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Russie

La Russie veut redevenir une grande puissance

Vladimir Poutine ne le cache plus et en a fait un argument de campagne électorale: il veut que la Russie redevienne une grande puissance, à la fois politique, économique et militaire, à l'image de l'Union soviétique d'antan. A l'occasion de la visite à Moscou du secrétaire général de l'OTAN, George Robertson, à la mi-février, le numéro deux de l'état-major russe, le général Valéri Manilov, a fait savoir que les futures relations OTAN-Russie peuvent être rétablies "à certaines conditions". Celles-ci ont été visiblement suggérées par le nouveau maître du Kremlin: "la Russie doit être traitée sur un pied d'égalité (avec l'OTAN) dans l'évaluation des situations de crise", mais aussi dans "la mise au point des décisions" pour y faire face et "leur mise en £uvre". Et Manilov d'ajouter, pour éviter tout malentendu: "ces principes ont été inscrits dans l'Acte fondateur Russie-OTAN (signé en 1977) et grossièrement violés lors de l'agression de l'OTAN contre la Yougoslavie".

Ainsi, Moscou n'a toujours pas 'digéré' la guerre du Kosovo, et notamment le comportement des USA. Poutine reproche à Washington d'avoir ignoré le rôle des Nations Unies et donc rendu à l'avance vain l'éventuel recours de la Russie à son droit de veto. Mais la confrontation américano-russe sur ce terrain avait commencé bien avant cette guerre.

Dès le début de l'ère Eltsine, il est apparu au gouvernement de Bush, puis de Clinton, que la Russie était entrée dans une longue période de faiblesse plus ou moins chronique: la démocratisation et la libéralisation introduites par Eltsine ont laissé libre cours à une vague de corruption d'autant plus incontrôlable que la classe dirigeante donnait de nombreux signes de faiblesse, avant d'être elle-même sous l'emprise des principaux clans mafieux. De plus les multiples maladies de Eltsine rendaient inopérants tous les oukases du Kremlin. Celui-ci a vite compris que la politique officielle "d'amitié et de coopération" prônée par Washington visait en réalité à affaiblir encore plus la Russie post-soviétique.

Aussi, la guerre de l'OTAN n'a pu être conduite avec arrogance - selon Moscou - par les pays occidentaux qu'en raison de l'état comateux de l'économie russe, de plus en plus soumise au FMI. Boris Eltsine en était sans doute conscient, mais il a aussi compris que sa marge de man£uvre était très réduite. Il a néanmoins su exploiter les relations traditionnellement proches entre Moscou et Belgrade pour revenir sur le devant de la scène l'espace d'une négociation qui a permis d'arrêter une guerre qui n'a ni chassé du pouvoir Slobodan Milosevic, ni rétabli la paix dans les Balkans.

L'après-Kosovo a permis à Eltsine de tenter de trouver un successeur capable de faire face à la "nouvelle Amérique", celle qui est désormais convaincue de pouvoir jouer seule les premiers rôles. Finalement il a porté son choix sur le candidat du passé, c'est-à-dire sur quelqu'un qui avait le consentement à la fois des généraux, des services secrets, des principaux gouverneurs mais aussi de tous les nostalgiques de l'Union soviétique, à savoir les milieux proches du post-communiste Ziouganov comme du national-populiste Jirinovski. Vladimir Poutine incarne parfaitement ce retour en arrière. Il n'est alors guère étonnant que le successeur désigné de Eltsine laisse entendre à plusieurs reprises qu'il est prêt à revenir à la "guerre froide", si l'Occident continue de le critiquer et surtout de se mêler de ce qui ne le regarde pas: "sa" guerre en Tchétchénie. Nationalisme et panslavisme obligent. Campagne électorale aussi.

Depuis toujours parfait serviteur de l'état soviétique, puis russe, notamment au c£ur des services de renseignement, Poutine n'a eu non plus aucun mal à pousser vers la touche le seul rival sérieux: l'ancien Premier ministre et longtemps ministre des affaires étrangères Evgeny Primakov. Il a suffit de le laisser devenir le "candidat naturel de l'Occident". En quelques semaines seulement, Primakov s'est "gorbatchévisé". Comme l'ancien président Gorbatchev, il a alors peu à peu quitté la scène politique, après avoir raté même la présidence de la Douma.

Il n'est guère étonnant non plus que les différentes mafias qui ont prospéré dans l'entourage de l'ex-Président Eltsine aient vite appuyé le "nouveau" régime et ainsi gardé leurs pouvoirs. Poutine, en amnistiant Eltsine, s'est auto-amnistié, puis a chaussé les bottes du nationalisme pan-russe et relancé une guerre quasi ethnique contre les Tchétchènes. Plus grave, beaucoup de Russes pensent aujourd'hui que le "putsch blanc" qui a permis la mise à l'écart de Eltsine le 31 décembre 1999 a commencé en réalité en août de la même année, par les soi-disant attentats de Moscou, qui ont été aussitôt attribués aux "terroristes tchétchènes" avant de servir de prétexte à la nouvelle guerre dans le Caucase. Des attentats que certains imputent ouvertement aux services spéciaux russes. Comme du temps du KGB.

La démagogie nationaliste de Poutine ne connaît désormais plus de limites. Les caisses de l'Etat sont pratiquement vides, mais il promet tout à tout le monde: aux militaires la fin de la guerre en Tchétchénie, aux milieux nationalistes la grandeur d'antan, et aux fonctionnaires une hausse de 20% de leurs salaires, à compter du à1er avril prochain. Alors que la prochaine présidentielle aura lieu le 26 mars et se jouera très probablement en même temps que le sort de la Tchétchénie et dans une surenchère croissante de nationalisme anti-tchétchène.

S'il remporte "sa" guerre en Tchétchénie, Poutine peut vraisemblablement gagner non seulement les élections présidentielles. Il pourrait aussi être tenté d'obliger Clinton et son successeur à plus de modestie, à pratiquer une véritable "coopération entre égaux" et à "intensifier le dialogue au sein du Conseil conjoint permanent". Faute de quoi, "les généraux, encouragés par l'opinion publique, et leurs alliés dans le camp des diplomates, vont continuer la politique de confrontation", comme l'a écrit le quotidien économique russe Kommersant.

Pour l'heure, Poutine a obtenu pour la Russie post-soviétique, malgré (ou grâce à) sa "sale guerre" de Tchétchénie, un statut de facto de "grande puissance", dans un cadre quelque peu nouveau : début mars, pour la première fois dans l'histoire de l'après-89, une rencontre tripartite réunit à Lisbonne les USA, l'Union européenne et la Russie. La guerre du Kosovo aurait-elle accouchée d'un nouveau rapport de force?



Article publié le 10/07/2000