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Inde

La mauvaise coordination des secours

Cinq jours après le séisme qui a ravagé l'ouest de l'Inde, les secours ont du mal à canaliser l'aide et le matériel venus du monde entier, notamment à Bhuj. Un manque de coordination menace de gêner l'ensemble des opérations. L'un des problèmes majeurs reste la distribution des secours dans certaines localités très affectées.
De notre envoyé spécial au Gujarat

«Je n'ai jamais vu une telle confusion. Nous avons atterri à Ahmedabad voilà douze heures avec 150 000 couvertures, plusieurs tonnes de médicaments, deux hôpitaux de campagne où il est possible d'effectuer tous les types d'opération. Ce matériel doit être mis le plus rapidement possible à la disposition des blessés. Or personne n'est capable de nous dire où nous devons intervenir ni comment rejoindre notre théâtre d'opération. Les responsables indiens auxquels nous nous adressons répondent qu'ils ne savent pas, que ce n'est pas de leur compétence et nous demandent de nous adresser à quelqu'un d'autre. Nous perdons un temps précieux». Cheveux courts et moustache blonde, Lauritzen Holvar, le délégué de la Croix-Rouge norvégienne, commence à perdre patience.

Son énervement, partagé par plusieurs équipes internationales, illustre le manque de coordination des secours de la part des autorités indiennes. «C'est au point que l'on se demande si l'Inde veut vraiment de l'aide étrangère», soupire un pompier français. Six jours après le tremblement de terre qui a ravagé l'Etat du Gujarat, dans l'ouest de l'Inde, l'aide internationale est désormais très présente. Maîtres-chiens suisses, pompiers français, médecins espagnols, équipes israéliennes et coréennes. Seize nationalités sont représentées. Même le Pakistan, ennemi de toujours de l'Inde, participe à l'effort collectif.

Des avions-cargos transportant du matériel de première urgence atterrissent régulièrement à Ahmedabad et Bhuj. Néanmoins sur le terrain, la situation reste dramatique : les survivants manquent de tout, les blessés attendent longtemps avant d'être soignés, on redoute des épidémies, les corps prisonniers des décombres commençant à se décomposer, et des centaines de villages n'ont toujours pas été atteints par les secours. «Nous avons retrouvé mercredi des victimes qui avaient essayé de construire un tunnel sous les gravats. Nous les aurions sauvés si nous étions intervenus plus vite» déplore le lieutenant Prandeep Sandhu, qui supervise les recherches dans le quartier de Satellite Road, à Ahmedabad.

«Une leçon d'humilité pour l'Inde»

Tout en étant actives, les autorités indiennes semblent dépassées par l'ampleur de la catastrophe. A la cellule de crise mise en place par le gouvernement à Gandhinagar, la capitale administrative du Gujarat, personne n'est capable de répondre aux questions précises. Les numéros d'urgence ouverts en faveur du public sonnent aux abonnés absents. Les personnalités sont mieux traitées. A cause des mesures de sécurité, la visite du Premier ministre indien à Bhuj, lundi, a retardé de dix heures l'envoi de matériel de secours dans la ville la plus affectée par le séisme.

Dans un pays où la bureaucratie envahissante a toujours été l'ennemi de l'efficacité, la gestion d'une telle crise devient très difficile. Du fait du manque de coordination des secours, personne ne sait qui fait quoi, et de nombreux volontaires mènent leurs opérations dans leur coin. Résultat : des districts reçoivent beaucoup d'aide, et d'autres pas du tout. Des milliers de couvertures et de biscuits vitaminés ont été envoyés à Bhuj, mais rien n'est prévu pour les distribuer. Les médicaments acheminés ne sont pas toujours ceux attendus. «Nous avons reçu des caisses et des caisses de gants. Mais nous manquons de seringues, d'anti-douleurs et de sang. On peut se protéger les mains, mais pas soigner les blessés», s'énerve un chirurgien venu de Bombay.

A la décharge des autorités indiennes, leur tache est à la frontière de l'impossible. La taille du Gujarat est comparable à celle de l'Autriche ; des centaines de villages se trouvent à six heures de route de la première ville, et le nombre des victimes dépasse les estimations les plus pessimistes. Comme le souligne Anil Kapoor, un journaliste d'Ahmedabad : «Cette catastrophe est une leçon d'humilité pour l'Inde au moment où le gouvernement ne cesse de répéter que nous sommes la nouvelle grande puissance du XXIème siècle. Certes nous sommes une puissance nucléaire et informatique, mais nous sommes avant tout un pays en développement, encore très pauvre. Exporter des logiciels dans le monde entier, mais être incapable d'acheminer une grue devant un immeuble effondré, c'est tout le paradoxe de ce pays».



par Jean  Piel

Article publié le 31/01/2001