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Nations unies

Les Etats-Unis paieront moins

Un don de 34 millions de dollars du milliardaire Ted Turner permet aux Etats-Unis de réduire durablement leur contribution au budget des Nations Unies. En échange, Washington devrait consentir à rembourser sa dette colossale auprès de l'organisation. De son côté, l'Union européenne ne paiera pas un dollar de plus. Ce sont les pays dits émergents qui règleront la différence dans un an.
De notre correspondant à New York

Mission accomplie pour Richard Holbrooke. Après 16 mois d'un lobbying intense, l'ambassadeur américain à l'ONU achève l'année sur une victoire: «Nous sommes passés d'une mission impossible à une mission accomplie», fanfaronnait l'ambassadeur au lendemain d'un accord arraché aux 188 autres Etats membres des Nation Unies. Cette année, la contribution américaine passera de 25% à 22% du budget ordinaire de l'ONU, et de 30% à 27% du budget des opérations de maintien de la paix. C'est très proche de ce qu'exigeait le Congrès américain, qui doit maintenant se prononcer sur l'accord.

Pour l'ONU, cette réduction de la part américaine représentait un manque à gagner de 34 millions de dollars, qui devait être compensé par les autres pays. Autant dire qu'ils n'ont pas été faciles à convaincre. Richard Holbrooke a mis tout son poids dans la balance, usant d'un argumentaire simple. Le niveau des contributions, inchangé depuis les années soixante-dix, ne reflétait plus le poids réel des pays dans l'économie mondiale. Ceux qui se sont enrichis depuis devaient mettre la main au portefeuille. Pour censé qu'il soit, le message passait mal, il a fallu l'agrémenter d'un chantage: contre la satisfaction de leur revendication uniquement, les Etats-Unis s'engageaient à rembourser une partie de leur dette de près de 1,3 milliards de dollars auprès de l'organisation. La somme, retenue par le Congrès, empoisonnait les relations de l'Amérique avec l'ONU, accusée par les conservateurs d'inefficacité, de gaspillage, voire d'un parti-pris antiaméricain.

L'Europe a très tôt fait savoir qu'elle ne débourserait pas un dollar supplémentaire. L'Union européenne paye déjà plus que son poids dans l'économie mondiale avec 36% du budget ordinaire et 39% du budget des opérations de paix, elle considérait la demande de réduction américaine injuste. Parmi les membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine et la Russie ont accepté de manière symbolique d'augmenter leurs cotisations qui restent aux alentours de 1%. Mais le Japon ayant également obtenu une réduction de sa contribution de 20,5% à 19,6% récession oblige, la question demeurait entière: qui allait payer pour l'ONU?

Négociations houleuses

L'équité la plus élémentaire interdisait de faire supporter la surcharge aux pays dont le revenu moyen se situe en dessous de la moyenne mondiale et qui bénéficient traditionnellement d'un «discount» de 80 % payé par les plus riches. Certains, comme Israël, la Hongrie ou la Slovénie ont accepté de bon gré de passer du côté des «payeurs». Mais certains des pays dits émergents, ou nouveaux riches, ont été plus réticents. C'est surtout le cas de la Corée du sud, qui a failli faire échouer les négociations jusqu'au dernier moment, ou du Brésil, qui a jugé l'accord «injuste». Parmi la vingtaine de nouveaux venus dans le groupe des «infortunés privilégiés» se comptent également l'Argentine, les pays du Golfe, la Hongrie, la Thaïlande ou Singapour. Après des nuits de négociations tendues, parfois houleuses, la plupart sont convenus d'une augmentation de leur participation. Mais ils refusaient obstinément de commencer à payer le surplus dès cette année, au prétexte que les budgets nationaux étaient déjà bouclés.

C'est là qu'intervient le philanthrope Ted Turner, pour un «happy end» très américain. Connu pour son penchant onusien, le fondateur de CNN a fait don voilà trois ans d'un milliard de dollars à l'organisation, financièrement fragile. Cette fois, il propose de faire aboutir les négociations qui donnent une chance aux Etats-Unis de repartir sur des bases saines avec l'ONU, en proposant de régler cash les 34 millions de dollars manquants. Curieux don que celui d'un des hommes les plus riches du monde, qui paye à la place du pays le plus riche du monde, mais tout le monde y trouve son compte: le Congrès américain est content, les pays émergents soufflent, et le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan peut déclarer, alors que la neige tombe sur New York, que «c'est le plus beau cadeau de Noël possible pour notre organisation».



par Philippe  Bolopion

Article publié le 01/01/2001