Rwanda
<i>«Une partie de l'Eglise a participé au génocide»</i>
Directeur de la revue catholique dissidente Golias, Christian Terras a longuement enquêté sur le rôle du clergé catholique local dans le génocide du Rwanda. Pour lui, le procès qui s'est ouvert le 18 avril en Belgique est aussi celui d'une partie de l'Eglise rwandaise complice directe ou indirecte des événements tragiques d'avril à juillet 1994.
Deux religieuses bénédictines, Consolata Mukangango (soeur Gertrude) et Julienne Mukabutera (soeur Maria Kisito), figurent parmi les personnes mises en cause dans le procès qui s'est ouvert le 18 mars. Concrètement de quoi sont-elles accusées ?
Elles n'ont eu de cesse pendant le génocide d'obtempérer à toutes les consignes que les miliciens et les responsables du régime Habyarimana leur donnaient quant à l'évacuation et à la non protection des réfugiés qui demandaient asile dans l'enceinte de leur monastère à une dizaine de km de Butare et dans les alentours. On a recueilli des témoignages de rescapés et de religieuses qui n'étaient pas d'accords avec leur conduite qui dénoncent leur volonté de livrer à tout prix les personnes qui se réfugiaient ou tentaient de se réfugier chez elles aux miliciens qui quadrillaient la région. L'une était prieure l'autre était intendante, elles ont livré un nombre de personnes incroyable à ces miliciens et n'ont pas hésité à faire venir la troupe lorsque les milliers de réfugiés qui s'étaient agglutinés dans le dispensaire qui est juste en face de la porte principale du monastère se sont vus tous massacrés. Il n'y a eu que deux ou trois rescapés que j'ai pu rencontrer et qui ont témoigné du rôle qu'ont joué les deux s£urs. J'ai des témoignages qui ont pu être recoupés par plusieurs personnes comme quoi l'une d'entre elles, s£ur Kisito amenait des bidons d'essence aux miliciens pour mettre le feu dans le garage où était réfugiées plusieurs centaines de personnes.
Ces deux religieuses sont jugées en Belgique. Comment sont-elles arrivées jusque-là ?
Elles sont arrivées par un circuit d'exfiltration, par des communautés religieuses, notamment en France, par les pères blancs et les organismes de l'Eglise en place. Elles ont profité des camions de l'opération militaire française «Turquoise» (en juillet 1994), pour se réfugier au Zaïre. Elles y ont été accueillies notamment par des religieux des congrégations espagnoles. De là, elles ont été exfiltrées vers l'Est de l'Afrique, au Kenya. Ensuite, elles ont pu s'envoler, après avoir fait une étape en France, vers la Belgique. Donc il y a eu une complicité - sous réserve que les gens qui les ont exfiltré ont eu connaissance des faits - de congrégations religieuses très présentes en Afrique et dans cette région des Grands Lacs.
Et comment leur implication a été révélée ?
C'est grâce à deux s£urs qui les accompagnaient que la vérité a commencé à sortir. Elles se sont mises à parler pour dire quel avait été le rôle de leurs supérieures pendant le génocide. Mais les supérieurs de leur congrégation, celle des s£urs bénédictines, ont tenté de les faire se rétracter. On a pu mettre la main sur un certain nombre de documents et de courriers qui en attestent.
Quelle est l'étendue de la responsabilité de l'Eglise rwandaise dans ce génocide ?
Une partie non-négligeable de responsables - je pense à une centaine de personnes dont certains évêques, prêtres et s£urs - ont été engagés de manière très active dans le génocide des Tutsis.
C'est d'autant plus grave que ces religieux ont agi forts de l'impunité de leurs congrégations qui les ont exfiltré notamment vers Rome, avec des bourses d'études pour nombre d'entre eux au Vatican, voire certains en Suisse, en France û je pense au père Wenceslas û, ou en Belgique.
Mettez-vous cette protection dont ont bénéficié des religieux génocidaires sur le compte de l'ignorance ou de la loi du silence ?
Je mets cela sur le compte d'une pratique malheureusement culturelle dans l'Eglise qui est la loi du silence. Deuxièmement, il y avait du côté de l'Eglise une position géostratégique incontournable dans la région des Grands Lacs, par rapport au bastion que constituait le Rwanda, notamment pour les «pères blancs» qui se vantaient d'en avoir fait le pays le plus catholique d'Afrique. Il y avait donc des positions à défendre qui ont fait qu'il a été impossible d'admettre la complicité de certains prêtres, voire même de missionnaires dans le génocide.
Comment expliquez-vous cette connivence entre des religieux et le régime génocidaire hutu?
Je pense que le clergé du Rwanda n'a pas fait sa révolution culturelle en séparant l'Eglise et l'Etat. De plus, l'inféodation de l'Eglise au pouvoir politique d'Habyarimana et même les fondements de la première République rwandaises en 1959, avec notamment monseigneur Perraudin (évêque suisse aujourd'hui encore en vie) permet d'expliquer sur un plan historique le fait que le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique se tenaient la main. L'Eglise par les moyens financiers, immobiliers, les écoles, d'agricultures notamment, tenaient le pays à 90%. Pendant trente ans à quarante ans, l'Eglise et le pouvoir se nourrissaient l'un l'autre de positions confortables, privilégiées. L'Eglise n'a donc pas su se mettre à distance d'un pouvoir qui a dégénéré.
A lire
Rwanda : l'honneur perdu de l'Eglise,
Editions Golias, BP 5045, 69605, Villeurbanne cedex.
Elles n'ont eu de cesse pendant le génocide d'obtempérer à toutes les consignes que les miliciens et les responsables du régime Habyarimana leur donnaient quant à l'évacuation et à la non protection des réfugiés qui demandaient asile dans l'enceinte de leur monastère à une dizaine de km de Butare et dans les alentours. On a recueilli des témoignages de rescapés et de religieuses qui n'étaient pas d'accords avec leur conduite qui dénoncent leur volonté de livrer à tout prix les personnes qui se réfugiaient ou tentaient de se réfugier chez elles aux miliciens qui quadrillaient la région. L'une était prieure l'autre était intendante, elles ont livré un nombre de personnes incroyable à ces miliciens et n'ont pas hésité à faire venir la troupe lorsque les milliers de réfugiés qui s'étaient agglutinés dans le dispensaire qui est juste en face de la porte principale du monastère se sont vus tous massacrés. Il n'y a eu que deux ou trois rescapés que j'ai pu rencontrer et qui ont témoigné du rôle qu'ont joué les deux s£urs. J'ai des témoignages qui ont pu être recoupés par plusieurs personnes comme quoi l'une d'entre elles, s£ur Kisito amenait des bidons d'essence aux miliciens pour mettre le feu dans le garage où était réfugiées plusieurs centaines de personnes.
Ces deux religieuses sont jugées en Belgique. Comment sont-elles arrivées jusque-là ?
Elles sont arrivées par un circuit d'exfiltration, par des communautés religieuses, notamment en France, par les pères blancs et les organismes de l'Eglise en place. Elles ont profité des camions de l'opération militaire française «Turquoise» (en juillet 1994), pour se réfugier au Zaïre. Elles y ont été accueillies notamment par des religieux des congrégations espagnoles. De là, elles ont été exfiltrées vers l'Est de l'Afrique, au Kenya. Ensuite, elles ont pu s'envoler, après avoir fait une étape en France, vers la Belgique. Donc il y a eu une complicité - sous réserve que les gens qui les ont exfiltré ont eu connaissance des faits - de congrégations religieuses très présentes en Afrique et dans cette région des Grands Lacs.
Et comment leur implication a été révélée ?
C'est grâce à deux s£urs qui les accompagnaient que la vérité a commencé à sortir. Elles se sont mises à parler pour dire quel avait été le rôle de leurs supérieures pendant le génocide. Mais les supérieurs de leur congrégation, celle des s£urs bénédictines, ont tenté de les faire se rétracter. On a pu mettre la main sur un certain nombre de documents et de courriers qui en attestent.
Quelle est l'étendue de la responsabilité de l'Eglise rwandaise dans ce génocide ?
Une partie non-négligeable de responsables - je pense à une centaine de personnes dont certains évêques, prêtres et s£urs - ont été engagés de manière très active dans le génocide des Tutsis.
C'est d'autant plus grave que ces religieux ont agi forts de l'impunité de leurs congrégations qui les ont exfiltré notamment vers Rome, avec des bourses d'études pour nombre d'entre eux au Vatican, voire certains en Suisse, en France û je pense au père Wenceslas û, ou en Belgique.
Mettez-vous cette protection dont ont bénéficié des religieux génocidaires sur le compte de l'ignorance ou de la loi du silence ?
Je mets cela sur le compte d'une pratique malheureusement culturelle dans l'Eglise qui est la loi du silence. Deuxièmement, il y avait du côté de l'Eglise une position géostratégique incontournable dans la région des Grands Lacs, par rapport au bastion que constituait le Rwanda, notamment pour les «pères blancs» qui se vantaient d'en avoir fait le pays le plus catholique d'Afrique. Il y avait donc des positions à défendre qui ont fait qu'il a été impossible d'admettre la complicité de certains prêtres, voire même de missionnaires dans le génocide.
Comment expliquez-vous cette connivence entre des religieux et le régime génocidaire hutu?
Je pense que le clergé du Rwanda n'a pas fait sa révolution culturelle en séparant l'Eglise et l'Etat. De plus, l'inféodation de l'Eglise au pouvoir politique d'Habyarimana et même les fondements de la première République rwandaises en 1959, avec notamment monseigneur Perraudin (évêque suisse aujourd'hui encore en vie) permet d'expliquer sur un plan historique le fait que le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique se tenaient la main. L'Eglise par les moyens financiers, immobiliers, les écoles, d'agricultures notamment, tenaient le pays à 90%. Pendant trente ans à quarante ans, l'Eglise et le pouvoir se nourrissaient l'un l'autre de positions confortables, privilégiées. L'Eglise n'a donc pas su se mettre à distance d'un pouvoir qui a dégénéré.
A lire
Rwanda : l'honneur perdu de l'Eglise,
Editions Golias, BP 5045, 69605, Villeurbanne cedex.
par Propos recueillis par Christophe CHAMPIN
Article publié le 21/04/2001