Algérie
Echec d'une marche en faveur de la Kabylie
La police a empêché à Alger que quelques centaines de personnes participent à une marché qui aurait dû rassembler des dizaines de milliers de personnes. Cette manifestation, organisée notamment par le RCD de Saïd Saadi, n'avait pas été autorisée par le ministère de l'Intérieur.
Toutes les marches organisées en Algérie par des mouvements berbères ou berbéristes ne se ressemblent pas et, surtout, ne rassemblent visiblement pas les mêmes nombres de personnes. Jeudi 6 juin, on s'attendait à une nouvelle manifestation importante de la Kabylie contre le pouvoir, à l'initiative de la Coordination nationale pour la défense des libertés démocratiques (CNDLP), qui regroupe des syndicats et des associations, dans le but de dénoncer la répression qui a fait plus de 80 victimes en Kabylie depuis un peu plus d'un mois. Finalement des unités anti-émeutes de la police, déployées aux abords de la place du 1er mai à Alger n'ont pas eu beaucoup de mal à empêcher le départ de cette marche, en bloquant les issues qui menaient vers cette place. Les forces de l'ordre ont ensuite dispersés les quelques centaines de manifestants qui criaient leur colère et des slogans hostiles au pouvoir. Apparemment aucun incident n'a été signalé.
Cette marche, annoncée à grands renforts de publicité en Algérie comme en Europe, n'a visiblement pas mobilisé autant de personnes que celles qui l'ont précédé, ces dernières semaines, lorsque des centaines de milliers de personnes avaient littéralement défié le régime militaire et le président civil algériens, aux cris de «pouvoir assassin». Les forces de l'ordre, à plusieurs reprises, avaient été obligées de laisser les manifestants crier leur colère des heures durant, dans différentes villes de Kabylie comme à Alger. Et les manifestants n'avaient pas uniquement démoli de nombreux symboles du pouvoir central, ou attaqué des gendarmeries ou des préfectures. Ils avaient aussi dénoncé les partis ou mouvements se réclamant du mouvement berbère, à commencer par le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie).
Un mouvement hors des obédiences politiques
Celui-ci avait d'abord accepté de participer au gouvernement mis en place - non sans difficulté - quelques mois après l'arrivée au pouvoir de Bouteflika. Il n'avait alors échappé à personne que ce retard avait été causé par l'hostilité ouverte du « pouvoir militaire » (qui dirige véritablement le pays) aux différentes listes proposées par le président à celui-ci. Mais ce n'est que tout dernièrement, après le début de la nouvelle « révolte kabyle », que le RCD a décidé de quitter l'équipe gouvernementale et opté pour une opposition qui a visiblement du mal à convaincre ceux qui dirigent véritablement ce nouveau « printemps berbère » aux allures de « révolution nationale ». Il s'agit, pour l'essentiel, d'une coordination des assemblées traditionnelles - les Tajmaât ou Archs - que le pouvoir colonial d'abord et le FLN ensuite avaient mis en veilleuse, de crainte de subir une concurrence très sérieuse. Aujourd'hui une assemblée générale permanente basée à Tizi Ouzou et issue de ce pouvoir traditionnel assure à cette révolte une direction très liée à la base, en dehors de toute obédience politique. Même si le FFS (Front des Forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed demeure le seul parti d'opposition capable de mobiliser des dizaines de milliers de personnes, comme il l'a démontré la semaine dernière, dans les rues de la capitale.
Il en va tout autrement des autres partis. Le RCD, mais aussi le PT (Parti des travailleurs, extrême gauche) et le MDS (Mouvement démocratique et social), issu du parti communiste devenu ensuite PACS, ont tous appelé à la manifestation du 7 juin et annoncé leur participation. L'échec de cette marche est d'abord le leur, vraisemblablement parce que cette mobilisation a paru relever de la récupération politique d'un mouvement qui est d'abord une « révolte de la misère » : les jeunes, le plus souvent des chômeurs, s'attaquent à un pouvoir militaire et politique de plus en plus arrogant et qui ne profite qu'à une petite minorité de privilégiés d'un régime très étatique, lequel bénéficie d'une des plus importantes rentes pétrolières de la planète.
Cette marche avait été organisée à l'appel d'une Coordination nationale qui s'était illustrée récemment dans une bataille cruciale pour la liberté de la presse. De plus, d'importants patrons de presse - et notamment ceux des quotidiens Le Matin, El Watan et Liberté - avaient pris fait et cause pour cette manifestation. Celle-ci avait été soutenue aussi par des syndicats et des associations, et notamment par des membres de l'UGTA (Union générale des travailleurs algériens), autrefois toute puissante. Les instances nationales de cette centrale se sont toutefois démarquées de cette manifestation à la veille de la marche, au moment où le ministère de l'Intérieur mettaient en garde les organisateurs sur «les responsabilités pouvant découler de la non observation des dispositions légales régissant les manifestations publiques».
La faible participation à cette marche a visiblement permis au pouvoir de recourir à la force. Cela lui permet aussi de rétablir quelque peu son image, en empêchant une (petite) marche, alors qu'il avait été obligé de tolérer toutes les autres (grandes) marches. Mais l'échec de cette manifestation ne signifie pas que la révolte kabyle soit essoufflée. Elle pourrait même s'étendre en dehors de l'Algérie. «Le côté identitaire du soulèvement de la Kabylie aura un grand effet notamment au Maroc où il accélérera le rythme de la lutte des associations amazighes» a déclaré hier Brahim Akhiat, président de la plus importante association berbère du Maroc. Pour lui, comme pour d'autres leaders berbères d'Afrique du Nord, il faut rejeter toute approche ethnique de la question berbère, parce que le «mouvement amazighe» est en train de devenir une véritable «mouvement national» et «constitue de plus en plus le moteur du changement démocratique et culturel au niveau national».
Cette marche, annoncée à grands renforts de publicité en Algérie comme en Europe, n'a visiblement pas mobilisé autant de personnes que celles qui l'ont précédé, ces dernières semaines, lorsque des centaines de milliers de personnes avaient littéralement défié le régime militaire et le président civil algériens, aux cris de «pouvoir assassin». Les forces de l'ordre, à plusieurs reprises, avaient été obligées de laisser les manifestants crier leur colère des heures durant, dans différentes villes de Kabylie comme à Alger. Et les manifestants n'avaient pas uniquement démoli de nombreux symboles du pouvoir central, ou attaqué des gendarmeries ou des préfectures. Ils avaient aussi dénoncé les partis ou mouvements se réclamant du mouvement berbère, à commencer par le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie).
Un mouvement hors des obédiences politiques
Celui-ci avait d'abord accepté de participer au gouvernement mis en place - non sans difficulté - quelques mois après l'arrivée au pouvoir de Bouteflika. Il n'avait alors échappé à personne que ce retard avait été causé par l'hostilité ouverte du « pouvoir militaire » (qui dirige véritablement le pays) aux différentes listes proposées par le président à celui-ci. Mais ce n'est que tout dernièrement, après le début de la nouvelle « révolte kabyle », que le RCD a décidé de quitter l'équipe gouvernementale et opté pour une opposition qui a visiblement du mal à convaincre ceux qui dirigent véritablement ce nouveau « printemps berbère » aux allures de « révolution nationale ». Il s'agit, pour l'essentiel, d'une coordination des assemblées traditionnelles - les Tajmaât ou Archs - que le pouvoir colonial d'abord et le FLN ensuite avaient mis en veilleuse, de crainte de subir une concurrence très sérieuse. Aujourd'hui une assemblée générale permanente basée à Tizi Ouzou et issue de ce pouvoir traditionnel assure à cette révolte une direction très liée à la base, en dehors de toute obédience politique. Même si le FFS (Front des Forces socialistes) de Hocine Aït Ahmed demeure le seul parti d'opposition capable de mobiliser des dizaines de milliers de personnes, comme il l'a démontré la semaine dernière, dans les rues de la capitale.
Il en va tout autrement des autres partis. Le RCD, mais aussi le PT (Parti des travailleurs, extrême gauche) et le MDS (Mouvement démocratique et social), issu du parti communiste devenu ensuite PACS, ont tous appelé à la manifestation du 7 juin et annoncé leur participation. L'échec de cette marche est d'abord le leur, vraisemblablement parce que cette mobilisation a paru relever de la récupération politique d'un mouvement qui est d'abord une « révolte de la misère » : les jeunes, le plus souvent des chômeurs, s'attaquent à un pouvoir militaire et politique de plus en plus arrogant et qui ne profite qu'à une petite minorité de privilégiés d'un régime très étatique, lequel bénéficie d'une des plus importantes rentes pétrolières de la planète.
Cette marche avait été organisée à l'appel d'une Coordination nationale qui s'était illustrée récemment dans une bataille cruciale pour la liberté de la presse. De plus, d'importants patrons de presse - et notamment ceux des quotidiens Le Matin, El Watan et Liberté - avaient pris fait et cause pour cette manifestation. Celle-ci avait été soutenue aussi par des syndicats et des associations, et notamment par des membres de l'UGTA (Union générale des travailleurs algériens), autrefois toute puissante. Les instances nationales de cette centrale se sont toutefois démarquées de cette manifestation à la veille de la marche, au moment où le ministère de l'Intérieur mettaient en garde les organisateurs sur «les responsabilités pouvant découler de la non observation des dispositions légales régissant les manifestations publiques».
La faible participation à cette marche a visiblement permis au pouvoir de recourir à la force. Cela lui permet aussi de rétablir quelque peu son image, en empêchant une (petite) marche, alors qu'il avait été obligé de tolérer toutes les autres (grandes) marches. Mais l'échec de cette manifestation ne signifie pas que la révolte kabyle soit essoufflée. Elle pourrait même s'étendre en dehors de l'Algérie. «Le côté identitaire du soulèvement de la Kabylie aura un grand effet notamment au Maroc où il accélérera le rythme de la lutte des associations amazighes» a déclaré hier Brahim Akhiat, président de la plus importante association berbère du Maroc. Pour lui, comme pour d'autres leaders berbères d'Afrique du Nord, il faut rejeter toute approche ethnique de la question berbère, parce que le «mouvement amazighe» est en train de devenir une véritable «mouvement national» et «constitue de plus en plus le moteur du changement démocratique et culturel au niveau national».
par Elio Comarin
Article publié le 07/06/2001