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Union européenne

Le casse-tête des institutions

La conférence intergouvernementale (CIG) s'est ouverte au Portugal au début de l'année, et doit s'achever en décembre sous présidence française. Son but: réformer de vieux mécanismes institutionnels prévus pour six pays, fonctionnant difficilement à quinze, et qui, avec l'élargissement à l'Est, s'annoncent paralysants à trente. Mission (presque) impossible.
"Ca va être sportif !", pronostique Hubert Védrine. Le ministre français des Affaires étrangères, qui a son franc parler, ne cache rien de l'ampleur de la tâche qui attend la présidence française de l'Union européenne: "Arracher un accord sur la CIG va être beaucoup plus difficile que ce qu'on imaginait jusque là".
Et pour cause: aux trois projets de réforme déjà au programme (réduction du nombre des commissaires, pondération des votes au sein du conseil des ministres, extension du vote à la majorité) vient s'ajouter la question des "coopérations renforcées", un mécanisme devant autoriser les pays qui le souhaitent à s'unir plus étroitement dans certains domaines.

Ce sont donc quatre dossiers, tous aussi épineux, qui seront sur la table, et sur lesquels les quinze membres de l'Union vont devoir s'accorder. Les trois premiers n'avaient pu être bouclés lors du sommet d'Amsterdam, en 1997, les puissants Länder allemands (régions) bloquant une réforme jugée préjudiciable à leurs pouvoirs. Depuis, rien, ou presque, n'a avancé. Le quatrième promet quelques nuits blanches aux négociateurs. Or (et là dessus tout le monde est d'accord), il n'est pas question d'élargir l'Union européenne à douze nouveaux membres dans les prochaines années sans cette réforme qui vise à simplifier les Institutions.

La limitation du nombre des commissaires.
La Commission de Bruxelles compte vingt membres pour quinze pays. Les grands pays, comme la France, ont deux commissaires. Malgré un quasi doublement du nombre des Etats membres dans les années à venir, il s'agirait d'en rester à vingt commissaires. Autrement dit: certains pays n'auront pas "leur" commissaire, ou pas en permanence (la France aurait accepté de s'appliquer ce principe). Problème: les petits pays veulent garder un commissaire pour légitimer la Commission aux yeux de leur opinion publique.

La nouvelle pondération des voix. Actuellement, pour qu'un projet soit adopté en conseil des ministres, il doit recueillir l'unanimité sur les sujets importants, la majorité qualifiée sur les autres. Chaque pays dispose d'un nombre de voix selon sa taille, les petits étant surreprésentés. Certains pays souhaitent un nouveau système dit de "double majorité". Il faudrait réunir, sur un projet, à la fois la majorité des Etats membres et plus de 50% de la population totale de l'Union. Les dosages s'annoncent subtils, les petits pays risquant de défendre bec et ongles leurs acquis.

L'extension des décisions prises à la majorité qualifiée.
Certains Etats, comme la Grande-Bretagne (dont la population est largement eurosceptique) veulent éviter toute dérive fédérale et souhaitent conserver l'unanimité sur de nombreux sujets. Autrement dit: on garde intact le droit de veto, et donc la possibilité de bloquer l'intégration.


Les coopérations renforcées. Quel que soit le nom qu'on lui donne (noyau dur, avant-garde, etc.), il s'agit d'un système qui permettrait aux pays qui le veulent "d'aller plus vite et plus loin dans certains domaines", sans que les autres pays puissent s'y opposer. La France et l'Allemagne sont pour, les pays scandinaves, l'Espagne et la Grande-Bretagne y sont hostiles, par crainte d'une "Europe à deux vitesses".
Obtenir un accord sur ces réformes ne sera donc pas une partie de plaisir. Ce sera plutôt un concours d'arrière-pensées, un conflit permanent d'intérêts, un chassé-croisé de marchandages. Pourtant, cet accord est jugé par beaucoup "indispensable", faute de quoi l'Union européenne risque la paralysie. Ce serait alors non seulement un échec pour la France, mais aussi une énorme perte de crédibilité pour l'Europe. Paris a néanmoins prévenu: plutôt pas d'accord à la fin de l'année qu'un mauvais accord qui lesterait durablement l'Union.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 28/06/2000