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Algérie

Haro sur le président Bouteflika !

Quatre-vingt-dix morts en quatre jours, auxquels il faut ajouter trois personnes assassinées dans la nuit du 22 au 23 décembre. Plus de 270 depuis le début du Ramadan, environ 1.200 depuis le mois de juillet. La «concorde civile» prônée par le président algérien depuis juillet 1999 est sérieusement mise à mal par les massacres attribués aux «maquis islamistes» mais aussi par les commentaires de plus en plus acerbes des médias privés qui demandent ouvertement de «changer de cap».
« Le silence des pouvoirs publics, en premier lieu du président de la République, devient de plus en plus inquiétantà Penser que le terrorisme est à un stade résiduel est un symptôme déclaré d'une cécité dans un état avancé. Se taire et ne pas changer de stratégie, c'est faire preuve d'une impuissance devant le phénomène du terrorisme qui dispose toujours d'un terreau favorable ». Le Jeune Indépendant, dans son éditorial du 20 décembre, a d'ores et déjà « ouvert le feu » sur le président Bouteflika, en même temps que d'autres médias privés. A commencer par Le Soir d'Alger qui a prononcé une véritable sentence définitive : « La démarche de concorde civile éprouvée par le pouvoir depuis juillet 1999 s'est révélée être une ère où le discours magique est superposé à une situation tragique. Le choix de la démarche de concorde civile - car il y en avait d'autres - s'est avéré politiquement périlleux, militairement erroné et moralement indigne ». Pour lui la « coalition artificielle (au pouvoir) a rompu sous l'effet émotionnel de l'ignoble boucherie du lycée de Médéa. L'échec est consommé. Il peut cependant se multiplier, si tel est le voeu du pouvoir ».

Seul le quotidien gouvernemental El Moudjahid estime qu'il faut persévérer sur « la voie de la paix » et donc de l'amnistie accordée aux terroristes repentis qui acceptent de se rendre. Il continue de croire que les terroristes « ultras ne s'illustrent plus que par des actions de desperados et leur temps est compté », avant de préciser qu'ils « ne peuvent empêcher la dynamique salutaire qui s'est enclenchée d'arriver à son terme ». Mais son optimisme se heurte une fois de plus aux faits : 90 personnes, pour la plupart des civils ont été massacrées en quatre jours seulement, au moment où devait s'ouvrir le procès des assassins présumés du chanteur kabyle Lounès Matoub. Selon les « éradicateurs », adversaires acharnés de l'amnistie et de la politique de concorde nationale, toute concessions faite aux islamistes armés est perçue comme un signe de faiblesse de l'Etat.

Le même sort que ses prédécesseurs ?

Au moment où des rumeurs circulent de nouveau sur une éventuelle mise en liberté du leader radical du FIS Ali Bel Hadj, le président Bouteflika continue de garder le silence. Il est de facto placé dans une situation plus qu'inconfortable : soit il poursuit sa politique de concorde et d'ouverture vis-à-vis du courant islamiste, et il mécontente tous les « éradicateurs », présents dans les médias comme dans les hautes sphères militaires ; soit il change radicalement de stratégie et se range du côté des partisans de la guerre à outrance contre les « maquis » (officiellement) islamistes, au risque de se heurter aux officiers supérieurs qui semblent tirer les ficelles de quelques-uns de ces « maquis ».

Les derniers attentats sont apparemment l'£uvre de deux Groupes islamistes distincts : à l'ouest et au sud d'Alger, le GIA d'Antar Zouabri ; à l'est, et surtout en Kabylie, le GSPC d'Hassan Hattab. Pourquoi sont-il repassés à l'attaque maintenant et s'en prennent presque exclusivement à des simples passants voire des jeunes lycéens ? Cette stratégie, typiquement terroriste, vise à provoquer la panique dans la population et donc le rejet par l'opinion publique de celui qui est retenu responsable de la situation, à savoir le président de la République, « coupable » de vouloir négocier avec les islamistes.

Celui-ci est ainsi devenu, en quelques jours seulement, un bouc émissaire tout désigné. Risque-t-il d'ores et déjà de connaître le même sort que ses prédécesseurs, Lamine Zeroual et Chadli Bendjedid, qui ont été limogés du jour au lendemain par les plus hauts responsables militaires du pays ?

Le 26 août dernier, l'ancien premier ministre Ahmed Benbitour avait déclaré, lors de sa démission, qu'il s'en allait à cause de l'existence d'un « cabinet fantôme » qui dirige de fait l'Algérie et qui fait la pluie et le beau temps dans un secteur clé : l'économie, qui est basée sur une rente pétrolière de plus ne plus importante. D'autres parlent le plus souvent de « conclave des généraux » qui aurait fait et défait tous les présidents algériens depuis Boumediène (mort en 1978). Enfin, force est de constater que les reformes - notamment la libéralisation tant attendue du secteur des hydrocarbures - sont régulièrement renvoyées aux calendes grecques, et continuent donc de profiter à ceux qui dirigent l'Etat algérien.

En 1997, le président Zeroual avait lui aussi tenté de s'émanciper peu à peu par rapport aux principaux « clans militaires », et de rétablir un certain dialogue avec le courant islamique le moins radical, ainsi que de mettre un terme à la détention « clandestine » des principaux dirigeants du FIS. Dans le but de « retrouver le chemin de la paix et de la concorde ». Du massacre de Bentalha (plus de 400 morts), en septembre 1997, à l'assassinat de Lounès Matoub, en juin 1998, une longue période de terrorisme, officiellement attribué aux islamistes, avait alors permis à l'armée de se défaire du général-président Zeroual. Un président aussi « mal élu » que son successeur Bouteflika, qui ne cesse de dire, depuis son arrivée au pouvoir, qu'il n'est pas « trois-quarts président ».



par Elio  Comarin

Article publié le 23/12/2000