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Congo démocratique

Bemba attend que le vent tourne

A Gbadolite, Jean-Pierre Bemba, le leader du Front de Libération des Congolais (FLC) cherche un second souffle depuis l'arrivée au pouvoir de Joseph Kabila à Kinshasa. Reportage.
De notre envoyé spécial à Gbadolite

L'ouverture du premier congrès du Front de Libération des Congolais (FLC) a coïncidé avec la célébration de la fête de l'indépendance du Congo-Kinshasa. Sous le regard attentif d'un ancien majordome du défunt président Mobutu, toute la ville de Gbadolite a été invitée à défiler devant les cadres du Front et deux hommes d'affaires israéliens. Aux «mamans» transportant de gigantesques poissons ont succédé les écoliers de l'école des Petits Poussins, les cadres de l'administration des impôts, sautillants, ventres au vent, etc. Le défilé s'est poursuivi durant une bonne heure devant l'£il absent de Jean-Pierre Bemba, le président du FLC.

Depuis que ses troupes, constituées en majorité d'ex-militaires de Mobutu, ont pris la ville quasiment sans résistance des forces gouvernementales, en 1999, sa popularité a considérablement baissé. Accueilli comme un libérateur dans cette ville natale du président Mobutu à cause de ses liens connus avec l'ancien régime, Jean-Pierre Bemba n'est évidemment pas parvenu à restaurer les fastes d'antan. Le soir du 30 juin, des habitants de Gbadolite et des cadres du FLC ont suivi à la télévision, les uns avec rage, les autres avec nostalgie, la fête de l'indépendance, à Kinshasa. Ce soir là, personne n'avait le moral. Le silence des vastes rues toujours vides de Gbadolite venait rappeler à chacun, que l'ex Zaïre est en miettes et que le Maréchal n'est plus.

Du palais de Mobutu, pillé successivement par les armées rwandaise, tchadienne, soudanaise et par les Congolais eux-mêmes, il ne reste plus que les murs et les toits. Les vastes résidences qui bordent l'avenue Mobutu Sese Seko sont des coquilles vides. Autour des luxueux pavillons de l'hôtel Nzekele, les pelouses se transforment en jardins potagers cultivés par les cadres du mouvement. Comme nous ne sommes pas payés, il faut bien nous débrouiller !, souligne Jean-Pierre, un ancien journaliste devenu récemment chef du personnel de l'armée de Jean-Pierre Bemba, qui plante énergiquement des oignons.

Un passage à vide

Assis dans un fauteuil en cuir, dans la résidence pillée de son père, le richissime homme d'affaire Bemba Saolona, Jean-Pierre Bemba reconnaît que son mouvement, traverse un passage à vide. «Tous les politiciens, n'est-ce pas, connaissent des vents contraires?, remarque-t-il. Les vents changent. Il s'agit donc d'être patient. Si Kinshasa a aujourd'hui le vent en poupe, il n'en sera pas toujours de même», dit-il avec élan.

Depuis l'assassinat du président Laurent-Désiré Kabila dans le palais de marbre à Kinshasa en janvier dernier, Bemba est tombé de haut. A l'époque, l'Ouganda se préparait à relancer la guerre. En créant le Front de Libération du Congo, l'état-major de l'armée ougandaise venait d'offrir à Jean-Pierre Bemba les territoires tenus par le RCD-Kisangani de Wamba dia Wamba et Bafwasende. Des régions riches en diamants, en or et en divers minerais. Dans les ambassades à Kampala, Bemba était décrit comme un potentiel «tombeur» de Laurent-Désiré Kabila. On lui accordait toutes les faveurs. Mais l'accession au pouvoir à Kinshasa du fils Kabila a changé la donne. Accueilli aux Etats-Unis puis en Europe avec les fastes dus à un chef d'Etat, Joseph Kabila s'est rapidement positionné auprès des grandes capitales occidentales comme représentant le seul pouvoir légitime dans un pays divisé par les appétits d'au moins six nations.

«La mise en place d'un régime d'ordre monarchique à Kinshasa est inacceptable !», s'emporte Jean-Pierre Bemba. Cependant, l'option d'une reprise des combats lui est devenue de plus en plus difficile à prendre. L'accession au pouvoir de Joseph Kabila a permis le déploiement d'environ 3 000 observateurs des Nations unies chargés de contrôler le respect du cessez-le-feu. Sur le plan diplomatique, on ne parle plus que du futur dialogue inter-congolais dont les bases devraient être posées à la fin du mois à Gaborone, au Botswana, sous l'égide de l'ex-président Ketumile Masire.

En attendant une hypothétique issue négociée, Jean-Pierre Bemba est condamné à administrer les quelques 800 000 kmª carrés de territoires conquis par l'armée ougandaise. Une tache difficile. Ses hommes, privés de l'espoir de butin que leur aurait apporté une victoire militaire sur Mbandaka et Kinshasa, se retournent de plus en plus contre la population. Dans le nord-est, la présence de mouvements politiques clientélistes et de groupes de résistants dits Mai Mai, ont conduit à des combats à Béni et à Butembo.

Pour apporter une nouvelle cohésion au FLC, Jean-Pierre Bemba a donc convoqué, pour la première fois le Congrès qui est l'organe législatif du Front. Du 1er au 4 juillet, ce congrès a donné la possibilité aux 68 délégués des 34 territoires tenus par le mouvement d'exprimer leurs préoccupations. Mais il a surtout été l'occasion pour Jean-Pierre Bemba de placer à sa tête John Tibasima, le ministre des Mines du FLC et de mettre ainsi fin à toute ambiguïté concernant la direction du RCD-Kisangani dont le chef, Wamba dia Wamba, a choisi l'exil à Dar es Salaam, en Tanzanie.



par Gabriel  Kahn

Article publié le 06/07/2001