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Réchauffement climatique

Le climat, arme économique ?

Les débats de la conférence de l'Onu à la Haye sur les réchauffements climatiques sont entrés lundi dans le vif du sujet. Dans son discours d'ouverture, Jacques Chirac, président en exercice de l'Union européenne, a vivement invité les Etats-Unis, considérés comme les plus gros pollueurs de la planète, à respecter leurs engagements dans la lutte contre le réchauffement planétaire. Les pays riches sont en effet divisés sur les moyens de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Et le climat pourrait bien devenir, comme l'explique Sylvestre Huet, auteur de « Quel climat pour demain ? » (éditions Calmann-Lévy), une arme économique dont les pays du Sud pourraient faire les frais.
RFI : Près de 180 pays sont présents à la conférence de la Haye sur les changements climatiques. Pollueurs et pollués n'ont évidemment pas les mêmes revendications ni les mêmes moyens de lutte contre la pollution. Les pays pauvres ne sont-ils pas les principales victimes du réchauffement planétaire ?
Sylvestre Huet : Il est clair que les pays réagiront différemment en fonction du degré de gravité des conséquences des changements climatiques sur leurs populations. Ce degré de gravité va dépendre de leurs capacités à s'y adapter. Pour les pays du Sud, ils vont souffrir par exemple de la montée des eaux, ou des océans, qui va faire perdre des basses terres agricoles au Bangladesh par exemple, au nord du delta du Nil ou aux cordons littoraux en Afrique de l'Ouest. Ils vont probablement aussi souffrir des perturbations sur le régime des vents et des pluies et il est probable que le régime de la mousson soit modifié. C'est très important pour les paysans d'Asie du sud-est ou d'Afrique équatoriale. D'autre part, des zones arides, au sud du Sahel, pourraient connaître une sécheresse accrue et donc relancer d'une manière assez dramatique les problèmes de l'eau dans ces régions. Enfin, il n'est pas exclu que les cyclones tropicaux soient plus nombreux et plus intenses qu'aujourd'hui.

Sécheresses en Afrique

RFI : Peut-on s'attendre à des effets sur la santé dans les pays du Sud ?
S.H : Oui, mais il faut rester raisonnable. Les systèmes de santé sont, à l'heure actuelle, beaucoup plus responsables que les conditions géographiques de l'étendue des maladies tropicales. On l'a bien vu, des pays ont pu efficacement lutter contre le paludisme ou d'autres maladies infectieuses et de ce point de vue les modifications climatiques introduiront probablement des changements mais l'essentiel restera les conditions d'hygiène et de sécurité sanitaire dans les villes et les campagnes et ça, ça dépend beaucoup plus de l'organisation sociale que du climat.
Pour en revenir à la responsabilité et à la situation des pays pauvres, il est clair que les pays du Nord sont responsables de la pollution qui a lieu depuis un siècle, puisque c'est tout simplement en brûlant du charbon qu'ils sont devenus riches. C'est d'ailleurs cette richesse qui leur a permis de se tailler des empires coloniaux par la force des armes et en conséquence les pays pauvres sont bien placés pour leur rappeler cette dette. Mais pour le futur, il est bien clair que les pays pauvres vont acquérir une responsabilité au fur et à mesure de leur croissance, ce que tout le monde espère.


RFI : Quel est le véritable enjeu de cette conférence de la Haye ?
S.H : Cette question : comment arriver à un état de richesse en polluant le moins possible ? C'est finalement le véritable enjeu des négociations Nord-Sud liées au climat. C'est-à-dire que les pays les plus en pointe, l'Europe notamment, milite pour que la participation des pays du Sud à la négociation sur le climat se fasse sur la base d'un accord qui vise à des transferts de technologies propres du Nord vers le Sud, évidemment sous forme d'une aide. Il ne s'agit pas seulement, comme le proposent les Américains, de faciliter la vente par les industriels du Nord de technologies avancées au Sud. Il ne faut pas mettre ça sur un plan uniquement commercial, mais de solidarité entre pays riches et pays pauvres, de manière à ce que le développement économique des pays du Sud se fasse avec les technologies les plus économes en carbone fossiles possible. Si aujourd'hui le principal pollueur, ce sont les Etats-Unis, il est clair que lorsque les Indiens et les Chinois auront atteint un niveau de prospérité qui correspondrait à celui de l'Européen moyen, leur nombre fera que, en tant que pays ils deviendront les plus grands pollueurs à effet de serre.

RFI : Pensez-vous que le climat puisse être une nouvelle arme économique ?
S.H : Absolument, c'est un danger possible, pas dans l'immédiat mais à terme, notamment quand les changements climatiques se feront sentir de manière un peu plus rude et il n'est pas impossible que les pays du Nord, les plus puissants, tentent d'exercer un condominium technologique et politique sur les pays du Sud pour essayer de diminuer l'étendue des dégâts. Il est clair que certaines régions d'Afrique, notamment toute la bande sud du Sahel, pourraient être menacées par une sécheresse supplémentaire ou les paysans d'Afrique de l'ouest par des moussons encore plus irrégulières qu'aujourd'hui. De même, les modifications climatologiques sur l'Océan indien et pacifique pourraient influer sur les pluies en Afrique de l'ouest. En termes de risques, les changements climatiques pourraient aggraver les risques au Sud. Il faudrait chercher à les diminuer en ayant un développement le plus économe possible en gaz à effet de serre.
C'est un problème de richesse. Pour comprendre ça, il faut se reporter au passé. Des pays soumis à des problèmes climatiques sérieux, comme les Pays-Bas par exemple qui avaient à faire face en permanence à la menace de submersion des polders, ont dépensé des milliards pour construire un système de protection des côtes, qui est unique au monde. Le Québec doit faire face à des conditions climatiques très rudes chaque hiver. C'est avant tout un problème de moyens. Quand on n'en a pas, on est obligés de subir. Prenons l'exemple de l'agriculture, les paysans européens ou américains n'ont pas trop de soucis à se faire. Les paysans sont au c£ur du problème parce qu'ils constituent la majorité de la population en Afrique. Si on ne les aide pas, ils vont subir des crises qui vont probablement les jeter sur les routes ou vers les mégalopoles africaines, ou vers l'Europe. Il est clair que lorsque l'on habite dans une maison solidement construite avec des charpentes qui résistent à la tempête, on est plus à l'abri que lorsque l'on habite dans un bidonville de Lagos.



par Propos recueillis par Sylvie  Berruet

Article publié le 20/11/2000