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Algérie

La guerre des clans militaires

Pour la première fois depuis le début de cette guerre, en 1992, un témoignage exceptionnel nous permet de connaître de l'intérieur ce qui s'est véritablement passé à Bentalha, une banlieue éloignée d'Alger, le 22 septembre 1997, à la tombée de la nuit, lorsque 400 hommes, femmes et enfants ont été méthodiquement massacrés par des dizaines d' « égorgeurs ». Sous le regard de nombreux militaires qui avaient pris position à quelques mètres de là avec des blindés et des ambulances, dans le but d'empêcher les voisins de porter secours.
Nesroulah Yous était là. Il a vécu cette nuit de cauchemar et nous raconte aujourd'hui, dans le livre « Qui a tué à Bentalha ? » (Ed. La Découverte) ce massacre programmé par les services secrets algériens et perpétré par un « commando » très peu islamiste.
Dans une longue post-face, Salima Mellah et François Gèze racontent cette « seconde guerre d'Algérie » qui a déjà fait plus de 150.000 et expliquent comment de nombreux massacres attribués aux « maquis islamistes » sont vraisemblablement le résultat d'une autre guerre : celle qui oppose le clan des officiers « éradicateurs » aux « dialoguistes » qui ont (en vain) tenté de privilégier la logique de la réconciliation entre tous les courants de la société algérienne. Voici un extrait de cette post-face, consacré à la guerre des clans. Une guerre qui continue toujours.
Selon le sociologue algérien Lahouari Addi, « le bon fonctionnement du système suppose que le militaire désigné comme chef de l'Etat ne cherche pas à conquérir son autonomie par rapport à l'armée pour mieux s'imposer à elle. Si le président prend à la lettre son rôle constitutionnel de ôchef suprême des forces arméesö, la répartition des pouvoirs entre en crise. D'où le coup d'Etat de Houari Boumediene contre M. Ahmed Ben Bella en juin 1965, la démission forcée de M. Chadli Bendjedid en janvier 1992 ou bien encore la disparition tragique de Mohamed Boudiaf en juin 1992 ». D'où également le conflit qui oppose le président-général Liamine Zéroual aux principaux chefs de l'armée à partir de la fin de 1996.
C'est en janvier 1994, après la période de transition ouverte par l'assassinat de Mohamed Boudiaf ù lequel avait eu le tort de s'intéresser de trop près à la corruption des généraux qui l'avaient appelé à la magistrature suprême ù, que Liamine Zéroual est désigné comme président par les « décideurs » de l'armée. Avec l'aide de son « conseiller à la sécurité », le général Mohamed Betchine, ancien patron de la Sécurité militaire, Zéroual mettra en £uvre la construction d'une « démocratie de façade », conforme au plan conçu par ses pairs : en novembre 1995, il est élu président de la République à l'issue d'élections notoirement truquées et, en novembre 1996, il fait approuver par référendum une nouvelle Constitution qui conforte les prérogatives présidentielles. Un « édifice institutionnel » qui sera parachevé par des élections législatives et communales (juin et octobre 1997), également marquées par la fraude pour assurer l'hégémonie du nouveau parti du pouvoir, le Rassemblement national démocratique (RND).
« Eradicateurs » et « dialoguistes ».

Mais progressivement, à partir de 1996, Liamine Zéroual et son conseiller paraissent succomber à la même tentation que leurs prédécesseurs, celle de l'émancipation, en s'appuyant sur la « légitimité » issue de la manipulation des urnes ù même si, nous y reviendrons, cette volonté d'émancipation ne vise aucunement à remettre en cause la logique du système de pouvoir et la solidarité des clans qui le composent. Les tensions entre ces derniers portent en général sur le partage des ressources financières issues des circuits de la corruption, et, en conséquence, sur les modalités de gestion de la « crise » (euphémisme utilisé pour désigner la guerre civile).

L'accord de Rome est jugé inacceptable

Au cours de la période, ces divergences opposent donc le clan du président Zéroual et de son conseiller Betchine à celui des « décideurs » militaires qui les ont nommés. Le noyau dur de ces derniers est composé notamment du chef de l'état-major Mohamed Lamari et des deux patrons de la Sécurité militaire, Mohamed Médiène et Smaïn Lamari, associés à leurs « parrains » Khaled Nezzar et Larbi Belkheir : ces hommes, parfois qualifiés de « janviéristes » (car ils ont été les organisateurs du coup d'Etat de janvier 1992), sont partisans du « tout-sécuritaire » et affichent comme objectif l'« éradication » définitive des opposants islamistes (armés ou non) ; ce sont eux, on l'a vu, qui conduisent la guerre et manipulent la violence depuis 1992. Ce qui ne signifie pas qu'ils forment eux-mêmes un clan totalement homogène : même s'ils partagent des objectifs communs, il peut leur arriver de s'opposer, dans des conflits dont les enjeux restent souvent obscurs. Ils semblent en tout cas avoir été relativement solidaires vis-à-vis de Liamine Zéroual et surtout de son bras droit Mohamed Betchine, dont ils chercheront de plus en plus ouvertement au fil des mois à se débarrasser, n'appréciant pas que ce dernier tire parti de la libéralisation préconisée par le FMI pour accroître son pouvoir financier et politique au point d'être tenté de préparer sa candidature au poste présidentiel pour l'an 2000.

La première cassure entre les deux clans sera une conséquence lointaine de l'« accord de Rome » signé en janvier 1995 par les principaux partis de l'opposition, dont le FIS. Dans ce « pacte national » pour la résolution de la crise, les signataires affirment des principes communs (liberté d'opinion, respect de l'alternance démocratique, renoncement à la violence, reconnaissance de la diversité linguistique, etc.) et proposent à l'armée de mettre en place des structures de transition menant à de nouvelles élections. Une telle perspective, qui conduirait inévitablement à remettre en cause les privilèges du pouvoir, est jugée unanimement inacceptable par ses différents clans : ils rejettent « globalement et dans le détail » l'offre de paix.

Mais vu l'écho qu'elle rencontre au plan international, ils ne peuvent rester sans réagir. Ils vont le faire surtout de deux façons : en lançant le processus électoral destiné à leur donner une légitimité « démocratique », et en intensifiant le niveau de violence dans le pays ù opérations militaires spectaculaires contre les maquis de l'opposition armée, liquidation de plusieurs responsables islamistes emprisonnés lors de la répression sanglante en février 1995 d'une « mutinerie » à la prison de Serkadji, intensification des massacres perpétrés par de faux islamistes, multiplication des milicesà C'est aussi l'époque où les GIA frappent à nouveau des cibles étrangères, et pour la première fois à l'extérieur du pays : assassinat de deux Français expatriés en mai 1995 à Ghardaïa, attentats aveugles en France qui, de juillet à octobre, font dix morts et près de deux cents blessés, suivis en mai 1996 de l'assassinat de sept moines trappistes de Tibhérine, près de Médéa. Dans tous ces cas, les services de renseignements occidentaux acquerront la conviction que ces crimes ont été commis à l'initiative des services algériens , dans le but de dissuader le gouvernement français d'appuyer la démarche de l'accord de Rome et de le convaincre au contraire de soutenir l'option de « guerre totale » des généraux algériens.

Pas d'autonomie pour le président

A partir de la fin 1996, Liamine Zéroual et Mohamed Betchine agissent comme s'ils semblent convaincus que la réforme constitutionnelle approuvée par référendum leur offre un nouvel espace d'autonomie. Et que cette politique de violence tous azimuts n'est plus la meilleure manière d'assurer la pérennité du régime. Ils commencent alors à rechercher les voies d'une solution plus « politique », qui passerait notamment par un accord avec les islamistes du FIS.
Les premières divergences se font jour sur la manière de constituer le nouveau parti « officiel » ù ce sera le Rassemblement national démocratique (RND) ù dont le principe a été décidé, dans la perspective des prochaines élections législatives et communales, par l'ensemble des « décideurs » militaires réunis en « conclave » en janvier 1997 : simple substitut à un « Etat-FLN » trop usé, pour les « janviéristes », ou parti « présidentiel » porteur d'un « renouveau » du système, pour Zéroual et Betchine ? Dans cette logique, ces derniers engagent des pourparlers discrets avec les chefs politiques du FIS, en particulier Abdelkader Hachani (lequel sera libéré de prison en juin 1997) et Ali Djeddi.
On ignore bien sûr le détail des débats qui se mènent alors entre le clan Zéroual/Betchine et celui des généraux « éradicateurs ». Toujours est-il que ces derniers envoient au premier plusieurs « signes » qui manifestent leur désaccord. Le premier est sans doute l'assassinat, le 28 janvier 1997, de Abdelhak Benhamouda, secrétaire général de l'Union générale des travailleurs algériens (le syndicat officiel), que Liamine Zéroual avait pressenti ù contre l'avis des « janviéristes » ù pour prendre la tête du nouveau parti officiel. Un crime revendiqué par un groupe islamiste se disant « indépendant et libre » et qui va donner lieu à une mise en scène bien dans la tradition des « services » : l'assassin présumé, Rachid Medjahed, rapidement arrêté, est contraint à faire des aveux télévisés, avant d'être e



Article publié le 20/12/2000