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Algérie

Un officier révèle la «sale guerre»

Pour la première fois depuis le début du conflit, un militaire algérien ose briser un tabou : dans un livre publié par La Découverte, il raconte la «sale guerre» menée par des unités spéciales de l'armée algérienne contre les maquis islamistes, et surtout comment des commandos spéciaux de l'ANP (Armée nationale populaire) n'hésitent pas à se déguiser en «barbus» pour semer la terreur.
«J'ai vu des collègues brûler vif un enfant de quinze ans. J'ai vu des soldats se déguiser en terroristes, massacrer des civils. J'ai vu des colonels assassiner, de sang-froid, de simples suspects. J'ai vu des officiers torturer à mort des islamistes. J'ai vu trop de choses». Pour la première depuis de début de la «deuxième guerre d'Algérie», il y a près de dix ans, un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne raconte ce qu'il a vu et ce qu'il a fait, au cours de ce qu'il appelle «la sale guerre», de 1992 à 2000.

Dans un livre-témoignage publié le 8 février, le lieutenant Habib Souaïdia montre aussi le désespoir des soldats algériens contraints à des actes de barbarie sur d'autres citoyens algériens. Selon l'éditeur, François Gèze, il s'agit du «premier témoignage, à visage découvert, d'un officier ayant vécu au jour le jour la µsale guerre'. Il lève le voile sur l'un des tabous les mieux gardés du drame algérien : le fonctionnement interne de l'armée algérienne». Le lieutenant précise lui même qu'il s'était engagé volontairement dans les rangs de l'armée en 1989, mais, ajoute-t-il : «j'étais loin de penser que j'allais être un des témoins de la tragédie qui a frappé mon pays».

Dans sa préface, le juge italien Ferdinando Imposimato écrit que ce livre «apporte un ensemble précieux de µnotification de crimes' avec des indications précises de noms, de lieux et de dates qui peuvent servir de base à des actions pénales des victimes ou de leurs familles, y compris devant des tribunaux de pays européens». Selon le juge, l'Union européenne «devra exiger du gouvernement algérien qu son aide soit conditionnée à l'envoi sur place d'une commission internationale apolitique d'experts, chargés d'établir les faits sur les violations des droits de l'homme et leurs auteurs, quels qu'ils soient».

Les dollars du pétrole attisent la guerre des clans

Dans ce livre le lieutenant Souaïdia décrit par le détail le «cycle infernal» dans lequel est désormais engagée l'Algérie. Il raconte notamment comment, après avoir été muté en 1994 à Lakhdaria - une région déjà très «islamiste», située à près de cent kilomètres d'Alger - il a accompagné des officiers des services anti-terroristes, tous déguisés en «barbus», qui ont kidnappé une demi-douzaine de personnes soupçonnées d'être proches des islamistes. Avant de les assassiner peu après. «Depuis mon arrivée (à Lakhdaria), j'ai vu au moins une centaine de personnes liquidésà Des gens qu'on arrête, qu'on torture, qu'on tue et dont on brûle les cadavres», a-t-il précisé, avant d'ajouter qeu «souvent, les militaires effectuaient des opérations en étant drogués».

Le récit de Habib Souaïdia permet aussi de se faire une idée plus précise sur une guerre en grande partie secrète, et souvent passée sous silence à Alger. Depuis 1992, cette « sale guerre » est menée essentiellement par les unités spéciales de l'armée, de la police, de la gendarmerie et de la Sécurité militaire (DRS). Au total "cinq à six mille hommes qui ont été les principaux acteurs des atrocités que j'ai rapporté", écrit Habib Souaïdia. « On peut dire, précise-t-il, que deux guerres sont menées par les troupes d'élite : l'une contre les groupes armés, l'autre contre le peuple et les civils ». Celle-ci, dans le cadre d'une « stratégie de la tension » qui sert directement le clan des généraux au pouvoir, est faite d'arrestations arbitraires, tortures, exécutions sommaires qui durent toujours, mais aussi de « manipulations et de coups tordus ». Au c£ur de cette guerre on retrouve les hommes du DRS, que dirige le général Smaïn Lamari : « des hommes sans foi ni loi capables de tout ».
Ce témoignage intervient au moment où d'autres violences sont signalées. Les 6 et 7 février dix-sept personnes ont été tuées, notamment dans la région de Laghouat (à 400 km au sud d'Alger) mais aussi près de Tizi-Ouzou, en Kabylie, où des islamistes ont été tués dans le maquis montagneux et boisé de Sidi Ali Bounab.

D'autre part, on a appris fin janvier que l'Algérie a réalisé un excédent commercial de plus de 10 milliards de dollars en 2000, grâce à la hausse du pétrole. Des milliards de dollars inattendus qui ne peuvent qu'attiser la «guerre secrète» en cours entre les différents «clans» militaires qui dirigent véritablement le pays.



par Elio  Comarin

Article publié le 08/02/2001