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Congo démocratique

Le rapport qui dérange

Faut-il ou non publier tel quel le rapport des enquêteurs de l'ONU sur le pillage des ressources de l'ex-Zaïre, alors que le processus de paix est pour la première fois sur les rails ? Le débat agite l'Organisation des Nations Unies, à la veille de la publication d'un document très embarrassant pour le Rwanda et l'Ouganda.
Le rapport de la commission d'enquête des Nations Unies sur l'exploitation illégale des richesses de la RDC qui doit être publié incessamment suscite un débat discret, mais intense, à la veille de sa publication. Mis en place en septembre 2000, ce groupe de cinq experts, présidé par l'ancienne ministre ivoirienne de l'Energie Safiatou Ba-N'Daw, avait six mois pour établir la véracité des accusations de pillage des ressources naturelles du Congo à l'encontre des belligérants et des armées étrangères impliquées dans la guerre qui divise ce gigantesque pays d'Afrique centrale. A l'époque, les multiples tentatives de règlement du conflit avaient échoué. Plusieurs pays, dont la France, défendaient depuis plusieurs mois la thèse selon laquelle les richesses, notamment minières, de l'ex-Zaïre sont le nerf de la guerre, comme en Angola et en Sierra Leone. Le secrétariat général de l'ONU, qui avait déjà suscité des enquêtes aux résultats explosifs sur ces deux derniers pays, avait soutenu alors l'idée d'une commission d'enquête indépendante.

Depuis, Laurent-Désiré Kabila a été assassiné, le 16 janvier dernier, et le processus de paix en RDC a connu des avancées inimaginables il y a encore quelques semaines. Tous les belligérants ont accepté de retirer partiellement leurs troupes. Or, selon nos informations, les conclusions des enquêteurs constituent une charge particulièrement sévère contre le Rwanda et l'Ouganda, même si le Zimbabwe et l'Angola n'en sortent pas totalement blanchis. D'après l'une des versions préliminaires du rapport, communiquée par l'un des enquêteurs au secrétariat général de l'ONU, début mars, la plupart des accusations portées ces derniers mois contre Kigali et Kampala sont confirmées, avec force détails. Il est notamment question du pillage par l'armée rwandaise et le RCD Goma, mouvement rebelle qu'elle contrôle, des ressources de coltan et de cassitérite, accumulées par la société minière du Kivu. Opération qui aurait permis aux Rwandais et à Bizima Karaha, l'un des dirigeant du RCD, d'obtenir un prêt de cent millions de dollars dans des banques américaines. Plusieurs banques de Kisangani, dans la province orientale, auraient par ailleurs été pillées par des militaires du Rwanda et du RCD, avant leur départ pour Bunia, une ville proche de la frontière ougandaise.

Le nerf de la guerre

Le rapport préliminaire ferait également état du démantèlement et du transfert d'installations industrielles par le RCD. Il confirme en outre l'implication de l'armée ougandaise (UPDF) dans l'exploitation de l'or congolais, en particulier à Watsa (nord-est du pays), par des gradés, de même que celle du bois autour de Bunia. A Kisangani, haut lieu du commerce du diamant, la plus importante société négociante appartient à des proches du président ougandais, Yoweri Museveni. Les gemmes - présentées comme provenant de République centrafricaine, du Rwanda ou de l'Ouganda - sont ensuite commercialisées à Anvers (Belgique), la « Mecque » du diamant. De quoi aisément financer l'effort de guerre.

De son côté, le Rwanda aurait même créé un «Congo desk», chargé de gérer les revenus des activités commerciales des militaires rwandais dans l'Est de la RDC. Il percevrait notamment une taxe de 5% sur les bénéfices de l'exploitation du coltan, estimés à 90 millions de US dollars en trois ans. L'opération sert à financer l'effort de guerre et à maintenir les dépenses militaires officielles à un niveau acceptable pour les bailleurs de fonds.

Le travail des enquêteurs apporte d'autre part des éclaircissement sur les sociétés ou les personnalités impliquées dans ces multiples trafics. Kigali aurait, par exemple, confié à une entreprise russe, Elit-Master, une concession de coltan, contre des armes, transportées par les avions de la compagnie de Victor Bout. Ce dernier, bien connu des services d'Interpol, est déjà cité dans deux précédents rapports de l'ONU, comme l'un des principaux pourvoyeur d'armes aux rebelles angolais de l'UNITA et à ceux du RUF Sierra Leonais.

Pour ce qui concerne la partie gouvernementale : peu d'informations nouvelles. Si ce n'est la confirmation de l'enrichissement de hautes personnalités zimbabwéennes, parmi lesquelles le ministre de la Défense, et de l'existence de plusieurs contrats, dont les principaux bénéficiaires seraient le clan Kabila ainsi que des «faucons», tels que Gaëtan Kakudji et Mwenze Kongolo. Joseph Kabila et Leo Mugabe, fils du chef de l'Etat zimbabwéen, seraient d'autre part en affaire au sein d'une société, Ridgepoint Overseas Developement Corporation, ayant des activités au Katanga (sud est du pays).

Reste l'Angola, dont le rôle crucial côté gouvernemental est à nouveau démontré. Après la mort de Laurent-Désiré Kabila, Luanda aurait ainsi payé les soldes des militaires congolais et fourni gratuitement du carburant à Kinshasa. Ce qui confirmerait que le puissant voisin de Kinshasa attend plus qu'une contrepartie économique de son engagement.

A la veille de la publication du rapport définitif, l'ONU semble hésiter. Prévue fin mars, la date a été repoussée jusqu'au la deuxième semaine d'avril, officiellement en raison de la longueur du document, qui doit être ramené de cent cinquante à une trentaine de pages pour en «faciliter la lecture». Au siège de l'organisation à New York, la consigne est stricte: aucune information ne doit filtrer sur le contenu du document avant sa publication officielle. Ce raidissement, après la parution il y a une dizaine de jours d'un article du quotidien français le Monde en dévoilant des extraits, est révélateur de la gêne que suscitent les conclusions des enquêteurs. Selon nos informations, les diplomates onusiens comme les pays impliqués dans le processus de paix hésitent à permettre la publication intégrale du rapport, dans la mesure où il ne pourra qu'embarrasser les autorités rwandaises et ougandaises, qui à leurs yeux ont fait preuve de bonne volonté depuis la disparition de Laurent-Désiré Kabila. Le débat agiterait aussi les membres du groupe d'experts, où plusieurs visions s'affronteraient. Toute la question est maintenant de savoir si leurs travaux seront finalement publiés tel quels, ou dans une version édulcorée.



par Christophe  Champin

Article publié le 03/04/2001