuf vide d’ADN maternel. Ils ont privilégié cette seconde hypothèse.

Les ouvrières, issues de relations sexuées mais stériles 

De l’union entre les reines et les mâles, naissent par ailleurs les fourmis ouvrières qui, elles, sont stériles et qui ne peuvent donc pas transmettre le génome de leur père, d’où une sorte de « cul-de-sac évolutif » pour les mâles.

L’existence de cette reproduction clonale a des implications importantes sur la variabilité génétique et l'évolution du génome : parce que les gènes sont transmis uniquement entre individus du même sexe, la différenciation génétique entre les génomes mâles et femelles peut persister et s'accumuler jusqu'à atteindre une séparation complète des génomes mâles et femelles.  

Denis Fournier

« Sommes-nous en présence de deux espèces diversifiées ? A la fois oui et non : les populations sexuées sont à l'origine des populations clonales

11/11/2008 par Dominique Raizon

L'utilisation sélective de ces deux modes de reproduction permet donc aux reines de maximiser leur propre succès reproducteur tout en maintenant une diversité génétique élevée parmi la force ouvrière, explique Denis Fournier, laquelle nourrit, approvisionne et entretient les fourmis reproductrices.

Denis Fournier

« En fait la petite fourmi ouvrière est dotée d'un large spectre génétique qui favorise son adaptation à l'environnement, une vigueur hybride dont bénéficient ses parents

11/11/2008 par Dominique Raizon

Denis Fournier d'ajouter que : « Les couples clonaux sont plus différents que les couples sexués; par conséquent, les ouvrières issues de ces couples clonaux portent plus de différences génétiques que les ouvrières issues des couples sexués. Cette plus grande variabilité des caractères génétiques pourrait avoir été retenue au cours de l'Evolution par le processus de sélection naturelle chère à Charles Darwin, parce qu’elle confère une plus large gamme d’adaptation à un nouvel environnement. »

Pour en savoir plus :

- Denis Fournier

- Fonds national de recherche scientifique (FNRS)

- Liste des espèces animales et végétales nuisibles

- Inra

- Cnrs

- Ird

- Alex Wild

- documentation pédagogique sur les fourmis

A Lire :

Le monde extraordinaire des fourmis, Luc Passera, 2008 (éd.Fayard, Paris, France)

La vie des fourmis, Laurent Keller et Elizabeth Gordon, 2006 (éd.Odile Jacob, Paris, France)