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Congo démocratique

Chasse aux sorciers dans le Nord-Est

Plus de 700 présumés sorciers ont été lynchés par la population depuis le 15 juin dernier dans la région d'Aru, au Nord Est de la République Démocratique dans une région occupée par l'armée ougandaise. Des centaines d'autres présumés sorciers ont trouvé refuge à Aru. Mais les massacres se poursuivent et risquent de s'étendre à d'autres régions.
De notre correspondant à Kampala

Tout le monde croit en la sorcellerie dans la région d'Aru. Elle peut guérir. Elle peut également tuer. La mort d'un enfant, celle d'une femme en couche ou d'un homme encore jeune est généralement perçue dans le Nord Est de la République Démocratique du Congo, comme étant le résultat d'une vengeance. On soupçonne la magie. Jusqu'au mois passé, les habitants d'Aru vivaient avec cette peur au ventre. Puis soudainement, l'équilibre social s'est brisé. A l'instigation de quelques jeunes gens et de chefs coutumiers, une chasse aux sorciers a été organisée le mois dernier à Otso, à environ 4 kilomètres d'Aru. «Nous avons demandé à la population d'identifier les sorciers. Une fois ces derniers reconnus, nous avons exigé qu'ils nous montrent leurs instruments de magie et de dénoncer les autres sorciers. Puis la foule les a lynchés», raconte un chef coutumier actuellement en prison à Aru.

Selon le capitaine Alfred Opio, de l'armée ougandaise, la première victime de cette chasse aux sorcières aurait été un professeur découvert avec une liste de noms de personnes mortes récemment dans des conditions suspectes. Depuis, Les massacres ont pris une grande ampleur. Plus de 900 présumés sorciers ont été tués ces trois dernières semaines, «certains qui n'avaient pas 6 ans», rapporte Ide, un responsable administratif de la région. «Dès l'âge de cinq ans, les enfants peuvent être sorciers. Non pas tellement d'eux même. Mais ils sont manipulés», explique-t-il. Pour éviter d'être découpés à la machette, des présumés sorciers se seraient eux même donnés la mort. Selon Ide, les tueries ne viseraient plus seulement les sorciers et leurs proches mais également les Congolais venus d'autres régions.

La région d'Aru est pillée par différents groupes armés

L'armée ougandaise est intervenue sans parvenir à arrêter les massacres. Des centaines de personnes ont été arrêtées. Des centaines de présumés sorciers, certains blessés à coups de machettes, ont trouvé refuge à Aru. Mais la population de cette région paraît décidée à aller jusqu'au bout dans sa volonté d'éliminer toute personne soupçonnée de sorcellerie. Elle semble ainsi confondre les conséquences de la guerre avec des actes individuels de magie. Au Congo Démocratique, l'effondrement des infrastructures sanitaires et éducatives à fait en effet des millions de morts ces dernières années.

Des groupes rebelles, armés par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda se livrent depuis 1996 au pillage systématique des ressources naturelles. Or, bois, ivoire, minerais divers transitent par Kampala ou Kigali en direction des capitales occidentales et asiatiques. Dans le même moment, la population est abandonnée à elle-même. Dans bien des cas les routes n'existent plus. Les hôpitaux sont en ruine. Les médicaments, inaccessibles.

Dans un récent rapport, l'Organisation des nations Unies pour l'enfance (UNICEF) note que des maladies telles que la malaria et la rougeole ainsi que la malnutrition sont réapparues en force. Cette année, plus de 42 000 congolaises risquent de mourir en couche, précise l'UNICEF. Dans certaines localités, le nombre des décès est devenu supérieur à celui des naissances. Les enfants sont les premières victimes de la guerre. A Kalemié dans le Nord du Katanga par exemple, trois enfants sur quatre disparaissent avant l'âge de deux ans, selon la Croix rouge internationale, tandis qu'à Moba, au bord du lac Tanganyika, la moitié des enfants n'atteint pas l'âge de un an. Ceux qui parviennent à l'age de 12 ans sont parfois enrôlés de force par les mouvements armés, pour combattre leurs frères.

C'est dans un tel contexte qu'il faut probablement placer les massacres et règlements de comptes qui sont en cours dans le Nord Est du pays. En trouvant refuge dans l'irrationnel et dans la violence, les habitants de cette région gardent probablement l'espoir d'une vie meilleure.



par Gabriel  Kahn

Article publié le 12/07/2001