Centrafrique
Le conflit congolais déborde sur Bangui<br>
La tentative de putsch contre Ange-Félix Patassé n'a pas seulement démontré la fragilité de son régime. Le soutien libyen et surtout des rebelles congolais de Jean-Pierre Bemba au président centrafricain donne à cette crise une portée régionale. D'autant plus importante, que le pays de l'ex-empereur Bokassa apparaît désormais clairement comme une pièce supplémentaire du conflit en RDC.
Deux semaines après une crise qui a, une fois de plus failli emporter le régime d'Ange-Félix Patassé, la tentative du putsch intervenue dans la nuit du 27 au 28 mai pose encore bien des questions. La plupart des observateurs s'accordent au moins sur un point : le contexte économique et politique de plus en plus dégradé en Centrafrique créait un terrain favorable à un soulèvement. «La première raison du coup, c'est la misère, souligne un humanitaire travaillant depuis de longues années en Centrafrique. Plus de quatre mois de grève, entre octobre et janvier, l'an dernier, vingt mois de salaires impayés, sans oublier les pénuries de carburant qu'a connu le pays l'année dernière. Il y a un ras-le-bol général.»
En revanche, les analyses divergent sur les détails d'une opération aux nombreuses zones d'ombres. Parmi les proches d'André Kolingba, certains se disent «étonnés» que l'ancien président se soit engagé à ce point dans une telle aventure. Lors des soulèvements militaires de 1996-97, celui-ci avait toujours tenu à marquer ses distances avec les mutins, pour faire pièce à un président Patassé le soupçonnant d'en être le chef d'orchestre. «Lorsque les gens ont vu qu'il s'engageait cette fois ouvertement, beaucoup on pensé que le coup allait réussir», précise même un ancien responsable centrafricain. Un autre proche de l'ex-chef de l'Etat, écarte en tous cas la version d'une conspiration soutenue de l'extérieur, avancée par la présidence centrafricaine.
Une alliance de circonstance avec Bemba
Quelques jours après le putsch avorté, la présidence avait laissé entendre que la France aurait aidé les putschistes. Elle en voulait pour preuve la découverte dans la résidence d'André Kolingba, attenante à celle de l'ambassadeur de France, de caisses d'armes estampillées ambassade de France, initialement destinée à la gendarmerie locale. A Paris, on dément formellement toute implication. «Les allégations mettant en cause la responsabilité de la France dans le événements qui se sont déroulés dans la capitale de la République centrafricaine (à) sont dénuées de tout fondement», a souligné le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, le 11 juin.
Il reste que la crise de ces dernières semaines a une portée régionale incontestable, en raison de la participation de la Libye et surtout de 700 combattants de Jean-Pierre Bemba, venus de la RDC voisine, pour prêter main forte aux soldats loyalistes. Les liens entre Patassé et Kadhafi sont anciens. «M.Patassé, premier ministre, avait, comme Jean Bedel Bokassa et les autres dignitaires du régime impérial, adopté la religion du Prophète lors de la mémorable visite à Bangui du guide la révolution libyenne», explique l'ancien chef du gouvernement Jean-Paul Ngoupandé, dans Le syndrome Barracuda (L'Harmattan, 1997). Depuis cette époque, l'actuel chef de l'Etat a conservé des liens étroits avec Mouammar Kadhafi et ne manque pas une occasion de se rendre à Tripoli.
La présence dans les rues de Bangui de soldats du Front de libération du Congo (FLC), dans les jours qui ont suivi les événements du 28 mai, résulte en revanche d'une alliance de circonstance. En 1997, Patassé avait d'abord pris fait et cause pour Laurent Désiré Kabila. Le chef de l'Etat centrafricain y voyait l'espoir de constituer un axe Tripoli-Bangui-Kinshasa. Mais il a changé de position avec le début de la rébellion anti-Kabila en août 1998, et surtout la présence, depuis deux ans, des troupes de Jean-Pierre Bemba dans la province de l'Equateur frontalière de la Centrafrique. Selon le récent rapport des Nations Unies sur le pillage de ressources de la RDC, la RCA est même une plaque tournante essentielle pour les activités «commerciales» de Jean-Pierre Bemba et son entourage : «Les amis de Jean-Pierre Bemba, les hommes d'affaires français, Jean-Yves Ollivier, Jean-Pierre Dupont et Jean Pierre Saber, ont tous utilisés Bangui comme base arrière pour leurs affaires de diamants et de café.» Selon les enquêteurs de l'ONU, Victor Bout, ancien agent russe du KGB, propriétaire d'une compagnie aérienne versant dans les trafics en tout genre avec les pays sous embargo, aurait également utilisé l'aéroport de Bangui pour transporter des armes et du café.
Le rapprochement de Patassé et Bemba est d'autant plus une alliance de circonstances qu'elle est contre nature, les troupes de ce dernier étant essentiellement composé de Ngbandi, «frères» des Yakomas. De sources françaises, Jean-Pierre Bemba, dont la position est de moins en moins confortable, depuis l'annonce du retrait des troupes ougandaises de RDC et l'avancée du processus de paix en RDC, aurait décidé d'aider Patassé dans l'espoir de renforcer ce qui constitue aujourd'hui sa principale base arrière. Une position qu'il payerait toutefois par des divisions au sein de son mouvement à la suite des massacres perpétrées par la garde présidentielle centrafricaine contre les Yakomas, ces derniers jours.
Sur le plan régional en tous cas, un soutien aussi appuyé du FLC ne peut qu'isoler un peu plus Ange-Félix Patassé à l'égard de Kinshasa et de ses alliés. Mais elle confirme également l'importance de la Centrafrique dans la crise congolaise, alors même que, contrairement au Rwanda, à l'Ouganda et au Burundi, Bangui n'apparaît qu'incidemment dans les rapports dénonçant le pillage de ressources de l'ex-Zaïre.
En revanche, les analyses divergent sur les détails d'une opération aux nombreuses zones d'ombres. Parmi les proches d'André Kolingba, certains se disent «étonnés» que l'ancien président se soit engagé à ce point dans une telle aventure. Lors des soulèvements militaires de 1996-97, celui-ci avait toujours tenu à marquer ses distances avec les mutins, pour faire pièce à un président Patassé le soupçonnant d'en être le chef d'orchestre. «Lorsque les gens ont vu qu'il s'engageait cette fois ouvertement, beaucoup on pensé que le coup allait réussir», précise même un ancien responsable centrafricain. Un autre proche de l'ex-chef de l'Etat, écarte en tous cas la version d'une conspiration soutenue de l'extérieur, avancée par la présidence centrafricaine.
Une alliance de circonstance avec Bemba
Quelques jours après le putsch avorté, la présidence avait laissé entendre que la France aurait aidé les putschistes. Elle en voulait pour preuve la découverte dans la résidence d'André Kolingba, attenante à celle de l'ambassadeur de France, de caisses d'armes estampillées ambassade de France, initialement destinée à la gendarmerie locale. A Paris, on dément formellement toute implication. «Les allégations mettant en cause la responsabilité de la France dans le événements qui se sont déroulés dans la capitale de la République centrafricaine (à) sont dénuées de tout fondement», a souligné le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, le 11 juin.
Il reste que la crise de ces dernières semaines a une portée régionale incontestable, en raison de la participation de la Libye et surtout de 700 combattants de Jean-Pierre Bemba, venus de la RDC voisine, pour prêter main forte aux soldats loyalistes. Les liens entre Patassé et Kadhafi sont anciens. «M.Patassé, premier ministre, avait, comme Jean Bedel Bokassa et les autres dignitaires du régime impérial, adopté la religion du Prophète lors de la mémorable visite à Bangui du guide la révolution libyenne», explique l'ancien chef du gouvernement Jean-Paul Ngoupandé, dans Le syndrome Barracuda (L'Harmattan, 1997). Depuis cette époque, l'actuel chef de l'Etat a conservé des liens étroits avec Mouammar Kadhafi et ne manque pas une occasion de se rendre à Tripoli.
La présence dans les rues de Bangui de soldats du Front de libération du Congo (FLC), dans les jours qui ont suivi les événements du 28 mai, résulte en revanche d'une alliance de circonstance. En 1997, Patassé avait d'abord pris fait et cause pour Laurent Désiré Kabila. Le chef de l'Etat centrafricain y voyait l'espoir de constituer un axe Tripoli-Bangui-Kinshasa. Mais il a changé de position avec le début de la rébellion anti-Kabila en août 1998, et surtout la présence, depuis deux ans, des troupes de Jean-Pierre Bemba dans la province de l'Equateur frontalière de la Centrafrique. Selon le récent rapport des Nations Unies sur le pillage de ressources de la RDC, la RCA est même une plaque tournante essentielle pour les activités «commerciales» de Jean-Pierre Bemba et son entourage : «Les amis de Jean-Pierre Bemba, les hommes d'affaires français, Jean-Yves Ollivier, Jean-Pierre Dupont et Jean Pierre Saber, ont tous utilisés Bangui comme base arrière pour leurs affaires de diamants et de café.» Selon les enquêteurs de l'ONU, Victor Bout, ancien agent russe du KGB, propriétaire d'une compagnie aérienne versant dans les trafics en tout genre avec les pays sous embargo, aurait également utilisé l'aéroport de Bangui pour transporter des armes et du café.
Le rapprochement de Patassé et Bemba est d'autant plus une alliance de circonstances qu'elle est contre nature, les troupes de ce dernier étant essentiellement composé de Ngbandi, «frères» des Yakomas. De sources françaises, Jean-Pierre Bemba, dont la position est de moins en moins confortable, depuis l'annonce du retrait des troupes ougandaises de RDC et l'avancée du processus de paix en RDC, aurait décidé d'aider Patassé dans l'espoir de renforcer ce qui constitue aujourd'hui sa principale base arrière. Une position qu'il payerait toutefois par des divisions au sein de son mouvement à la suite des massacres perpétrées par la garde présidentielle centrafricaine contre les Yakomas, ces derniers jours.
Sur le plan régional en tous cas, un soutien aussi appuyé du FLC ne peut qu'isoler un peu plus Ange-Félix Patassé à l'égard de Kinshasa et de ses alliés. Mais elle confirme également l'importance de la Centrafrique dans la crise congolaise, alors même que, contrairement au Rwanda, à l'Ouganda et au Burundi, Bangui n'apparaît qu'incidemment dans les rapports dénonçant le pillage de ressources de l'ex-Zaïre.
par Christophe Champin
Article publié le 15/06/2001