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Algérie

Après la Kabylie, les Aurès

Des graves émeutes ont éclaté dimanche et lundi, pour la première fois en dehors de la Kabylie, et notamment dans les massif des Aurès, dans la petite ville de Khenchela, à Skikda et près d'Annaba. «Des signes avant-coureurs par trop évidents d'un volcan en intense activité qui se nomme jeunesse», selon le Quotidien d'Oran.
Panneaux de signalisation arrachés, lampadaires détruits, bâtiments publics saccagés ou incendiés, voitures brûlées et routes coupées par des barricades faites de troncs d'arbres et d'objets divers. Tous ces signes de colère qui ont accompagné la révolte kabyle depuis près de deux mois (le 18 avril), on les retrouve désormais ailleurs, et notamment dans le département voisin des Aurès, d'où sont pourtant originaires la quasi totalité des hommes - civils et militaires - qui sont au pouvoir en Algérie depuis l'indépendance.

Des marches de protestation s'étaient déjà déroulées ces derniers jours, notamment à Batna, mais ce n'est que dimanche 10 juin que des émeutes ont éclaté un peu partout. Dans la ville de Khenchela des jeunes se sont attaqués notamment à la mairie, au siège des impôts et à celui de la Société nationale d'électricité et de gaz. Comme à Tizi Ouzou et à Béjaïa, des manifestants ont érigé des barricades dans plusieurs quartiers de la ville et des pneus ont été brûlés, à la suite d'un différend entre des gendarmes en civil (accusés d'avoir harcelé une jeune fille) et des jeunes. La revolte a continué le lendemain matin, et ce n'est que lundi après-midi qu'un calme relatif a commencé à régner dans cette petite ville, grâce à l'intervention de sages et de représentants de la société civile. Mais les communications restaient aléatoires entre cette ville située au coeur du massif montagneux des Aurès et le reste du pays.

«En finir avec un système mafieux»

D'autres émeutes sont signalées par la presse algérienne, notamment à Skikda, à l'occasion d'un match de football opposant l'équipe locale à l'USM d'Alger. Le match a dû être interrompu, les joueurs se sont réfugiés dans les vestiaires et, une fois de plus, des groupes de jeunes en colère ont déferlé dans les principales artères de la ville s'attaquant aux édifices publics.

Autre centre de révolte, la wilaya (département) d'Annaba. Dans la commune de Sidi Amar, trois localités semi-rurales situées à une vingtaine de kilomètres d'Annaba sont isolées elles aussi depuis dimanche dernier: les habitants protestent contre la rupture de l'alimentation en eau potable, et ce depuis plus de vingt jours, et pour cela ils ont déversé sur un tronçon de route de 5 kilomètres des arbres, des pneus et des pierres, pour empêcher toute circulation et attirer l'attention des autorités. Les protestataires, souvent très jeunes (18 à 25 ans) ont crié leur colère à l'envoyé spécial du quotidien Liberté : «Ici, c'est l'enfer. Le chômage bat son plein, aucune distraction, et même le produit vital en cette période d'été nous a été coupé».

Ces émeutes qui touchent pour la première fois d'autres régions (elles aussi berbérophones) que la Kabylie, indiquent, aux yeux de nombreux éditorialistes algériens que le pays est devenue «une poudrière» qui peut «sauter à la moindre étincelle».<i> «Le citoyen algérien ne peut plus supporter la corruption, l'injustice, le mépris de ses gouvernants», a écrit El Watan, tandis que le Matin titre : «les tyrans sont sourds», avant d'ajouter : A une société déterminée à en finir avec un système mafieux, incompétent et menteur, le pouvoir répond par l'arrogance, l'instinct bestial de survie et la langue de bois". «Comme des abcès trop mûrs, les foyers de tension éclatent. Il y a des signaux qui ne trompent pas» souligne le quotidien Liberté.

Désormais tous les regards sont tournés vers le prochain rendez-vous : jeudi prochain 14 juin une nouvelle marche doit avoir lieu à Alger, à l'initiative des comités de village kabyles (archs), qui sont les véritables « cerveaux » de la revolte. La coordination des différentes wilayas de la Kabylie a ténu lundi sa dernière réunion de préparation, au centre culturel d'El-Kseur, à Tizi Ouzou. Il s'agissait de mettre au point une véritable plate-forme commune de revendication, en dehors de toute attitude partisane. Des clivages politiques sont néanmoins apparus, notamment sur l'abrogation du code de la famille et la levée de l'état d'urgence ; mais un compromis a été trouvé.

Les deux « principes directeurs » du mouvement de la Kabylie demeurent la « revendication amazighe sous toutes ses formes (langue, culture et identité) et un Etat de droit garantissant toutes les libertés démocratiques ». Cette coordination inter-wilaya exige d'autre part « la mise sous l'autorité effective des instances démocratiquement élues de toutes les fonctions excutives de l'Etat ainsi que les corps de sécurité ». Cette plate-forme devrait être remise au président de la République à l'issue de la marche du 14 juin.




par Elio  Comarin

Article publié le 12/06/2001