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Télévision

<i>Fatou la Malienne </i>suscite la controverse

Peut-on mettre en scène les minorités ethniques à la télévision française sans tomber dans les clichés ? C'est la question que pose Fatou la malienne, téléfilm de Daniel Vigne diffusé le 14 mars sur la chaîne France 2 et prochainement sur TV5 Afrique.
Fatou, jeune Française d'origine malienne, habite Paris dans le quartier de Barbès. De son pays elle ne connaît pas grand chose, comme beaucoup de jeunes Africains nés dans l'Hexagone. Indépendante, insouciante, elle travaille dans un salon de coiffure africain. Et si les études ne l'intéressent pas, elle a un rêve : poursuivre son métier dans la mode et le cinéma. Fatou, interprétée par la comédienne d'origine sénégalaise Fatou N'Diaye, respire le bonheur d'une vie sans histoires. Elle a deux grandes copines : Gaëlle la bretonne (Elodie Navarre) et Leïla (Faïza Younsi), une jeune «beurette», un petit frère, Sidi (Dioucounda Koma), qu'elle adore, et des parents, interprétés par Pascal Nzonzi et Mariam Kaba, souriants et aimants.

Tout irait pour le mieux si ce couple d'immigrés maliens, vivant à la française mais attachés à la tradition, ne décidaient sur insistance de la famille élargie de marier leur fille à Bakary (Paulin F.Fodouop). Il est jeune, riche û il a réussi dans la production musicale - et aime le faire savoir. Le hic c'est que Fatou ne l'aime pas et n'a absolument pas l'intention de l'épouser. «Ce n'est pas dans mes projets», lance-t-elle naïvement à ses parents. Elle n'imagine pas un seul instant ce qui va suivre : un mariage forcé, puis la séquestration dans la «chambre nuptiale», où elle sera violée pendant une semaine. Libérée par son amie Gaëlle avec l'aide de son frère, elle porte plainte contre la soeur de son père, organisatrice en chef de cette cabale et file s'exiler en Bretagne où elle trouve un emploi dans un salon de coiffure.

Colère dans la communauté malienne

Alors que les télévisions françaises commencent timidement à s'ouvrir aux communautés noires, maghrébines ou asiatiques, la programmation en prime time d'un long métrage dont l'héroïne est une française d'origine malienne, n'était pas sans audace. L'initiative a d'autant plus été saluée par la presse, que le film, loin d'être un long-métrage prétexte, a obtenu le prix du Festival international des programmes audiovisuels en janvier 2001 à Biarritz. Le téléfilm a même fait un tabac en attirant près de 8 millions de spectateurs, France 2 devançant ainsi toutes les autres chaînes en début de soirée, lors de la diffusion le 14 mars.

Il n'a toutefois pas été reçu avec le même enthousiasme par le Haut conseil des Maliens de France, qui a protesté auprès de la chaîne publique et tenté d'obtenir sa déprogrammation. Dans une lettre à France 2, son représentant a estimé que ce long-métrage «ne pourra qu'alimenter un discours xénophobe reprouvé par la majorité des Français». «Nous craignons une image négative pour la communauté malienne et nous considérons cette diffusion comme inamicale à l'égard du Mali», ajoute-t-il.

Cette réaction a été accueillie avec étonnement chez France 2, où l'on souligne la nécessité de «traiter des sujets sensibles» qui peuvent faire avancer la condition des femmes. «Si on parlait souvent de cette communauté à la télévision française, cela ne poserait pas de problème. Mais dans la mesure où ce n'est pas le cas on peut comprendre leur mécontentement», reconnaît cependant un professionnel de l'audiovisuel.

De fait, la programmation de Fatou la Malienne à une heure de grande écoute a été saluée comme un événement, moins par le sujet difficile qu'il traite, que par sa volonté de mettre en scène une héroïne noire. Initiative plutôt rare en France. Dans ce contexte, le film a beau vouloir sortir des clichés, il en reste largement prisonnier. En voulant évoquer le sujet douloureux du mariage forcé, alors que la communauté africaine de France est quasi-absente du petit écran, son réalisateur prend le risque de conforter le téléspectateur français «moyen», dans l'idée que «ces gens-là ne sont décidément pas comme nous». Il devrait en revanche avoir un écho sensiblement différent sur le continent noir, voire carrément provoquer un rejet. A TV5 Afrique, co-producteur du téléfilm, on estime que sa diffusion ne peut que contribuer à bousculer les mentalités dans des régions où le mariage forcé est encore monnaie courante. Le débat n'est pas clos.



par Christophe  Champin

Article publié le 16/03/2001