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Balkans

La nouvelle donne

Les Serbes du Kosovo ont affecté de considérer les élections du 28 octobre comme un non-événement. La large victoire des modérés de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) pourrait pourtant avoir des conséquences inattendues sur le dialogue serbo-albanais. Alors que les autorités fédérales yougoslaves avaient estimé « inopportune » la tenue du scrutin municipal du 28 octobre û boycotté par les 100 000 Serbes vivant encore dans la province - le nouveau président yougoslave Vojislav Kostunica s'est déclaré prêt à rencontrer Ibrahim Rugova.
La victoire de la LDK était attendue par la plupart des observateurs, car le parti d'Ibrahim Rugova tire sa légitimité des années de résistance non-violente menée contre le régime de Belgrade, et parce que la population albanaise du Kosovo s'était vite lassée des excès nationalistes et de la corruption des anciens guérilleros de l'UCK, regroupés au sein du Parti démocratique du Kosovo (PDK) d'Ashim Thaçi.
L'ampleur de cette victoire a pourtant surpris. La LDK sera en mesure de contrôler 24 des 30 municipalités de la province, le PDK ne l'emportant que dans les petites communes rurales situées au sein des anciens fiefs de l'UCK, comme Glogovac et Srbica, dans la région de la Drenica. Trop vite enterré, Ibrahim Rugova fait de la sorte un retour impressionnant sur la scène politique du Kosovo.
L'administration internationale a tout lieu de se réjouir de cette nouvelle situation politique, même si l'on peut supposer que la passation des pouvoirs entre les hommes du PDK, qui avaient fait main basse sur la plupart des administrations communales du Kosovo, et les cadres de la LDK ne sera pas toujours aisé.
Pour autant, Ibrahim Rugova défend tout autant que le PDK l'objectif d'indépendance du Kosovo. Au lendemain des élections municipales, il a même tenu à rappeler que la résolution 1244 des Nations unies, qui prévoit un statut de « large autonomie » pour le Kosovo, mais dans le cadre de la Fédération yougoslave, pouvait être revue. Les Albanais attendent désormais au plus vite la convocation d'élections générales au Kosovo, qui devraient, à leurs yeux, représenter «un pas de plus» vers l'indépendance.

De quoi Kostunica et Rugova peuvent-ils parler?

Le boycott observé par les Serbes du Kosovo limite pourtant la légitimité de la consultation du 28 octobre. Pour pallier les effets de ce boycott, la MINUK a prévu de nommer des représentants des minorités dans les conseils, au prorata de leur importance dans les communes concernées. La situation vire au grotesque dans les quelques communes du nord du Kosovo où ne vivent presque que des Serbes.
Dans la commune de Zvecan, par exemple, il y avait 27 électeurs inscrits pour 23 sièges à pourvoir et, le 28 octobre, un seul électeur s'est présenté. Bernard Kouchner ne se dément pourtant pas de son enthousiasme, estimant qu'il sera possible, «d'ici quelques mois», d'organiser un nouveau scrutin dans ces commune serbes, avec la participation de tous les électeurs.
Les autorités de Belgrade ont annoncé mardi la constitution d'un Comité pour le Kosovo, dirigé par Momcilo Trajkovic, leader historique des Serbes de la province et porte-parole de l'Opposition démocratique de Serbie (DOS) pour le Kosovo. Les dirigeants serbes du Kosovo opposés à Slobodan Milosevic ne font pas mystère de leurs espérances de trouver, désormais, une plus grande compréhension auprès des autorités internationales.
De quoi Vojislav Kostunica et Ibrahim Rugova peuvent-ils cependant parler ? Le leader albanais s'en tient à l'objectif de l'indépendance, tandis que pour le président yougoslave, tout est négociable, sauf la souveraineté yougoslave sur la province. La promesse d'un dialogue constitue un premier pas, mais il faudra que Vojislav Kostunica aussi bien qu'Ibrahim Rugova fassent preuve de beaucoup de réalisme pour éviter l'écueil d'un dialogue de sourds.





par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 09/12/2000