Algérie
Bouteflika n'a pas convaincu
Un calme précaire régnait le 1er mars, en Algérie, au lendemain d'un discours très attendu du président Bouteflika à propos des émeutes qui ont fait plus de 80 victimes en Kabylie. Un discours qui a déçu et qui ne semblait même pas sortir de la plume du président de la République. Une commission d'enquête a été annoncée, mais cela n'a apparemment pas convaincu les populations berbères.
« Les événements qui viennent de se dérouler en Kabylie comportent des risques graves de remise en cause des progrès réalisés et des perspectives ouvertes par le programme de redressement. Ces événements et les violences qui les ont accompagnés ne sont pas fortuits. Des voix encouragent ces débordements. Qu'elles soient intérieures ou extérieures, nous les connaissons, et l'avenir les dénoncera clairement auprès l'opinion». Le discours - très attendu - du président Bouteflika a semblé à mille lieues d'une révolte qui ressemble à une révolution anarchique et qui dure depuis une dizaine de jours. Les jeunes et les adolescents qui ont affronté à main nue les balles de la police et refusé de répondre aux appels au calme lancés par le pouvoir, les partis et les associations berbères, ont eu du mal à comprendre leur président. Pas seulement en raison de l'arabe - très académique et littéraire - utilisé par Bouteflika, très éloigné du dialecte parlé par la très grande majorité des Algériens.
«Aucune commission d'enquête n'a abouti en Algérie»
Alors que la désorganisation de cette «révolte de la faim et du désespoir» apparaît de plus en plus, le président, visiblement mal à l'aise, a promis une commission d'enquête. Mais la riposte de la rue a été immédiate, à Bejaïa : «Aucune commission d'enquête n'a jamais abouti en Algérie. Ce n'est pas celle-ci qui va produire des résultats», a déclaré un habitant de la principale ville de la Petite Kabylie. Un autre a même rejeté les vagues promesses de prise en compte de l'identité berbère : «Bouteflika a essayé de se dédouaner et il a voulu réduire le problème à celui du tamazight», la langue kabyle.
L'intervention télévisuelle du président a montré toutes les limites du pouvoir dont dispose aujourd'hui Bouteflika, deux ans après sa victoire lors d'une présidentielle très contestée et boycottée par les autres candidats. Son discours «ne porte plus, en agitant le fantôme du séparatisme kabyle et l'ennemi extérieur», a commenté un responsable du FFS (Front des Forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed (opposition). Quant au RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) de Saïd Sadi, il a d'ores et déjà annoncé qu'il se retirait d'un gouvernement «qui tire sur la population». Ce qui pourrait sonner le glas d'une coalition que Bouteflika avait eu du mal à mettre sur pied, en raison de l'opposition du «pouvoir réel» : celui des généraux qui dirigent l'armée, les forces de sécurité et contrôlent la manne pétrolière (20 milliards de dollars d'excédent commercial, en 2000). Mais qui ont aussi fait et défait tous les présidents de la République depuis la mort de Houari Boumediène, en 1979.
Le discours que Bouteflika a prononcé lundi soir à la télévision algérienne ne semblait pas sortir de sa plume. Il l'a lu d'une voix plutôt distante et monocorde, loin du franc-parler et du langage direct qu'il a toujours utilisé pour s'adresser au peuple, mais aussi pour prendre quelques distances vis-à-vis du pouvoir militaire. C'est d'abord pour cela que le message envoyé par Bouteflika n'a pas été reçu par la Kabylie, une région à la fois très peuplée et déshéritée, qui ne vit plus que par l'argent que l'émigration (en Europe ou dans les grandes villes du pays) lui assure depuis des dizaines d'années. «L'Etat est perçu en Kabylie comme un corps étranger, puisqu'il n'est ni régulateur ni interlocuteur crédible, a écrit un quotidien algérien. L'injustice et l'absence de perspectives côtoient un luxe agressif affiché par certains nouveaux responsables et par certains privilégiés du système. L'Etat cesse d'exister du moment où il n'est plus utile. Le raz-le-bol des jeunes émeutiers exprime le rejet du système, d'un Etat qui n'est pas le leur».
«Aucune commission d'enquête n'a abouti en Algérie»
Alors que la désorganisation de cette «révolte de la faim et du désespoir» apparaît de plus en plus, le président, visiblement mal à l'aise, a promis une commission d'enquête. Mais la riposte de la rue a été immédiate, à Bejaïa : «Aucune commission d'enquête n'a jamais abouti en Algérie. Ce n'est pas celle-ci qui va produire des résultats», a déclaré un habitant de la principale ville de la Petite Kabylie. Un autre a même rejeté les vagues promesses de prise en compte de l'identité berbère : «Bouteflika a essayé de se dédouaner et il a voulu réduire le problème à celui du tamazight», la langue kabyle.
L'intervention télévisuelle du président a montré toutes les limites du pouvoir dont dispose aujourd'hui Bouteflika, deux ans après sa victoire lors d'une présidentielle très contestée et boycottée par les autres candidats. Son discours «ne porte plus, en agitant le fantôme du séparatisme kabyle et l'ennemi extérieur», a commenté un responsable du FFS (Front des Forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed (opposition). Quant au RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) de Saïd Sadi, il a d'ores et déjà annoncé qu'il se retirait d'un gouvernement «qui tire sur la population». Ce qui pourrait sonner le glas d'une coalition que Bouteflika avait eu du mal à mettre sur pied, en raison de l'opposition du «pouvoir réel» : celui des généraux qui dirigent l'armée, les forces de sécurité et contrôlent la manne pétrolière (20 milliards de dollars d'excédent commercial, en 2000). Mais qui ont aussi fait et défait tous les présidents de la République depuis la mort de Houari Boumediène, en 1979.
Le discours que Bouteflika a prononcé lundi soir à la télévision algérienne ne semblait pas sortir de sa plume. Il l'a lu d'une voix plutôt distante et monocorde, loin du franc-parler et du langage direct qu'il a toujours utilisé pour s'adresser au peuple, mais aussi pour prendre quelques distances vis-à-vis du pouvoir militaire. C'est d'abord pour cela que le message envoyé par Bouteflika n'a pas été reçu par la Kabylie, une région à la fois très peuplée et déshéritée, qui ne vit plus que par l'argent que l'émigration (en Europe ou dans les grandes villes du pays) lui assure depuis des dizaines d'années. «L'Etat est perçu en Kabylie comme un corps étranger, puisqu'il n'est ni régulateur ni interlocuteur crédible, a écrit un quotidien algérien. L'injustice et l'absence de perspectives côtoient un luxe agressif affiché par certains nouveaux responsables et par certains privilégiés du système. L'Etat cesse d'exister du moment où il n'est plus utile. Le raz-le-bol des jeunes émeutiers exprime le rejet du système, d'un Etat qui n'est pas le leur».
par Elio Comarin
Article publié le 01/05/2001