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Présidentielle 2000

« Gueï a chaud, on veut Gbagbo ! »

A la veille de l'élection présidentielle de dimanche, notre envoyé spécial a suivi la «caravane» Gbagbo dans une ville du sud. Reportage
De notre envoyé spécial en Côte d'Ivoire

Le petit cortège de voitures 4x4 roule tous feux allumés, malgré un soleil de plomb, sur le pont Houphouët-Boigny qui traverse la lagune d'Abidjan. En passant à travers les misérables bicoques de Port Bouët, un quartier bordant l'océan à la sortie de la ville, la file de véhicules qui roule à vive allure s'arrête brusquement. Des habitants des environs bloquent la route en faisant le «V» de la victoire, signe de ralliement du candidat du Front populaire ivoirien. Les autos doivent se frayer un chemin à travers la foule qui réclame Laurent Gbagbo assis dans une 4X4 aux vitres fumées. Puis la caravane redémarre lentement suivie d'une bande d'enfants criant «Gbagbo président».

A 48 heures du premier tour de l'élection présidentielle, le leader du FPI, seul poid lourd politique resté dans la course à la magistrature suprême face à Robert Gueï, entame ce vendredi la dernière étape d'une campagne marathon qui l'a mené, en moins de deux semaines, dans la plupart des régions de Côte d'Ivoire. Destination du jour : Aboisso, une petite ville sise sur une jolie rivière bordée de grands arbres. Capitale du Royaume Sanwi, qui s'opposa violemment à Félix Houphouët-Boigny à la fin des années 50, cette bourgade désormais sans histoire est aussi la ville natale de deux femmes que tout semble opposer : Henriette Konan Bédié, épouse du chef de l'Etat déchu, et Simone Gbagbo, femme du leader du Front populaire ivoirien, opposant de toujours au «père de l'indépendance».

Aboisso n'est située qu'à une centaine de kilomètres d'Abidjan. Mais pour le candidat à la présidence la route est longue. En arrivant à Bonoua, à une cinquantaine de kilomètres d'Abidjan, le cortège qui s'est progressivement allongé est accueilli par une foule en délire, qui submerge les véhicules en brandissant des panneaux flanqués d'affichettes à la gloire de son poulain. « On veut Gbagbo, on veut Gbagbo», crie une femme en boubou. Sortant d'une maison, une autre se met à danser. «Gueï, Gueï a chaud, Gueï a chaud!», scande une foule rigolarde, faisant référence à la candidature du chef de la junte ivoirienne.

Une marée humaine

Dans cette marée humaine, le cortège avance difficilement. Il s'arrête bientôt devant la cour royale, une bâtisse grisâtre où se réunit le conseil du souverain local, Agoulé Akar. Laurent Gbagbo se faufile à travers les dizaines de personnes postées devant l'entrée. Assis en rang les notables du village, habillés de tissus multicolores, écoutent l'allocution du représentant du roi. Ce dernier entame les salutations d'usage dues aux invités de marque en langue locale, dans un brouhaha indescriptible. «Dieu a choisi Laurent Ggabgo pour être président. Tout Bonoua t'offrira une large victoire», lance-t-il à l'adresse du chef du Front populaire ivoirien enfoncé dans un vieux canapé aux côtés de Guy Labertit, responsable Afrique du Parti socialiste français. «Dans la tradition africaine, je ne pouvais passer à Bonoua sans vous saluer», répond-t-il en se levant. Impossible en effet en Côte d'Ivoire, comme dans la plupart des pays africains, d'espérer obtenir les voix d'une communauté sans rendre les hommages aux notables.

Visiblement éreinté, le leader du FPI reprend bientôt sa route. «Nous on veut pas de combines avec les urnes», crie un homme au passage de la file de véhicules. Un nouveau bain de foule attend Laurent Gbagbo en arrivant à Aboisso. Après les salutations aux notables locaux, il entame son dernier meeting, avant la grande réunion finale prévue le lendemain à Yopougon, un quartier populaire d'Abidjan. L'assemblée sagement assise autour de la place attend son discours. Les hauts parleurs hurlent un morceaux de zouglou, une musique très populaires en Côte d'Ivoire. Puis la «Tigresse» Sidonie, une chanteuse qui suit la caravane de Laurent Gbagbo, entonne une de ses chansons pour chauffer le public. Le leader du FPI se dirige ensuite vers le podium où il tente quelques pas de danse. Puis il entame un discours clairement dirigé contre Robert Gueï. «Vous avez le choix entre un régime militaire déguisé en civil et un véritable régime civil et démocratique», lance-t-il d'une voix fatiguée par près de deux semaines d'interventions publiques. La foule entonne immédiatement un «vive Gbagbo». Il poursuit en justifiant ses prises de position contre Alassane Ouattara, son ancien allié au sein du Front républicain. «Je ne suis pas contre les musulmans. Mais la présidence n'est pas un lieu de retraite pour les anciens fonctionnaires internationaux», s'exclame-t-il devant une assemblée toute acquise à sa cause, avant de lancer un appel au calme.

A deux jours d'un scrutin que beaucoup estiment joué d'avance en faveur du général Gueï, sur la place centrale d'Aboisso on semble convaincu de la victoire du candidat du Front populaire ivoirien. A quelques mètres de là, un habitant glisse tout de même qu'il votera pour tout candidat qui mettra fin rapidement au règne des militaires. La veille les représentants du chef de la junte ont également fait le déplacement pour convaincre les électeurs de porter le général Gueï à la présidence ivoirienne. Mais pour ce dernier la lutte s'annonce difficile dans ce qui fut il y a quarante ans un bastion de l'anti-houphouëtisme.

par A Abidjan, Christophe  Champin

Article publié le 21/10/2000 Dernière mise à jour le 25/02/2011 à 12:10 TU