Algérie
A.T. Ibrahimi : «l'erreur est d'avoir occulté la dimension berbère»
Ahmed Taleb Ibrahimi, plusieurs fois ministre dans les gouvernements algériens de 1965 à 1988, dirige aujourd'hui le parti d'opposition Wafa. Il a été candidat en 1999 contre Abdelaziz Bouteflika. Il analyse les raisons des émeutes actuelles que connaît la Kabylie.
RFI : Quelle est votre analyse sur la crise qui secoue actuellement la Kabylie ?
Ahmed Taleb Ibrahimi : La crise ne date pas de quelques semaines. La crise en Algérie date de dix ans et les événements qui se sont déroulés dans la wilaya de Kabylie ne constituent qu'un révélateur de la gravité de la crise et du degré de désespoir qu'a atteint le peuple algérien devant l'immobilisme du pouvoir. Beaucoup de jeunes de Kabylie ont insisté sur le fait que si l'on donne des logements et du travail, ces émeutes cesseront.
RFI : La question de l'identité est aussi souvent posée par les jeunes de cette région.
ATI : Vous faites bien de parler de l'identité. Il faut faire un historique et rappeler que lorsque la France a occupé l'Algérie en 1830, elle s'est trouvée devant un peuple qui avait une personnalité reposant sur un triptyque : des origines berbères, une culture arabe et une fois et civilisation musulmanes. Dire que l'Algérie est peuplée d'Arabes et de Berbères constitue la légende du siècle. Tous les Algériens sont des Berbères, plus ou moins arabisés et lorsque les Français ont étudié cette personnalité, ils ont constaté qu'ils ne pouvaient pas toucher à la berbérité tandis que la langue et la religion pouvaient être combattues et elles l'ont été dans l'espoir de franciser et de christianiser l'Algérie.
RFI : La même chose n'est-elle pas en train de se passer à l'envers en Algérie où l'on parle trois langues : l'arabe, le français et le berbère ?
ATI : Pourquoi ne vous demandez pas pourquoi pendant treize siècles, l'arabe et le kabyle ont coexisté ? Nos ancêtres, qui parlaient berbère quotidiennement, qui dans les sermons du vendredi mélangeaient l'arabe et le berbère, lorsqu'il s'agissait de laisser une £uvre à leurs enfants, la laissaient en arabe. Tout le patrimoine de treize siècles est laissé en arabe par nos ancêtres les berbères.
«Nous avons fait beaucoup plus que la France pour la langue française»
RFI : Beaucoup de pays sont issus de la colonisation française, mais il semble que l'Algérie soit le seul où la langue française soit un enjeu politique. Comment l'expliquer ?
ATI : Il est tout à fait normal que cent trente ans de présence française laissent des trace. S'il y a un pays où l'enseignement est bilingue, c'est bien l'Algérie. En 1968, recevant votre ministre des Affaires étrangères d'alors qui m'interrogeait sur l'arabisation, je lui ai dit la chose suivante : en 1962, après 130 ans de mission civilisatrice française et à la veille de l'indépendance, il y avait 300 000 enfants, d'après vos statistiques officielles, qui apprenaient le français. Aujourd'hui, il y a un million et demi d'enfants algériens qui apprennent le français. Nous avons fait beaucoup plus que ce qu'a fait la France pour la langue française. Mais il est tout à fait normal que les Algériens veuillent récupérer leur langue et leur culture.
Je déplore vraiment que les médias français parlent de peuple berbère, de victimes kabyles, de chanteurs kabyles, de parti kabyle. Il ne vient jamais à l'idée de parler de Giscard l'Auvergnat, de Pasqua le Corse ou de Chirac le Corrèzien ! Mais l'erreur qu'a commise l'Algérie indépendante est d'avoir occulté la dimension berbère. Le mouvement nationaliste, voyant que les Français avaient laissé de côté la berbérité et combattu l'arabité et l'islamité, n'a parlé que d'arabisme et d'islam. On ne parle pas de berbérité dans les discours officiels. C'était normal tant que le colonialisme était là. Mais l'erreur commise par les premiers dirigeants de l'Algérie indépendante a été de poursuivre ce discours uniquement centré sur l'islam et la dimension arabe en occultant la berbérité. Lorsque vous occultez la berbérité, vous poussez au berbérisme ; lorsque vous occultez l'arabité, vous poussez à l'arabisme ; lorsque vous occultez l'islam, vous poussez à l'islamisme. Le véritable Algérien est celui chez qui coexistent de façon harmonieuse ces trois dimensions de sa personnalité.
Ahmed Taleb Ibrahimi : La crise ne date pas de quelques semaines. La crise en Algérie date de dix ans et les événements qui se sont déroulés dans la wilaya de Kabylie ne constituent qu'un révélateur de la gravité de la crise et du degré de désespoir qu'a atteint le peuple algérien devant l'immobilisme du pouvoir. Beaucoup de jeunes de Kabylie ont insisté sur le fait que si l'on donne des logements et du travail, ces émeutes cesseront.
RFI : La question de l'identité est aussi souvent posée par les jeunes de cette région.
ATI : Vous faites bien de parler de l'identité. Il faut faire un historique et rappeler que lorsque la France a occupé l'Algérie en 1830, elle s'est trouvée devant un peuple qui avait une personnalité reposant sur un triptyque : des origines berbères, une culture arabe et une fois et civilisation musulmanes. Dire que l'Algérie est peuplée d'Arabes et de Berbères constitue la légende du siècle. Tous les Algériens sont des Berbères, plus ou moins arabisés et lorsque les Français ont étudié cette personnalité, ils ont constaté qu'ils ne pouvaient pas toucher à la berbérité tandis que la langue et la religion pouvaient être combattues et elles l'ont été dans l'espoir de franciser et de christianiser l'Algérie.
RFI : La même chose n'est-elle pas en train de se passer à l'envers en Algérie où l'on parle trois langues : l'arabe, le français et le berbère ?
ATI : Pourquoi ne vous demandez pas pourquoi pendant treize siècles, l'arabe et le kabyle ont coexisté ? Nos ancêtres, qui parlaient berbère quotidiennement, qui dans les sermons du vendredi mélangeaient l'arabe et le berbère, lorsqu'il s'agissait de laisser une £uvre à leurs enfants, la laissaient en arabe. Tout le patrimoine de treize siècles est laissé en arabe par nos ancêtres les berbères.
«Nous avons fait beaucoup plus que la France pour la langue française»
RFI : Beaucoup de pays sont issus de la colonisation française, mais il semble que l'Algérie soit le seul où la langue française soit un enjeu politique. Comment l'expliquer ?
ATI : Il est tout à fait normal que cent trente ans de présence française laissent des trace. S'il y a un pays où l'enseignement est bilingue, c'est bien l'Algérie. En 1968, recevant votre ministre des Affaires étrangères d'alors qui m'interrogeait sur l'arabisation, je lui ai dit la chose suivante : en 1962, après 130 ans de mission civilisatrice française et à la veille de l'indépendance, il y avait 300 000 enfants, d'après vos statistiques officielles, qui apprenaient le français. Aujourd'hui, il y a un million et demi d'enfants algériens qui apprennent le français. Nous avons fait beaucoup plus que ce qu'a fait la France pour la langue française. Mais il est tout à fait normal que les Algériens veuillent récupérer leur langue et leur culture.
Je déplore vraiment que les médias français parlent de peuple berbère, de victimes kabyles, de chanteurs kabyles, de parti kabyle. Il ne vient jamais à l'idée de parler de Giscard l'Auvergnat, de Pasqua le Corse ou de Chirac le Corrèzien ! Mais l'erreur qu'a commise l'Algérie indépendante est d'avoir occulté la dimension berbère. Le mouvement nationaliste, voyant que les Français avaient laissé de côté la berbérité et combattu l'arabité et l'islamité, n'a parlé que d'arabisme et d'islam. On ne parle pas de berbérité dans les discours officiels. C'était normal tant que le colonialisme était là. Mais l'erreur commise par les premiers dirigeants de l'Algérie indépendante a été de poursuivre ce discours uniquement centré sur l'islam et la dimension arabe en occultant la berbérité. Lorsque vous occultez la berbérité, vous poussez au berbérisme ; lorsque vous occultez l'arabité, vous poussez à l'arabisme ; lorsque vous occultez l'islam, vous poussez à l'islamisme. Le véritable Algérien est celui chez qui coexistent de façon harmonieuse ces trois dimensions de sa personnalité.
par Propos recueillis par Olivier Da Lage
Article publié le 05/06/2001