Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Festival d''Avignon

Tenue de sérieux exigée

Admettons-le une bonne fois pour toutes: à Avignon, on s'amuse quand même plus dans le off que dans le in. Commerce oblige? Toujours est-il que le off, tenu pour survivre de capt(iv)er le public, joue très clairement la carte de ce que les Américains nomment l'« entertainment ». Alors que les spectacles officiels, cette année, ne craignent pas de privilégier le thème de la mort, du deuil, de la douleur irréparable. Parfois magistralement, comme en témoigne Le pays lointain de Jean-Luc Lagarce, mis en scène par François Rancillac.
De notre envoyée spéciale

Un homme, jeune encore, va mourir. Il le sait, il l'a dit, à ses proches en tout cas. Pour sa famille, son père, sa mère, ses s£urs, son beau-frère, c'est une autre paire de manches, parce que voilà, la maladie, celle qui le ronge et qui aura sa peau, n'est pas qu'une maladie. C'est un mode de vie, une façon de penser le monde et de s'y inscrire, l'exact condensé de tout ce que le narrateur cache plus ou moins à ses parents, depuis des années.

Le dramaturge Jean-Luc Lagarce a écrit Le pays lointain voici quelques années, juste avant de mourir du sida. Le pays lointain dont il nous parle, c'est donc, clairement, le pays des morts, d'où il nous écrit cette longue lettre. Mais c'est aussi, considéré cette fois-ci du point de vue du narrateur, ce pays lointain qu'il quitta après l'adolescence, pays géographique (la province française) et social (le monde ouvrier, celui de sa famille) tout à la fois. La pièce mise en scène par François Rancillac s'ouvre sur cette belle ambiguïté. Il y en aura d'autres.

Dans un décor d'une sobriété absolue (des petits lits métalliques recouverts de bâches blanches: l'Enfer vu comme un dortoir de colonie de vacances?), Louis convoque donc ses deux familles. La famille biologique, d'abord, celle pour qui il a la patience, la tolérance amusée du grand frère monté-à-la-ville. Celle qui ne peut comprendre ni le métier vaguement intellectuel qu'il exerce, ni son mode de vie, entre bohème chic et dragues nocturnes. Il y a ensuite la famille d'élection, celle qu'on s'est choisie par amour ou par amitié. Les amants, les amis, ceux qui vous ont suivi pas à pas, pendant quelques heures ou pour toute la vie, ceux avec qui vous avez partagé angoisses, joies, coups de gueule et gueules de bois. Sur une trame très proche du film de Patrice Chéreau, Ceux qui m'aiment prendront le train, les deux familles se rencontrent, pour la première fois. C'est là que le bât blesse, parce que forcément, chacune à sa propre image du défunt et que les deux images ne coïncident pas, mais pas du tout. Il ne faudrait pas croire non plus que les familles d'élection n'obéissent pas aux mêmes règles que les autres, qu'il n'y a pas, chez elles, ce mélange d'affection, d'amour, mais aussi de rivalités sourdes, antagonismes et haines ressassées jusqu'à la lie, qui font le charme délétère des familles dites «normales». C'est ce terreau qui est le matériau premier de Jean-Luc Lagarce et que François Rancillac met en scène avec infiniment de sobriété et de pudeur.

«Ce texte m'a aidé à grandir», dit Rancillac. On le comprend.

Dans un tout autre registre, le off propose Illico, rencontre improbable -et cependant très réussie- entre un chanteur de bar et un quatuor à cordes de formation classique. Cela donne un drôle de spectacle où toute sortes de musiques ûfunk, blues, tango, rock, java, gigue irlandaise- servent de supports à de mini-sketchs où le talent de mime et/ou d'acteur des musiciens fait des merveilles. Rafraîchissant.



par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 25/07/2001