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Chili

Pinochet isolé

En levant l'immunité parlementaire d'Augusto Pinochet, la Cour suprême a trouvé une légitimité qu'elle avait perdu pendant la dictature. Les adversaires de Pinochet exultent, ses partisans se résignent ou prennent leurs distances.
La député Isabel Allende avait hier du mal à retenir ses larmes. Fille du président socialiste mort le 11 septembre 1973 dans le palais présidentiel de La Moneda, elle ne pouvait que saluer la caractère historique de la décision de la Cour suprême. Car près de vingt-sept ans après le coup d'Etat, les efforts des victimes de la dictature étaient enfin récompensés.

Le même pouvoir judiciaire était pourtant pendant le régime militaire la cible de toutes les critiques. Il n'avait presque jamais accepté de se ranger du côté des victimes. Plus haute instance judiciaire du pays, la Cour suprême était alors considérée comme la plus servile. Et le fait qu'une très large majorité de ses membres -quatorze sur vingt- ait décidé hier de lever l'immunité parlementaire de Pinochet revêt une très grande importance.

Cette décision traduit en effet la volonté du pouvoir judiciaire de retrouver son prestige et sa légitimité. Et il est intéressant de noter que parmi les six juges qui se sont opposés à la levée de l'immunité parlementaire de Pinochet se trouvent trois magistrats nommés par le gouvernement militaire et encore présents au sein de la Cour suprême. Ce changement d'attitude de la justice chilienne est due à l'arrestation en Angleterre d'Augusto Pinochet le 16 octobre 1998. Soudainement, l'ancien dictateur n'était plus intouchable. Et pour obtenir la libération de l'ancien dictateur, le Chili se devait de démontrer que ses institutions judiciaires locales pouvaient fonctionner et que personne n'était au-dessus de la loi. Plusieurs juges ont alors décidé d'aller le plus loin possible, en proposant notamment une nouvelle interprétation de la loi d'amnistie décrétée en 1980 par le régime militaire.

Condamnation morale internationale

Les 503 jours de détention de Pinochet à Londres ont ainsi permis à la justice d'avancer énormément. Et le retour de l'ancien dictateur, libéré pour raisons humanitaires, n'a pas réussi à bloquer ce processus. Car Pinochet avait perdu énormément de pouvoir pendant cette absence prolongée. Ses héritiers politiques ont en effet profité de sa détention pour prendre leur distance. La condamnation morale internationale de l'ancien dictateur ne leur permettait en effet plus de se montrer aussi proches de lui. Seules les forces armées ont continuer à manifester un soutien inconditionnel à celui qu'elles considèrent toujours comme leur "chef spirituel". Une solidarité qui ne s'est exprimée, jusqu'à présent, qu'à travers certains gestes symboliques ou déclarations publiques.

Augusto Pinochet semble du coup complètement esseulé. Considéré par tous les secteurs de la société comme un acteur du passé, il ne possède plus aucune influence politique. Tous ses espoirs reposent désormais sur l'équipe juridique chargée de sa défense. Car il ne possède pas d'autre moyen pour sauver l'image de sauveur de la patrie qu'il a tenté d'imposer à la société chilienne au cours de ces dernières décennies.




par A Santiago du Chili, Olivier  Bras

Article publié le 09/08/2000