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Algérie

Bouteflika contraint de s'expliquer

Un calme précaire régnait ce lundi 30 avril, à Tizi Ouzou et Béjaïa, les deux principales villes de la Kabylie, dans l'attente d'un discours du président Abdelaziz Bouteflika, à la suite des émeutes sanglantes qui ont commencé le 18 avril et ont été réprimées dans le sang par les forces de l'ordre : plus de soixante civils, pour la plupart des jeunes, ont été assassinés.
La Petite et la Grande Kabylie ont enterré lundi leurs derniers morts - deux jeunes tués dimanche -, et la plupart des commerces et des écoles étaient toujours fermés à Tizi Ouazou et à Bejaïa. Celles-ci offraient le visage de villes ravagées. Les principaux symboles du pouvoir central sont détruits : la Direction des douanes, la Maison de la Culture, le siège d'Air Algérie ou celui de l'Organisation des Moudjahiddine (les anciens combattants de la guerre de l'indépendance).

Que peut dire - et surtout faire - dans ce contexte, le président Bouteflika, de plus en plus isolé, sinon ouvertement contesté, y compris au sein de la coalition qui soutient son gouvernement ? Il n'a jamais été très populaire chez les Berbérophones, en raison de son hostilité vis-à-vis de la langue et la culture berbère, principale revendication de la Kabylie comme des autres régions parlant le tamazight, depuis les années 60. La méfiance traditionnelle de la Kabylie se nourrit désormais d'autres revendications beaucoup plus terre-à-terre : le chômage (massif chez les jeunes, c'est-à-dire les trois quarts des Algériens), le manque de logement en partie seulement dû à une démographie galopante, la corruption généralisée à tous les niveaux de l'administration, où règne un favoritisme souvent lié à ce qu'on appelle «la mafia militaire» ou «le pouvoir occulte».

Bouteflika semble d'autant plus affaibli qu'il vient d'être lâché par son dernier allié, en Kabylie : le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) de Saïd Sadi a décide de quitter la coalition gouvernementale et rejoindre l'opposition pratiquée notamment par le FFS (Front des Forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed. Deux partis qui viennent tous deux d'admettre leur incapacité à se faire entendre par leurs propres militants. Car la révolte qui gronde aujourd'hui en Kabylie - mais aussi chez les étudiants d'Alger - ressemble plus à une émeute de la faim et du désespoir qu'à une «rébellion culturelle » semblable à celle d'il y a vingt ans, lors du fameux «printemps berbère».

«L'Algérie est à la fois berbérophone, arabophone et francophone»

«Un gouvernement qui tire sur la population ne mérite pas qu'on le soutienne et ne doit pas continuer à recevoir l'adhésion des démocrates», a dit Saïd Sadi. Quant à Hocine Aït Ahmed, il a expliqué la radicalisation de la jeunesse algérienne par «l'étouffement des libertés publiques» et « l'absence de vie politique en Algérie». «Nous craignons en ce moment que le pouvoir utilise une digression identitaire pour faire oublier le contexte général dans lequel vit le peuple algérien, la paupérisation galopante» a-t-il précisé, avant de dénoncer «les luttes internes» au c£ur du pouvoir militaire algérien et «leurs retombées» sur la population. «Ces lutte internes sont une constante, a-t-il dit. Il y a un quartel de la haute hiérarchie militaire et de la sécurité militaire qui a le véritable pouvoir, un pouvoir occulte, absolu, qui n'a jamais rendu compte à personne et qui contrôle non seulement l'état, mais la société, et nous avons à subir les retombées de ces luttes internes».

Ces règlements de compte ont été une nouvelle fois illustrés, le 23 avril dernier, lorsque le quotidien El Watan annonçait le limogeage du tout-puissant général Mohamed Mediene ( dit «Tewfik»), patron du Département recherche et sécurité (DRS), les services de renseignements algériens. Ce «scoop» plutôt inattendu a été aussitôt démenti par des proches de la présidence, ce qui en dit long sur la marge de manoeuvre réelle de Bouteflika. Après avoir prêché longtemps en faveur de la «concorde civile» et du pardon vis-à-vis des «terroristes islamistes repentis», le président a opté récemment pour une autre stratégie : la «concorde nationale». Ce qui a été aussitôt interprété comme une tentative de main tendue au FIS et plus généralement au courant islamiste modéré.

Cette démarche a fort déplu à la hiérarchie militaire, et notamment au plus connu d'entre les généraux qui contrôlent le pouvoir réel : Khaled Nezzar a dit tout haut (ce qui n'est dans ses habitudes d'un pouvoir qui préfère le silence) qu'il ne partageait pas la nouvelle stratégie présidentielle. Et le général (officiellement) à la retraite d'ajouter que le vrai responsable de la «concorde civile» - qui a permis la libération de milliers de terroristes et a été souvent dénoncée par les médias - ce n'est le président mais le patron des services du contre-espionnage, le général Smaïn Lamari. L'a-t-il fait pour assurer à Bouteflika un sursis de quelques mois et/ou pour porter un coup à Smaïn Lamari ?

Il y a quelques mois, le nom de l'ancien premier ministre Sid Ahmed Ghozali était souvent cité comme remplaçant éventuel du président Bouteflika, qui avait lui même pris la suite de Liamine Zeroual (écarté), de Mohammed Boudiaf (assassiné) et de Chadli Bendjedid (destitué). La plupart des quotidiens algériens avaient alors littéralement pris d'assaut la présidence, «coupable» de vouloir revenir à un régime «islamo-conservateur» et de faire revenir au pouvoir des «dinosaures» du FLN proches de l'ancien président Houari Boumediène, mort en 1979, et dont Bouteflika avait longtemps été le ministre des Affaires étrangères courtisé par toutes les chancelleries, à l'Est comme à l'Ouest.

Aujourd'hui le président est contraint de sortir de son silence. Connu pour son franc-parler et son langage direct, il peut créer l'événement dans le microcosme politique algérois. Mais il aura plus du mal à résoudre une crise qui n'a pas l'air d'être conjoncturelle. «A moins d'être µvulgairement' hypocrite et gravement atteint de µcrétinisme politique', on ne peut ignorer que l'Algérie est simultanément berbérophone, arabophone et francophones depuis des siècles», a écrit la semaine dernière un universitaire-chercheur dans le quotidien La Liberté.



par Elio  Comarin

Article publié le 30/04/2001