Travail
«<i>A vivre, c'est l'enfer</i>»
Michèle Lemonnier a 56 ans. Elle a été victime de harcèlement moral au sein du groupe français de distribution Monoprix de 1998 à 1999. Une entreprise dans laquelle elle a travaillé durant 26 ans. Elle attribue ce harcèlement à la volonté du groupe de se débarrasser d'un salarié âgé à moindre coût.
RFI : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez été victime de harcèlement moral et dans quelles circonstances ?
Michèle Lemonnier : Quand ça arrive, on ne s'en aperçoit pas. Pour moi, tout a commencé le jour où mon chef de département m'a demandé de lui apporter un document. Arrivée devant sa porte, j'ai frappé puis je suis entrée dans son bureau. Là se déroulait une réunion et devant tout le monde, il m'a demandé de ressortir car il ne m'avait pas entendu frapper. J'étais tellement surprise que je suis ressortie puis j'ai de nouveau frappé à la porte et je suis entrée. Tout a en fait commencé de cette façon là. Ca a été une humiliation terrible et ce devant tous les autres cadres qui n'ont, d'ailleurs, pas vraiment compris ce qui se passait. Par la suite, j'ai été muté dans un service technique, sans l'accord de l'inspection du travail et alors que mon travail consistait à assister le directeur du bureau des achats du groupe. J'étais très choquée et j'ai craqué. J'ai alors été mise en arrêt maladie. Tout ça est très douloureux à vivre. Quand ça vous tombe dessus on se demande «Pourquoi moi ?». Cette situation m'a quand même bien démolie et maintenant il faut que j'en parle pour me soulager. Je trouve ces méthodes de harcèlement moral scandaleuses. Il faudrait que les patrons et l'entreprise soient sanctionnés. Mais surtout que l'on arrête de les laisser faire sans agir.
RFI : Comment expliquez-vous le comportement de votre «harceleur» ? Le connaissiez-vous auparavant ?
M.L : En fait, ce sont deux personnes qui m'ont harcelée. Mon chef de département, je le connaissais depuis plus d'une dizaine d'années et je n'ai toujours pas compris pourquoi il a agi ainsi, je ne me l'explique toujours pas. Quant à l'autre « harceleur », son attitude vis-à-vis de moi, je me l'explique mieux, avec le recul, car c'est quelqu'un qui a gravi les échelons assez vite et qui du jour où il a eu une secrétaire est devenu odieux. Ce changement de statut lui est monté à la tête mais je pense qu'il avait de toute façon des prédispositions perverses. Quand j'ai été mutée, on m'a donné du classement à faire alors que ce n'était pas dans mes attributions initiales ! Puis ensuite, plus rien ! Il me faisait des menaces de licenciement, des menaces d'absence d'augmentation alors que je n'avais pas été promue depuis quatre ou cinq ans.
RFI : Outre ces humiliations professionnelles, avez-vous subi des humiliations verbales ?
M.L : Bien sûr ! Il me faisait sans cesse des réflexions me faisant bien comprendre que j'étais une incapable et ce devant des témoins. Il me traitait de pleurnicheuse, d'incompétente, de bonne à rien, de tire-au-flanc. Il m'a même dit qu'il allait m'apprendre à travailler ! Et comme, auparavant, j'avais été déléguée du personnel, il faisait croire à mes collègues que j'avais encore un pouvoir de nuisance.
RFI : Comment avez-vous réagi ?
M.L : Je n'en pouvais plus. C'était l'angoisse d'aller travailler. Je suis donc retombée en dépression. J'avais deux jours par semaine où j'étais relativement tranquille c'était les deux jours du week-end. J'en suis arrivée à croire que j'étais mauvaise dans mon travail. En fait, on se dévalorise complètement. Moi qui ai tellement défendu les autres, quand j'étais syndicaliste, je n'arrivais pas à réagir. Il était plus fort que moi. Moralement, c'est invivable. Pendant toute cette période, la Direction des ressources humaines (DRH) et la médecine du travail étaient au courant et la seule proposition que la DRH m'a faite a été de me licencier. Aujourd'hui j'en rigole mais sur le moment je n'ai pas ri du tout. J'étais dans un tel état que j'ai signé n'importe quoi, je n'en pouvais plus. Ce que je voulais : c'était quitter cette entreprise, ne plus voir ces gens, me refaire une santé ailleurs. Je suis partie avec 116 000 francs d'indemnités pour 26 ans d'ancienneté.
RFI : Quel a été le comportement de vos collègues pendant toute cette période ?
M.L : Vous êtes insultée et personne ne dit rien. Ils n'ont pas protesté car ils avaient peur. La peur d'être licencié, d'être mal jugé. Mais vous savez, je n'ai pas été la seule à subir un harcèlement moral au sein de ce groupe, actuellement l'une de mes anciennes collègues connaît ce que j'ai vécu et est en arrêt maladie depuis un mois et demi. Et comme moi, elle a une forte corpulence !
RFI : Après votre licenciement, avez-vous retrouvé un emploi ?
M.L : J'ai effectivement retrouvé un emploi à durée déterminée à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il fallait que je fasse des enquêtes téléphoniques. Et là j'en ai été incapable. Pour le bon déroulement de cette étude, les chercheurs écoutaient nos appels, c'était leur rôle, car il ne fallait pas dire de bêtises mais moi je ne l'ai pas vécu comme ça. Je vivais cette situation comme un espionnage. Je rentrais chez moi et je pleurais, je me disais que ce n'était pas possible d'être devenue incapable de travailler à ce point là. Forcément les chercheurs, s'étant aperçu de mon état, m'ont fait comprendre qu'ils allaient rompre mon contrat. J'ai alors essayé de comprendre pourquoi tout ça m'arrivait et j'en suis arrivée à la conclusion que le harcèlement moral dont j'avais été victime influençait ma vie professionnelle. Un jour, je leur ai donc relaté mon histoire et après j'ai enfin pu travailler correctement. Ils ont été vraiment formidables avec moi.
RFI : Aujourd'hui, avec le recul, comment analysez-vous ce qui vous est arrivé ?
M.L : Avec le recul, je crois que je ne me laisserai plus faire et que je me battrai comme je me suis toujours battue pour les autres et pour moi-même. Cependant, je ne peux m'empêcher de penser que Monoprix a voulu se débarrasser de moi. Quand j'ai subi ce harcèlement moral, j'avais 54 ans et je n'avais pas encore l'âge de partir en pré-retraite. Vous savez, le harcèlement moral est aujourd'hui l'une des méthodes de management adoptées en entreprise pour faire partir le personnel sans avoir à leur payer les indemnités auxquelles ils ont droit. Les personnes qui m'ont harcelée moralement sont à ma connaissance toujours en poste.
Michèle Lemonnier : Quand ça arrive, on ne s'en aperçoit pas. Pour moi, tout a commencé le jour où mon chef de département m'a demandé de lui apporter un document. Arrivée devant sa porte, j'ai frappé puis je suis entrée dans son bureau. Là se déroulait une réunion et devant tout le monde, il m'a demandé de ressortir car il ne m'avait pas entendu frapper. J'étais tellement surprise que je suis ressortie puis j'ai de nouveau frappé à la porte et je suis entrée. Tout a en fait commencé de cette façon là. Ca a été une humiliation terrible et ce devant tous les autres cadres qui n'ont, d'ailleurs, pas vraiment compris ce qui se passait. Par la suite, j'ai été muté dans un service technique, sans l'accord de l'inspection du travail et alors que mon travail consistait à assister le directeur du bureau des achats du groupe. J'étais très choquée et j'ai craqué. J'ai alors été mise en arrêt maladie. Tout ça est très douloureux à vivre. Quand ça vous tombe dessus on se demande «Pourquoi moi ?». Cette situation m'a quand même bien démolie et maintenant il faut que j'en parle pour me soulager. Je trouve ces méthodes de harcèlement moral scandaleuses. Il faudrait que les patrons et l'entreprise soient sanctionnés. Mais surtout que l'on arrête de les laisser faire sans agir.
RFI : Comment expliquez-vous le comportement de votre «harceleur» ? Le connaissiez-vous auparavant ?
M.L : En fait, ce sont deux personnes qui m'ont harcelée. Mon chef de département, je le connaissais depuis plus d'une dizaine d'années et je n'ai toujours pas compris pourquoi il a agi ainsi, je ne me l'explique toujours pas. Quant à l'autre « harceleur », son attitude vis-à-vis de moi, je me l'explique mieux, avec le recul, car c'est quelqu'un qui a gravi les échelons assez vite et qui du jour où il a eu une secrétaire est devenu odieux. Ce changement de statut lui est monté à la tête mais je pense qu'il avait de toute façon des prédispositions perverses. Quand j'ai été mutée, on m'a donné du classement à faire alors que ce n'était pas dans mes attributions initiales ! Puis ensuite, plus rien ! Il me faisait des menaces de licenciement, des menaces d'absence d'augmentation alors que je n'avais pas été promue depuis quatre ou cinq ans.
RFI : Outre ces humiliations professionnelles, avez-vous subi des humiliations verbales ?
M.L : Bien sûr ! Il me faisait sans cesse des réflexions me faisant bien comprendre que j'étais une incapable et ce devant des témoins. Il me traitait de pleurnicheuse, d'incompétente, de bonne à rien, de tire-au-flanc. Il m'a même dit qu'il allait m'apprendre à travailler ! Et comme, auparavant, j'avais été déléguée du personnel, il faisait croire à mes collègues que j'avais encore un pouvoir de nuisance.
RFI : Comment avez-vous réagi ?
M.L : Je n'en pouvais plus. C'était l'angoisse d'aller travailler. Je suis donc retombée en dépression. J'avais deux jours par semaine où j'étais relativement tranquille c'était les deux jours du week-end. J'en suis arrivée à croire que j'étais mauvaise dans mon travail. En fait, on se dévalorise complètement. Moi qui ai tellement défendu les autres, quand j'étais syndicaliste, je n'arrivais pas à réagir. Il était plus fort que moi. Moralement, c'est invivable. Pendant toute cette période, la Direction des ressources humaines (DRH) et la médecine du travail étaient au courant et la seule proposition que la DRH m'a faite a été de me licencier. Aujourd'hui j'en rigole mais sur le moment je n'ai pas ri du tout. J'étais dans un tel état que j'ai signé n'importe quoi, je n'en pouvais plus. Ce que je voulais : c'était quitter cette entreprise, ne plus voir ces gens, me refaire une santé ailleurs. Je suis partie avec 116 000 francs d'indemnités pour 26 ans d'ancienneté.
RFI : Quel a été le comportement de vos collègues pendant toute cette période ?
M.L : Vous êtes insultée et personne ne dit rien. Ils n'ont pas protesté car ils avaient peur. La peur d'être licencié, d'être mal jugé. Mais vous savez, je n'ai pas été la seule à subir un harcèlement moral au sein de ce groupe, actuellement l'une de mes anciennes collègues connaît ce que j'ai vécu et est en arrêt maladie depuis un mois et demi. Et comme moi, elle a une forte corpulence !
RFI : Après votre licenciement, avez-vous retrouvé un emploi ?
M.L : J'ai effectivement retrouvé un emploi à durée déterminée à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il fallait que je fasse des enquêtes téléphoniques. Et là j'en ai été incapable. Pour le bon déroulement de cette étude, les chercheurs écoutaient nos appels, c'était leur rôle, car il ne fallait pas dire de bêtises mais moi je ne l'ai pas vécu comme ça. Je vivais cette situation comme un espionnage. Je rentrais chez moi et je pleurais, je me disais que ce n'était pas possible d'être devenue incapable de travailler à ce point là. Forcément les chercheurs, s'étant aperçu de mon état, m'ont fait comprendre qu'ils allaient rompre mon contrat. J'ai alors essayé de comprendre pourquoi tout ça m'arrivait et j'en suis arrivée à la conclusion que le harcèlement moral dont j'avais été victime influençait ma vie professionnelle. Un jour, je leur ai donc relaté mon histoire et après j'ai enfin pu travailler correctement. Ils ont été vraiment formidables avec moi.
RFI : Aujourd'hui, avec le recul, comment analysez-vous ce qui vous est arrivé ?
M.L : Avec le recul, je crois que je ne me laisserai plus faire et que je me battrai comme je me suis toujours battue pour les autres et pour moi-même. Cependant, je ne peux m'empêcher de penser que Monoprix a voulu se débarrasser de moi. Quand j'ai subi ce harcèlement moral, j'avais 54 ans et je n'avais pas encore l'âge de partir en pré-retraite. Vous savez, le harcèlement moral est aujourd'hui l'une des méthodes de management adoptées en entreprise pour faire partir le personnel sans avoir à leur payer les indemnités auxquelles ils ont droit. Les personnes qui m'ont harcelée moralement sont à ma connaissance toujours en poste.
par Propos recueillis par Clarisse VERNHES
Article publié le 09/04/2001