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Oléoduc Doba-Kribi

Le pétrole : cadeau empoisonné pour l'Afrique centrale ?<br> <br>

Le pétrole n'a jusqu'ici guère porté bonheur aux pays producteurs d'Afrique centrale. Du Cameroun à l'Angola, l'exploitation de l'or noir, qui aurait pu être un formidable facteur de développement, a surtout encouragé la corruption, voire provoqué d'abominables guerres civiles.
En décidant d'apporter son soutien à la construction du pipe-line Tchad-Cameroun, le 6 juin dernier, la Banque Mondiale a posé ses conditions, à commencer par l'existence d'organes de contrôle de la bonne utilisation par N'djamena des futures ressources générées par l'exploitation du pétrole. Et pour cause : l'or noir a jusqu'à maintenant peu contribué au développement des pays producteurs de la région. En Afrique centrale, le pétrole a surtout servi à remplir les poches de quelques dirigeants, voire à provoquer de sanglantes guerres civiles. Et globalement ces pays s'en sortent plutôt moins bien que les autres Etats du continent noir.

L'exemple le plus significatif concerne l'Angola. Deuxième producteur africain (770 000 barils par jours fin 1999) derrière le Nigeria (1,8 millions b/j), c'est un véritable eldorado pétrolier qui attire la plupart des grandes compagnies, dont Elf, BP-Amoco et Exxon. Les récentes découvertes off-shore pourraient même prochainement le placer en tête des Etats pétroliers du continent noir. Cette ancienne colonie portugaise est pourtant classée à la 160ème place, sur 174 pays, en terme de développement humain par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), en raison d'une sanglante guerre civile qui dure depuis 25 ans. Ce conflit masque en réalité une lutte pour le contrôle des richesses pétrolières et du diamant, dont regorge également le sous-sol angolais. Selon Global Witness, une organisation britannique en pointe sur le dossier angolais, l'UNITA, le mouvement rebelle principal responsable de la poursuite des combats qu'il finance grâce aux trafic de gemmes, n'est pas seul en cause. " En Angola, l'autre facteur clé est l'utilisation frauduleuse et opaque de revenus pétroliers de plus en plus importants par le gouvernement angolais ", estime Global Witness dans un rapport récent.

Le bilan du Congo-Brazzaville est à peine plus reluisant. Autre grand producteur de la région (13 millions de tonnes en 1998), surtout depuis la mise en exploitation par Elf de l'énorme gisement off-shore de Nkossa, il y a quatre ans, ce pays a renoué en décembre 1999 avec une paix fragile, après des combats meurtriers entre milices et forces gouvernementales, d'une part, et groupes armés de l'opposition, de l'autre. Ce conflit meurtrier n'était que l'avatar d'une longue série d'affrontements, qui depuis 1993 ont fait des milliers de morts, des nuées de réfugiés et ont en partie détruit la capitale, Brazzaville. Au c£ur du drame congolais : l'or noir, une manne qui n'est pas étrangère à la lutte à mort entre l'actuel président, Denis Sassou Nguesso, et son prédécesseur, Pascal Lissouba, qu'il a renversé après plusieurs mois de combats en octobre 1997. La main de la compagnie Elf, qui domine le secteur pétrolier au Congo, a aussi été maintes fois évoquée dans les soubresauts de ces dernières années.

Dans le reste de l'Afrique centrale, le pétrole n'a certes pas provoqué de conflit meurtrier, mais son exploitation n'a pas eu les effets escomptés en terme de développement. Troisième producteur africain en 1999, le Gabon, avec à peine un million d'habitants, est souvent assimilé aux émirats du Golfe Persique. Ses performances sont néanmoins bien inférieures à celles de pays comparables si l'on considère ses indicateurs sociaux. " On observe un écart de 72 places entre le rang du Gabon selon l'indice de développement humain des Nations Unies (114 sur 173) et celui qu'il occupe si l'on se réfère au PIB par habitant (42 sur 173). D'après des estimations récentes, le taux global d'analphabétisme des adultes est d'environ 30 %, le taux de mortalité infantile de 99 décès pour 1 000 naissances vivantes et l'espérance de vie à la naissance de 54 ans ", note la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque Mondiale. Quant à la Guinée Equatoriale, nouvelle venue parmi les Etats producteurs de la zone, elle sort d'une longue descente aux enfers, sous la dictature de Macias Nguema puis de son neveu Théodore Obiang Nguema. Fort de l'exploitation des hydrocarbures, ce dernier rêve aujourd'hui de redonner à son pays la prospérité économique dont il jouissait à la fin des années 60, grâce à la production du cacao et du bois qui s'est effondrée depuis.

Le Cameroun enfin, prochainement traversé par le futur pipe-line transportant le brut tchadien, a beau être un producteur moins important, avec environ 5, 5 millions de tonnes de brut extraites en 1996-1997, l'utilisation de la rente pétrolière y est un éternel sujet de contentieux. Depuis sa création, en 1980, la Société nationale des hydrocarbures (SNH) a géré les revenus pétroliers du pays dans le plus grand secret. Sous contrôle direct de la présidence, cette structure passe pour la caisse noire du chef de l'Etat, Paul Biya. En décembre 1999, le journal français Le Monde a ainsi révélé, que plusieurs dizaines de millions de FF auraient été versés par ce biais à Raymond Bernard, ancien dirigeant de la branche francophone de l'Ancien et mystique ordre de la Rose-Croix (Amorc), une organisation internationale rosicrucienne dont est membre le chef de l'Etat camerounais, ainsi qu'à d'autres organismes qui lui sont affiliés. Personnage trouble, Raymond Bernard est soupçonné de liens avec le sinistre Ordre du temple solaire (OTS). Malgré les assurances du FMI pour qui la restructuration longtemps réclamée de la SNH est en bonne voie, ses liens étroits avec le pouvoir incitent les adversaires locaux du projet de pipe-line à la méfiance. " Comment pourront-ils contrôler l'utilisation des fonds, s'interroge Abel Eyinga, fondateur avec l'écrivain camerounais Mongo Beti et d'autres intellectuels d'un Comité national d'action civique. Beaucoup d'associations protestent en estimant que la nature des gouvernements en place au Tchad comme au Cameroun ne permet pas de penser que l'utilisation sera correcte."

La Banque mondiale se veut rassurante, répétant qu'elle n'a accepté de soutenir la construction de l'oléoduc Doba-Kribi qu'en raison de l'imposition au Tchad, et dans une moindre mesure au Cameroun, de règles strictes de conduite. Elle en veut pour preuve le fait que N'djamena a créé un collège chargé de la gestion des revenus pétroliers, composé pour une large part de représentants de la société civile. Mais au-delà de cette question, certains craignent que dans un pays pullulant de mouvements rebelles - dont le MDJT (Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad) qui déstabilise le Nord du pays û le pactole pétrolier n'encourage davantage la lutte pour le pouvoir.



par Christophe  Champin

Article publié le 04/07/2000