Sida
L'Afrique et le sida en 9 questions
1) L'Afrique est-elle vraiment menacée?
"Plus personne n'exerce de réel contrôle sur l'épidémie de sida qui ne cesse de s'étendre en Afrique", reconnaît Peter Piot, directeur exécutif de l'Onusida, l'organisme des Nations Unies chargé de la lutte contre le virus. Le VIH est devenu la première cause de décès sur le continent, devant le paludisme. A l'Est et au Sud, la maladie a fauché plus de vies que la guerre. En 15 ans, 11 millions d'Africains ont été emportés par le sida et sa propagation hypothèque maintenant la survie même des populations africaines, affirme le directeur pour l'Afrique de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Ibrahim Samba. Il faut dire que le bilan de 1998 donne froid dans le dos, avec 2,5 millions de morts, et que le suivant sera forcément pire, si rien de décisif n'est entrepris. En tout, 70% des 33 millions de personnes infectées dans le monde vivent en Afrique et parmi elles, à peine 1% savent qu'elles sont contaminées. Au milieu de tant de malheurs, les enfants ne sont pas épargnés: 600 000 d'entre eux sont atteints, laissant présager un avenir sombre aux régions les plus touchées ainsi ponctionnées de leurs forces vives. Partout les lits des hôpitaux sont occupés majoritairement par les malades. Au Gabon, le directeur du programme national de lutte, le Dr Gabriel Malonga-Mouel reconnaît que les traitements sont quasiment inaccessibles et que les services de médecine générale sont devenus de véritables mouroirs.
2) Quel sera l'impact du sida sur les pays les plus touchés?
Le coût humain et économique du sida est un désastre pour ce continent. Ce fut l'un des principaux constats de la XIe Conférence internationale de Lusaka. "Le sida en Afrique constitue une crise de développement, non un problème médical plus important que d'habitude, mais une catastrophe massive pour le développement qui nécessite une réponse urgente", souligne Peter Piot. Et pour cause, les conséquences de l'épidémie commencent à se faire gravement sentir. Ainsi, il est désormais admis que l'espérance de vie baisse dans certains pays à cause du sida. C'est notamment le cas au Zimbabwe, qui détient le triste record du taux de contamination, avec un adulte sur quatre séropositif ou malade. Selon une organisation non-gouvernementale locale, l'espérance de vie, qui avait atteint 61 ans en 1990, est tombée à 49 ans, alors qu'elle serait passée à 69,5 ans sans le virus. Mais les conséquences sont également économiques, car ce sont les classes d'âge les plus productives qui sont concernées. Résultats: dans un nombre croissant d'Etats, des secteurs entiers commencent à manquer de main d'£uvre. En clair, le sida va avoir une influence directe sur le taux de croissance dans plusieurs pays. On parle beaucoup du Zimbabwe, de la Zambie et de l'Afrique du Sud. Mais à court ou moyen terme beaucoup d'autres connaîtront le même sort.
3) Quelle aide des pays riches pour combattre la maladie?
Le désastre du sida en Afrique n'émeut guère les bailleurs de fonds occidentaux. C'est en tous cas ce que laissent penser les chiffres de l'aide extérieure en matière de lutte contre le virus VIH dans cette partie du monde. Selon Peter Piot, directeur exécutif, de l'Onusida, elle représentait 150 millions de dollars US en 1997, soit l'équivalent du budget annuel d'un petit hôpital en France. C'est bien entendu insuffisant. Au cours de la conférence de Lusaka, le vice-président de la Banque Mondiale pour l'Afrique, Callisto Madavo, l'a d'ailleurs reconnu, avant d'annoncer immédiatement une nouvelle initiative, en la matière intitulée: "Renforcer l'action contre le SIDA/VIH en Afrique". Quel en sera le montant? Mystère. Tout au plus sait-on qu'une partie des trois milliards de dollars qu'elle consacre chaque année à l'Afrique devrait être affectée au combat contre ce fléau. De leurs côtés, les Etats-Unis prévoient d'y consacrer la somme de 100 millions de dollars. Mais il en faudra beaucoup plus pour endiguer la progression de l'épidémie.
4) Les gouvernements africains sont-ils mobilisés?
Sur les dix chefs d'Etats et de gouvernements invités à la conférence de Lusaka, en septembre dernier, aucun n'a cru bon de faire le voyage. Est-ce le signe que les responsables politiques africains ne prennent pas suffisamment au sérieux la catastrophe qui touche le continent ? La réponse varie d'un pays à l'autre. Certains, comme le Sénégal, ont pris relativement tôt le taureau par les cornes. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. D'une manière générale, les budgets de prévention du sida sont très insuffisants. En 1997, les gouvernements africains y ont consacré à peine 15 millions de dollars. Une somme ridicule, comparée à l'enjeu. Les dirigeants pointent volontiers du doigt la timidité des bailleurs de fonds, dans la mesure où les Etats africains n'ont guère les moyens de faire face aux dépenses requises pour la lutte contre l'épidémie. Or, l'insuffisance de l'aide extérieure n'est pas seule en cause. La Banque Mondiale évoque la corruption. Mais dans certains cas, c'est tout simplement l'inaction des gouvernements qui est en cause, comme au Nigeria où les efforts de prévention ont été quasiment nuls, durant les années de dictature militaire. Ailleurs, on pointe l'insuffisante volonté politique de gouvernements qui n'ont pas fait du sida une priorité dans leurs budgets de santé. Et de fait, il n'est pas rare d'entendre de la bouche de responsables que d'autres problèmes sanitaires mobilisent davantage les Etats africains.
5) Les malades africains ont-il accès aux soins?
Même si des progrès ont été accomplis pour réduire le prix de certains médicaments, notamment au Sénégal et en Côte d'Ivoire, leur accès à l'échelle du continent n'en demeure pas moins scandaleusement insuffisant. Le prix annuel d'un traitement contre le sida est d'environ 12 000 dollars US, alors qu'un Africain dispose, en moyenne, de 10 dollars US pour se soigner par année. A l'occasion de la conférence mondiale sur le sida à Durban, en Afrique du Sud, la question de l'accès aux médicaments va être au centre des débats. La manière dont elle sera abordée sera significative des réelles intentions des différentes parties en présence.
La proposition faite au mois de mai par cinq des plus grands laboratoires occidentaux (Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Glaxo Wellcome, Merck and Co, F. Hoffmann La Roche) d'engager une discussion "pour améliorer la distribution des traitements dans les pays en développement", a répondu aux assauts de plus en plus répétés de l'opinion et des principales institutions concernées, à l'exemple d'Onusida. Comment, en effet, continuer à vendre à prix d'or des molécules vitales sans tenir compte du dénuement dans lequel se trouvent des populations meurtries par les ravages d'une maladie dévastatrice?
La proposition des firmes pharmaceutiques n'est pas uniquement à mettre sur le compte de la prise de conscience de l'insupportable drame humain en train de se jouer sur le continent africain notamment. Elle vise aussi à prémunir les sociétés détentrices des brevets des médicaments anti-sida contre le développement de l'utilisation de la clause "d'urgence sanitaire", prévue dans l'accord sur les droits de propriété intellectuelle. Celle-ci permet, en effet, à un Etat de fabriquer localement des médicaments génériques ou d'effectuer des importations "parallèles" en provenance de pays qui ont déjà pris cette option et peuvent vendre les molécules à des prix de loin inférieurs (Brésil, par exemple), sans passer par le circuit commercial des laboratoires.
6) Pourquoi les femmes et les jeunes filles sont-elles plus touchées?
Les femmes sont les premières victimes du sida en Afrique. Selon le responsable de l'OMS pour l'Afrique, Ibrahim Samba, la moitié des femmes enceintes du continent seraient atteintes par le virus risquant ainsi de le transmettre à leur enfant. Or, 90% des jeune
"Plus personne n'exerce de réel contrôle sur l'épidémie de sida qui ne cesse de s'étendre en Afrique", reconnaît Peter Piot, directeur exécutif de l'Onusida, l'organisme des Nations Unies chargé de la lutte contre le virus. Le VIH est devenu la première cause de décès sur le continent, devant le paludisme. A l'Est et au Sud, la maladie a fauché plus de vies que la guerre. En 15 ans, 11 millions d'Africains ont été emportés par le sida et sa propagation hypothèque maintenant la survie même des populations africaines, affirme le directeur pour l'Afrique de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Ibrahim Samba. Il faut dire que le bilan de 1998 donne froid dans le dos, avec 2,5 millions de morts, et que le suivant sera forcément pire, si rien de décisif n'est entrepris. En tout, 70% des 33 millions de personnes infectées dans le monde vivent en Afrique et parmi elles, à peine 1% savent qu'elles sont contaminées. Au milieu de tant de malheurs, les enfants ne sont pas épargnés: 600 000 d'entre eux sont atteints, laissant présager un avenir sombre aux régions les plus touchées ainsi ponctionnées de leurs forces vives. Partout les lits des hôpitaux sont occupés majoritairement par les malades. Au Gabon, le directeur du programme national de lutte, le Dr Gabriel Malonga-Mouel reconnaît que les traitements sont quasiment inaccessibles et que les services de médecine générale sont devenus de véritables mouroirs.
2) Quel sera l'impact du sida sur les pays les plus touchés?
Le coût humain et économique du sida est un désastre pour ce continent. Ce fut l'un des principaux constats de la XIe Conférence internationale de Lusaka. "Le sida en Afrique constitue une crise de développement, non un problème médical plus important que d'habitude, mais une catastrophe massive pour le développement qui nécessite une réponse urgente", souligne Peter Piot. Et pour cause, les conséquences de l'épidémie commencent à se faire gravement sentir. Ainsi, il est désormais admis que l'espérance de vie baisse dans certains pays à cause du sida. C'est notamment le cas au Zimbabwe, qui détient le triste record du taux de contamination, avec un adulte sur quatre séropositif ou malade. Selon une organisation non-gouvernementale locale, l'espérance de vie, qui avait atteint 61 ans en 1990, est tombée à 49 ans, alors qu'elle serait passée à 69,5 ans sans le virus. Mais les conséquences sont également économiques, car ce sont les classes d'âge les plus productives qui sont concernées. Résultats: dans un nombre croissant d'Etats, des secteurs entiers commencent à manquer de main d'£uvre. En clair, le sida va avoir une influence directe sur le taux de croissance dans plusieurs pays. On parle beaucoup du Zimbabwe, de la Zambie et de l'Afrique du Sud. Mais à court ou moyen terme beaucoup d'autres connaîtront le même sort.
3) Quelle aide des pays riches pour combattre la maladie?
Le désastre du sida en Afrique n'émeut guère les bailleurs de fonds occidentaux. C'est en tous cas ce que laissent penser les chiffres de l'aide extérieure en matière de lutte contre le virus VIH dans cette partie du monde. Selon Peter Piot, directeur exécutif, de l'Onusida, elle représentait 150 millions de dollars US en 1997, soit l'équivalent du budget annuel d'un petit hôpital en France. C'est bien entendu insuffisant. Au cours de la conférence de Lusaka, le vice-président de la Banque Mondiale pour l'Afrique, Callisto Madavo, l'a d'ailleurs reconnu, avant d'annoncer immédiatement une nouvelle initiative, en la matière intitulée: "Renforcer l'action contre le SIDA/VIH en Afrique". Quel en sera le montant? Mystère. Tout au plus sait-on qu'une partie des trois milliards de dollars qu'elle consacre chaque année à l'Afrique devrait être affectée au combat contre ce fléau. De leurs côtés, les Etats-Unis prévoient d'y consacrer la somme de 100 millions de dollars. Mais il en faudra beaucoup plus pour endiguer la progression de l'épidémie.
4) Les gouvernements africains sont-ils mobilisés?
Sur les dix chefs d'Etats et de gouvernements invités à la conférence de Lusaka, en septembre dernier, aucun n'a cru bon de faire le voyage. Est-ce le signe que les responsables politiques africains ne prennent pas suffisamment au sérieux la catastrophe qui touche le continent ? La réponse varie d'un pays à l'autre. Certains, comme le Sénégal, ont pris relativement tôt le taureau par les cornes. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde. D'une manière générale, les budgets de prévention du sida sont très insuffisants. En 1997, les gouvernements africains y ont consacré à peine 15 millions de dollars. Une somme ridicule, comparée à l'enjeu. Les dirigeants pointent volontiers du doigt la timidité des bailleurs de fonds, dans la mesure où les Etats africains n'ont guère les moyens de faire face aux dépenses requises pour la lutte contre l'épidémie. Or, l'insuffisance de l'aide extérieure n'est pas seule en cause. La Banque Mondiale évoque la corruption. Mais dans certains cas, c'est tout simplement l'inaction des gouvernements qui est en cause, comme au Nigeria où les efforts de prévention ont été quasiment nuls, durant les années de dictature militaire. Ailleurs, on pointe l'insuffisante volonté politique de gouvernements qui n'ont pas fait du sida une priorité dans leurs budgets de santé. Et de fait, il n'est pas rare d'entendre de la bouche de responsables que d'autres problèmes sanitaires mobilisent davantage les Etats africains.
5) Les malades africains ont-il accès aux soins?
Même si des progrès ont été accomplis pour réduire le prix de certains médicaments, notamment au Sénégal et en Côte d'Ivoire, leur accès à l'échelle du continent n'en demeure pas moins scandaleusement insuffisant. Le prix annuel d'un traitement contre le sida est d'environ 12 000 dollars US, alors qu'un Africain dispose, en moyenne, de 10 dollars US pour se soigner par année. A l'occasion de la conférence mondiale sur le sida à Durban, en Afrique du Sud, la question de l'accès aux médicaments va être au centre des débats. La manière dont elle sera abordée sera significative des réelles intentions des différentes parties en présence.
La proposition faite au mois de mai par cinq des plus grands laboratoires occidentaux (Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Glaxo Wellcome, Merck and Co, F. Hoffmann La Roche) d'engager une discussion "pour améliorer la distribution des traitements dans les pays en développement", a répondu aux assauts de plus en plus répétés de l'opinion et des principales institutions concernées, à l'exemple d'Onusida. Comment, en effet, continuer à vendre à prix d'or des molécules vitales sans tenir compte du dénuement dans lequel se trouvent des populations meurtries par les ravages d'une maladie dévastatrice?
La proposition des firmes pharmaceutiques n'est pas uniquement à mettre sur le compte de la prise de conscience de l'insupportable drame humain en train de se jouer sur le continent africain notamment. Elle vise aussi à prémunir les sociétés détentrices des brevets des médicaments anti-sida contre le développement de l'utilisation de la clause "d'urgence sanitaire", prévue dans l'accord sur les droits de propriété intellectuelle. Celle-ci permet, en effet, à un Etat de fabriquer localement des médicaments génériques ou d'effectuer des importations "parallèles" en provenance de pays qui ont déjà pris cette option et peuvent vendre les molécules à des prix de loin inférieurs (Brésil, par exemple), sans passer par le circuit commercial des laboratoires.
6) Pourquoi les femmes et les jeunes filles sont-elles plus touchées?
Les femmes sont les premières victimes du sida en Afrique. Selon le responsable de l'OMS pour l'Afrique, Ibrahim Samba, la moitié des femmes enceintes du continent seraient atteintes par le virus risquant ainsi de le transmettre à leur enfant. Or, 90% des jeune
par Valérie Gas
Article publié le 09/07/2000