par Agnès Rougier
Article publié le 11/06/2009 Dernière mise à jour le 15/06/2009 à 10:17 TU
La réserve de biosphère de la Boucle du Baoulé, lieu de nombreux sites archéologiques, a été classée en 1982 par l’Unesco. Depuis, dans ce grand espace de quelque 2 millions 500 000 hectares, la population s’accroît régulièrement, tout en restant extrêmement pauvre. Les villageois sont aujourd’hui conscients de la diminution du nombre d’espèces présentes dans la réserve et de la nécessité de préserver, avec les gardes forestiers, ce bien commun qui leur est échu. Mais le manque de moyens rend la situation insoluble et souvent conflictuelle.
A la découverte de la réserve
Nous quittons Bamako par la route, en direction de Kita, vers la frontière guinéenne, puis tournons à droite dans la réserve. Après une cinquantaine de kilomètres, nous voilà dans le petit village de Madina, juste à la lisière de la réserve de faune de Fina : là, il n'y pas d’électricité ni de téléphone, mais l'accueil y est exceptionnel.
Mais la nature environnante est visiblement en proie à des dégradations liées à la présence humaine : le feu est passé par là bien après la saison des feux précoces, et les arbres sont souvent cassés, des branches trainant à terre. Ce dernier phénomène est lié au passage de troupeaux qui transhument annuellement du nord au sud.
Un découpage théorique
En principe, ni l’agriculture ni l’élevage ni la chasse ne sont autorisés dans le cœur de la réserve. C’est dans ce sens que les limites de zones ont été redéfinies en 1994/1995 : l’objectif était de concéder aux populations, des secteurs en relation avec leurs besoins. Mais on constate que le processus, qui n’a pas été mené jusqu’au bout, n’a pas complètement répondu aux attentes des agriculteurs et des éleveurs. Dans le même temps, la population a crû, entraînant une extension des terroirs agricoles et des troupeaux pour répondre aux besoins en nourriture, d'où une pression plus forte sur l’écosystème.
Forestier, chef du secteur de Kourounikoto.
« Dans le temps, il y avait des villages à l'intérieur de la réserve, et en 95 il y a eu une redélimitation. »
Le résultat de ces phénomènes conjoints est immédiatement visible : perte de ressources en faune, érosion hydrique et éolienne importante des terroirs, laquelle cause le creusement de canyons très profonds, mutilations d’arbres à l’intérieur même de la réserve, assèchement progressif de mares habituellement pérennes -qui révèle un manque d’eau aujourd’hui récurrent.
Directeur de la réserve de biosphère de la Boucle de Boualé.
« L'effet de l'érosion éolienne a transformé ce qui était au début un petit trou en marmite géante très dangereuse. »
Des animaux disparus
Les anciens s’en souviennent : quand ils étaient jeunes, ils apercevaient dans la savane le farouche élan du Derby ; les buffles et les chimpanzés, qui faisaient la navette entre la réserve du Bafing, (située près de la Guinée) et le Baoulé ; les éléphants, qui descendaient de la Mauritanie vers le Mali, s’installaient à Samakoulo, « la colline aux éléphants ». Aujourd’hui, ceux-là n’existent plus dans le Baoulé.
En revanche, depuis quelques années, on constate au retour des hippotragues - antilope/cheval -des bubales, et même des grands carnivores comme la hyène tachetée et la hyène rayée. Les hippopotames, quant à eux, fréquentent toujours le fleuve Baoulé.
Mais ce constat ne s’effectue que par la présence de crottes et d’empreintes de pattes : la réserve est encore trop fréquentée par les hommes et les animaux domestiques pour que les animaux s’aventurent près des pistes.
Les pressions croissantes sur l’environnement
Il y a quelques années, la réserve du Baoulé était connectée par des corridors forestiers aux réserves avoisinantes et aux forêts guinéennes, ce qui permettait aux grands animaux de circuler. Aujourd’hui, ces corridors forestiers ont disparu avec la croissance de la population. Les animaux ne pouvant donc plus circuler, ils ont déserté le Baoulé.
En traversant la réserve, on constate la présence de hameaux de culture, qui poussent comme des champignons dans la zone de transition : les familles quittent leur village et s’installent sans tambours ni trompettes dans des secteurs peu fréquentés, cultivant ensuite les terroirs environnants, pratiquant la culture itinérante sur brûlis... Une pratique agricole dévastatrice, qui élimine la micro faune et qui appauvrit les sols tout en agrandissant régulièrement les périmètres cultivés.
D'autres facteurs exercent une pression environnementale. Les transhumants, par exemple, préfèrent traverser le cœur de la réserve avec les troupeaux et payer des amendes plutôt que faire le tour par les corridors de transhumance et les braconniers tuent les animaux sauvage pour les vendre en ville comme viande de brousse.
Mais une remontée biologique en cours
Heureusement, plusieurs mesures et actions tendent à inverser le processus.
La réserve a accueilli, il y a moins d'un an, un nouveau directeur, et des agents forestiers supplémentaires ont été nommés. Dans le même temps, l'administration de la réserve a bénéficié de deux voitures neuves et de sept motos, des barrières ont été mises en place, à l’entrée de la réserve, pour contrôler les voitures d’éventuels braconniers, et des pistes ont été rouvertes. Enfin, les agents forestiers travaillent avec la population sous le signe de la conciliation.
Du côté des villageois, la création d'une radio communautaire, des formations et des campagnes de sensibilisation sur l’environnement, l’agriculture durable et la faune, ont favorisé la prise de conscience et la communication. En parallèle, la création de l’association des communes riveraines a permis une meilleure gestion et un coordination des activités dans la réserve.
Et entre l’administration et la population, les relations se sont enfin apaisées grâce à la volonté de règler les conflits à l'amiable.
Habitants de Bambara formés au cordon pierreux, employés aux eaux et aux forêts.
« L'ouverture de pistes a apporté ici des touristes et de l'eau potable. »
Bien que la pression soit encore trop forte pour disparaître du jour au lendemain, les forestiers parviennent désormais à travailler en accord avec une partie de la population. Ensemble, ils cherchent les solutions aux problèmes de nourriture et à la pauvreté.
Le tourisme, notamment, pourrait se développer en relation avec les nombreux sites archéologiques qui émaillent la réserve. La présence de la faune sauvage est également attractive. Cela implique toutefois l’ouverture de nouvelles pistes et l’entretien des anciennes et, surtout, la construction d’infrastructures susceptibles d’accueillir du monde.
Encore faut-il, pour mener à bien les projets, en avoir les moyens. Or, l’argent manque cruellement et la population se sent oubliée par le reste du monde. A titre d’exemple, quand ils sont riches d’une école, les enfants du village doivent se contenter de s’asseoir sur des cailloux. En dépit de ces difficultés, les hommes ont décidé de faire face, conscients qu’il n’existe pas vraiment d’alternative : pour nourrir tout le monde, il faut impérativement préserver la ressource, première condition de la survie.