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Algérie

Le général Nezzar rattrapé par la «sale guerre»

Le général Khaled Nezzar fait l'objet de trois plaintes pour torture déposées par la famille d'un disparu et deux anciens détenus. Celui qui a interrompu en janvier 1992 le processus électoral est ainsi indirectement rattrapé par une «sale guerre» qu'il continue de nier, tout en parlant de «dérapages inévitables et sanctionnés». Arrivé à Paris mercredi, il a quitté précipitamment le sol français jeudi, et le ministère français des affaires étrangères a aussitôt déclaré qu'il "se trouvait en France en mission officielle", et qu'une décision "sur la question de l'immunité diplomatique relève de l'autorité judiciaire".
Après Augusto Pinochet et Hissène Habré, le général Khaled Nezzar ? C'est au moment même où celui-ci s'adressait à un auditoire de «têtes amies et visages connus », dans une salle pleine à craquer du centre culturel algérien de Paris, que la nouvelle s'est vite répandue, des deux côtés de la Méditerranée : une famille algérienne dont le fils est mort sous la torture et deux anciens détenus algériens ont porté plainte mercredi soir pour tortures, contre le principal artisan de « l'éradication totale» des islamistes et véritable homme fort du pouvoir militaire algérien. Le parquet de Paris a aussitôt confirmé sa compétence, les victimes résidant en France et le général Nezzar se trouvant sur le territoire national, avant de saisir la brigade criminelle pour qu'elle recueille les plaintes et interroge le ministère des Affaires étrangères sur l'éventuelle immunité dont pourrait bénéficier l'ancien ministre algérien de la défense, actuellement à la retraite.

Khaled Nezzar peut-il bénéficier d'une sorte de «protection diplomatique», comme on le laisse entendre de source informée à Paris, ou peut-il être formellement mis en examen ? Selon les plaignants, il «est mis en cause par l'ensemble des ONG pour sa responsabilité directe, en sa qualité de ministre de la Défense puis membre du Haut Comité d'Etat, dans la politique de répression généralisée fondée non seulement sur l'usage massif et systématique de la torture mais aussi sur les exécutions extra-judiciaires». Cette poursuite est fondée sur la convention contre la torture de 1984, que la France a signée et complétée par une disposition selon laquelle toute personne se trouvant en France peut être poursuivie et jugée si elle est soupçonnée de tortures au sens de la convention.

Les avocats des plaignants, Me Antoine Comte et William Bourdon, ne se faisaient pas beaucoup d'illusions, mercredi, sur les chances réelles de « retenir » le général Nezzar en France. A leurs yeux, il importait surtout de « marquer quelque chose ». «Des Algériens ont eu le courage de déposer ces plaintes, le parquet a bougé, on aura marqué la limite à l'impunité, montré qu'il ne faut plus que de telles personnes viennent en France dans n'importe quelles conditions», a précisé Me Antoine Comte.

Les «dérapages inévitables» et la «sale guerre»

C'est aussi le but visé par la centaine de manifestants du Collectif des familles des disparu(e)s qui se sont rassemblés mercredi soir devant le centre culturel algérien de Paris, avec le soutien d'Amnesty international et de la Ligue des droits de l'homme. «Nous sommes là pour réclamer la vérité et la justice car Nezzar était ministre de la Défense et au Haut Comité d'Etat. Nous lui devons le drame que nous vivons aujourd'hui. On ne tournera pas la page», a déclaré une responsable du collectif, Nassera Dutour. Selon le collectif, 7 200 cas de disparitions ont été recensées et 4 325 d'entre eux ont été signalés au ministère algérien de l'Intérieur.

De son côté le général Nezzar a confirmé qu'il était venu en France pour lancer une grande opération visant à contrer le succès obtenu par les deux livres de témoignages publiés récemment à Paris par La Découverte sur la participation de certains éléments de l'armée ou des forces de sécurité dans des massacres attribués officiellement aux «terroristes islamistes». C'est surtout «La sale guerre» du lieutenant Souaïdia qui a motivé la réédition des «Mémoires» du général Nezzar, aux éditions Publisud, sous le titre «Echec à une régression programmée». Une fois de plus le général a tenté de justifier la décision du pouvoir militaire d'interrompre le processus électoral, en 1992, au moment où le FIS s'apprêtait à remporter le deuxième tour des élections législatives.

Bien entendu, Khaled Nezzar ne regrette rien, «en aucun cas». «Si c'était à refaire, je le referais. Nous étions prêts (en 1991) à accepter que le FIS participe à l'Assemblée à hauteur de 30% des sièges. Mais 70% des sièges, obtenus dès le premier tour et en ballottage favorable au second tour face à une fraude généralisée et à une loi électorale scélérate, c'eût été le règne des taliban en Algérie», a-t-il déclaré au Figaro Magazine.

Interrogé sur la «sale guerre» menée par des unités de l'armée, il a ajouté : «Imaginez le traumatisme des jeunes soldats qui découvrent des scènes d'horreur ! Qu'il y ait des dérapages, c'est inévitable dans un tel climat de sauvagerie, mais ils sont sanctionnés. Je peux vous assurer qu'aucun innocent n'a été touché» . Ce que Khaled Nezzar qualifie de «dérapages inévitables» et qui ont été «sanctionnés» ressemble fort à ce que le lieutenant Souaïdia appelle «la sale guerre».




par Elio  Comarin

Article publié le 26/04/2001