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Algérie

Toute la Kabylie défie le pouvoir

Tizi-Ouzou, capitale traditionnelle de la Kabylie et fief de la revendication identitaire berbère, a rassemblé ce lundi au moins un demi million de manifestants. Des centaines de jeunes berbères ont affronté les forces de sécurité à coups de cailloux au terme de cette démonstration de force pacifique. Dimanche, lors d'une marche réunissant quelques cinquante mille personnes on avait remarqué la participation des islamistes du Mouvement pour une société de paix (MSP-Hamas du cheikh Mahfoudh Nahnah), membre de la coalition gouvernementale.
Cette imposante démonstration de force intervient au lendemain de nouveaux affrontements qui ont embrasé durant quarante huit heures plusieurs localités dans la wilaya (préfecture) de Bouira et aux Ouadhias, à une trentaine de km de Tizi-Ouzou. La manifestation, qui a eu lieu à l'appel des conseils de coordination locaux ou «Djemaa», nés durant les émeutes d'avril dernier, a fait la démonstration de l'unité des comités de villages et de leur capacité à mobiliser, lançant ainsi un nouveau défi au pouvoir. Il s'agit, en effet, d'un sérieux avertissement aux autorités qui semblent se complaire dans l'expectative attisant ainsi le mécontentement.

Dans un discours, au soir du 30 avril, le président Bouteflika s'était borné à annoncer la mise sur pied d'une commission d'enquête sur les émeutes de Kabylie. Mais, très vite, cette commission dirigée par un juriste de renom originaire de Kabylie s'est heurtée à deux obstacles majeurs : l'inertie de l'administration la privant de moyens matériels et le refus de plusieurs personnalités kabyles d'y siéger. Pour ajouter au désordre, le parlement algérien a créé sa propre commission d'enquête qui a déjà commencé à sillonner la Kabylie, dans l'indifférence générale et le scepticisme des médias.

Hormis ces commissions d'enquête, les autorités algériennes n'ont pris aucune mesure d'apaisement significative qui aurait répondu aux premières doléances des émeutiers, comme le transfert de certaines unités de gendarmerie (lourdement impliquées dans la répression) et le report des examens scolaires. De plus, la dernière intervention publique du président Bouteflika, prenant la défense de l'armée et des services de sécurité, n'avait guère contribué à apaiser les esprits.

Hassab Hattab soutient les revendications de la Kabylie

C'est dans ce climat qu'est intervenu le vote, mercredi 16 mai 2001, d'un amendement au code pénal algérien, aggravant les peines contre les délits de presse. Le vote de cet amendement, régulièrement dénoncé par les journalistes depuis son arrivée sur le bureau de l'assemblée, a été interprété comme un durcissement du pouvoir aussi bien vis-à-vis des journaux indépendants que des revendications des manifestants de Kabylie. Cette attitude du pouvoir a eu pour première conséquence un réveil de la société civile et la défection de certaines personnalités qui offraient un paravent démocratique au régime.

Après la démission des deux ministres appartenant au rassemblement pour la culture et la démocratie(RCD), le «Conseil de la nation» (sénat) a connu lui aussi, samedi 19 mai, les soubresauts des évènements de Kabylie. Le sénateur Mokrane Ait-Larbi, dissident du RCD et personnalité respectée, a claqué la porte de la 2ème chambre, en déclarant refuser de cautionner, par sa présence, la répression en Kabylie et les pratiques du sérail.

Pour la première fois, aussi, des intellectuels de l'Oranie (ouest algérien) ont lancé samedi dernier une pétition de soutien à la Kabylie et à ses revendications, en particulier la question identitaire. Jusqu'ici, en effet, les autorités ont toujours réussi à enfermer les revendications de la Kabylie dans le cadre étroit du régionalisme, voire du sécessionnisme. De leur côté, des intellectuels et artistes exilés en France, dont l'humoriste Fellag, font circuler depuis la semaine dernière une pétition demandant au Président Bouteflika d'abandonner le pouvoir.
Dans la mouvance islamiste, si les partis légaux continuent de dénoncer la main de l'étranger et le « hiszb-frança » (« le parti de la France »), l'exception - et elle est de taille - vient du chef du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), Hassan Hattab, qui prend à contre-pied les thèses fondamentalistes.

Dans une «lettre», envoyée aux rédactions la semaine dernière, Hassan Hattab, dont les groupes armés sont fortement implantés en Kabylie, s'est déclaré solidaire des revendications identitaires de la région. Il a affirmé que la langue amazigh n'a jamais constitué un danger pour l'unité nationale et que «le véritable danger pour l'Algérie était le groupe de despotes qui se maintiennent au pouvoir ». Curieusement, il exclut de ce dernier groupe le président Bouteflika qui n'est pas responsable, selon lui, de la crise actuelle et évoque «les attaques injustifiées» dirigées contre lui. Par ce geste, Hassab Hattab qui a refusé de rendre les armes après le vote de la loi sur la concorde bien qu'il ait eu des contacts avec les autorités, s'offre à peu de frais un regain de popularité en Kabylie où son nom avait été scandé par des groupes d'émeutiers en avril dernier. Il semble, enfin, vouloir rendre la politesse au président Bouteflika qui a tenu des propos conciliants à son égard, au lendemain de son arrivée au pouvoir. Il avait souligné que Hassan Hattab, au moins, ne s'attaquait qu'aux services de sécurité et à l'armée. Pas aux civils.




par Sadek  LEKDJA

Article publié le 21/05/2001