Immigration
Catherine Wihtol de Wenden:<br /> <i>«Il faut en finir avec le mensonge<br /> et instaurer des quotas»</i>
Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches au CNRS, se prononce pour une ouverture sélective à l'immigration, afin de mettre un terme à la fiction de l'immigration zéro. Elle relativise, aussi, des estimations fondées sur un marché de l'emploi n'intégrant aucun changement économique ni technologique.
RFI: A la question posée dans votre dernier livre "Faut-il ouvrir les frontières?" (Presses de Sciences-Po, 1999), la division de la population des Nations Unies répond résolument par l'affirmative. Quelle est votre réponse?
Catherine Wihtol de Wenden: Il faut apporter des nuances. D'ailleurs en en parlant avec ceux qui ont fait ce rapport, ce ne sont que des projections et des propositions, cela n'a pas pour objectif de définir une politique. Il s'agit d'estimations. L'Europe devrait faire appel à 158 millions d'immigrés d'ici 2030, c'est énorme, mais les pays sont libres ce n'est en rien une politique en tant que telle. En ce qui concerne la main-d'£uvre on ne connaît pas, les économistes le confirment, les besoins du marché du travail à 50 ans. Il y aura des secteurs qui emploient beaucoup d'immigration clandestine dont certains vont grossir: les services, l'environnement, le tourisme et les loisirs. Mais d'autres secteurs auront besoin de beaucoup moins de main-d'£uvre à cause de l'informatisation.
Ces projections se basent sur la même situation du marché du travail qu'à présent, ce qui est peu probable. Les projections démographiques, elles, sont relativement fiables. Le vieillissement est déjà inscrit et le déclin démographique, sans changement des comportements, inexorable.
RFI: Est-ce grave quand on connaît les progrès de la productivité?
C.W.W.: En termes de marché du travail, pas nécessairement. En termes de créativité, oui. Et puis cela veut dire qu'il faudrait complètement revoir l'âge de la retraite, les montants des retraites, les politiques à l'égard du quatrième âge.
De plus, les taux du chômage vont baisser et il y a encore des réserves. L'Europe n'a pas fait le plein de tout son potentiel d'emplois. Il y a encore des femmes employées à temps partiel ou qui travaillent peu lorsqu'elles ont des enfants, c'est le cas de l'Europe du Nord ou de l'Allemagne. Les jeunes aussi sont plutôt sous employés jusqu'à 25 ans. Toutefois, très souvent, il n'y pas de compensation entre les secteurs où les gens sont au chômage et les secteurs qui ont besoin de main d'£uvre. Les besoins sont dans des secteurs très peu qualifiés, mal payés, irréguliers dans le temps, mobiles géographiquement et les secteurs très qualifiés, très pointus, avec des emplois assez précaires aussi comme le consulting ou l'expertise. Il n'est pas certains que les nationaux soient prêts à prendre ce genre de métiers.
RFI: On parvient donc à l'idée d'une immigration sélective?
C.W.W.: Oui, je suis sur cette ligne là. Parce que cela permet d'en finir avec le mensonge de l'immigration zéro et de la fermeture des frontières. On ne peut pas, pour l'instant, dire que l'on va ouvrir toutes les frontières à tout le monde, même si on peut penser que ce ne serait pas l'invasion, comme on a pu le constater pour les pays de l'Est avec lesquels on a supprimé les visas. Plus les gens bougent moins ils s'installent et c'est l'effet pervers de la fermeture. Au sud comme à l'Est on constate beaucoup plus une aspiration à la mobilité qu'une aspiration à la migration d'installation.
L'ouverture s'accompagne de la lutte contre le travail clandestin. Si les clandestins viennent c'est qu'ils ont l'espoir, souvent couronné de succès, de trouver un emploi. Des secteurs entiers fonctionnent structurellement avec de l'immigration clandestine. Il faut arriver à une épreuve de vérité dans des secteurs comme le bâtiment, certains services, la restauration, le ramassage des fruits et légumes qui fonctionnent ainsi depuis des années. Cela implique un contrôle beaucoup plus sévère des employeurs. Et des quotas, non pas par nationalités, comme aux Etats-Unis, mais des quotas de main d'£uvre par secteurs et, enfin, éteindre tout espoir pour les autres.
C'est faux de dire qu'il s'agit de pillage des cerveaux car certains pays, au sud et à l'Est, n'ont plus les moyens d'absorber l'ensemble de leur main d'£uvre, même qualifiée.
Ceux qui sont opposés aux quotas disent que c'est une rupture de l'égalité de traitement. Est-ce l'égalité de traitement que de permettre aux gens de venir de manière aléatoire, parfois au risque de leur vie, pour grossir les rangs des clandestins?
D'ailleurs cette politique de maîtrise a été menée, on l'oublie, pendant des décennies. Ensuite elle a été abandonnée, en partie par laxisme, dans les années de croissance, entre 1965 et 1974.
Catherine Wihtol de Wenden: Il faut apporter des nuances. D'ailleurs en en parlant avec ceux qui ont fait ce rapport, ce ne sont que des projections et des propositions, cela n'a pas pour objectif de définir une politique. Il s'agit d'estimations. L'Europe devrait faire appel à 158 millions d'immigrés d'ici 2030, c'est énorme, mais les pays sont libres ce n'est en rien une politique en tant que telle. En ce qui concerne la main-d'£uvre on ne connaît pas, les économistes le confirment, les besoins du marché du travail à 50 ans. Il y aura des secteurs qui emploient beaucoup d'immigration clandestine dont certains vont grossir: les services, l'environnement, le tourisme et les loisirs. Mais d'autres secteurs auront besoin de beaucoup moins de main-d'£uvre à cause de l'informatisation.
Ces projections se basent sur la même situation du marché du travail qu'à présent, ce qui est peu probable. Les projections démographiques, elles, sont relativement fiables. Le vieillissement est déjà inscrit et le déclin démographique, sans changement des comportements, inexorable.
RFI: Est-ce grave quand on connaît les progrès de la productivité?
C.W.W.: En termes de marché du travail, pas nécessairement. En termes de créativité, oui. Et puis cela veut dire qu'il faudrait complètement revoir l'âge de la retraite, les montants des retraites, les politiques à l'égard du quatrième âge.
De plus, les taux du chômage vont baisser et il y a encore des réserves. L'Europe n'a pas fait le plein de tout son potentiel d'emplois. Il y a encore des femmes employées à temps partiel ou qui travaillent peu lorsqu'elles ont des enfants, c'est le cas de l'Europe du Nord ou de l'Allemagne. Les jeunes aussi sont plutôt sous employés jusqu'à 25 ans. Toutefois, très souvent, il n'y pas de compensation entre les secteurs où les gens sont au chômage et les secteurs qui ont besoin de main d'£uvre. Les besoins sont dans des secteurs très peu qualifiés, mal payés, irréguliers dans le temps, mobiles géographiquement et les secteurs très qualifiés, très pointus, avec des emplois assez précaires aussi comme le consulting ou l'expertise. Il n'est pas certains que les nationaux soient prêts à prendre ce genre de métiers.
RFI: On parvient donc à l'idée d'une immigration sélective?
C.W.W.: Oui, je suis sur cette ligne là. Parce que cela permet d'en finir avec le mensonge de l'immigration zéro et de la fermeture des frontières. On ne peut pas, pour l'instant, dire que l'on va ouvrir toutes les frontières à tout le monde, même si on peut penser que ce ne serait pas l'invasion, comme on a pu le constater pour les pays de l'Est avec lesquels on a supprimé les visas. Plus les gens bougent moins ils s'installent et c'est l'effet pervers de la fermeture. Au sud comme à l'Est on constate beaucoup plus une aspiration à la mobilité qu'une aspiration à la migration d'installation.
L'ouverture s'accompagne de la lutte contre le travail clandestin. Si les clandestins viennent c'est qu'ils ont l'espoir, souvent couronné de succès, de trouver un emploi. Des secteurs entiers fonctionnent structurellement avec de l'immigration clandestine. Il faut arriver à une épreuve de vérité dans des secteurs comme le bâtiment, certains services, la restauration, le ramassage des fruits et légumes qui fonctionnent ainsi depuis des années. Cela implique un contrôle beaucoup plus sévère des employeurs. Et des quotas, non pas par nationalités, comme aux Etats-Unis, mais des quotas de main d'£uvre par secteurs et, enfin, éteindre tout espoir pour les autres.
C'est faux de dire qu'il s'agit de pillage des cerveaux car certains pays, au sud et à l'Est, n'ont plus les moyens d'absorber l'ensemble de leur main d'£uvre, même qualifiée.
Ceux qui sont opposés aux quotas disent que c'est une rupture de l'égalité de traitement. Est-ce l'égalité de traitement que de permettre aux gens de venir de manière aléatoire, parfois au risque de leur vie, pour grossir les rangs des clandestins?
D'ailleurs cette politique de maîtrise a été menée, on l'oublie, pendant des décennies. Ensuite elle a été abandonnée, en partie par laxisme, dans les années de croissance, entre 1965 et 1974.
par Propos recueillis par Francine Quentin
Article publié le 27/07/2000 Dernière mise à jour le 26/07/2000 à 22:00 TU