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Argentine

«L'ange de la mort» libre, mais toujours poursuivi

Quelques heures après que le ministre argentin des Affaires étrangères eut annoncé qu'Alfredo Astiz ne serait pas extradé, comme le demandaient la France et l'Italie, la justice argentine a annoncé qu'elle poursuivrait ses investigations sur l'ancien tortionnaire. Il est notamment accusé d'enlèvement d'enfant, un crime non couvert par les lois d'amnistie.
«L'ange blond de la mort» a quitté mardi soir la préfecture navale de Buenos Aires où il était détenu depuis le 1er juillet, mais ses ennuis judiciaires ne sont pas terminés. La justice argentine va maintenant se pencher sur l'enlèvement de l'enfant d'un couple italo-argentin passé entre les mains du tortionnaire.
C'est pour la disparition de Giovanni Pegoraro et de sa femme Susanna que l'Italie avait demandé l'arrestation d'Alfredo Astiz et son extradition. L'Argentine avait rejeté cette demande, invoquant le principe de territorialité : des crimes commis sur le territoire argentin ne peuvent relever que de la justice nationale. En l'occurrence, les crimes commis pendant la dictature ont été amnistiés par les lois de 1986 et 1987 et Astiz ne devrait pas avoir à en répondre.

Mais on sait que Susanna Pegoraro avait accouché pendant sa captivité à l'Ecole de mécanique de la Marine, où officiait Astiz, et que l'enfant a lui-aussi disparu. Tout comme 500 enfants (selon les estimations des «Grands-mères de la place de Mai»), nés pendant la détention de leurs parents, séparés de leur famille et jamais restitués. Or, l'enlèvement et l'adoption forcée de ces enfants ne font pas partie des crimes amnistiés par les lois dîtes du «Point final» et de «l'obéissance due», votées après la dictature pour apaiser la colère de l'armée argentine. Des poursuites judiciaires ont été ouvertes à ce propos contre les anciens chefs de la junte, le général Videla et l'amiral Massera.

La France déplore la libération du tortionnaire

Même si les procédures contre Astiz vont se poursuivre, l'annonce de sa libération n'a pas été très bien accueillie : Paris a «vivement déploré» cette remise en liberté. En effet, le ministère de la justice français avait lui aussi demandé l'extradition du tortionnaire pour la disparition de deux religieuses françaises, Léonie Duquet et Alice Domon, s£urs des Missions étrangères enlevées en 1977 à Buenos Aires, torturées et sans doute mises à mort à l'Ecole de mécanique de la marine. Pour ces crimes, la justice française avait condamné Astiz par contumace à la réclusion à perpétuité.

D'autres procédures contre «l'Ange de la mort» sont en cours à l'étranger : en Suède, pour l'assassinat d'une jeune adolescente, et en Espagne, où le juge Garzon l'a inculpé pour génocide, torture et terrorisme. A chaque fois, l'Argentine a refusé son extradition.

Dans les faits, Astiz n'a jamais pu à répondre de ses actions à l'Ecole de mécanique, le plus grand centre de détention des opposants argentins, dont il était l'un des tortionnaires les plus redoutés (cinq des trente mille disparus y ont été détenus pendant la dictature, entre 1976 et 1983). Tout juste a-t-il été condamné à trois mois de prison pour «apologie de crime» et renvoyé de l'armée après s'être publiquement vanté, en 1998, d'être «l'homme le mieux préparé pour tuer un homme politique ou un journaliste». Chez les proches des disparus et dans les associations qui les soutiennent, cette impunité scandalise mais ne surprend pas : «L'Argentine n'est pas encore assez forte pour se passer du soutien de son armée», commente ainsi Béatrice Roux, de l'association franco-argentine de Paris. Seule consolation : «Si Astiz ne peut pas être jugé ou extradé, il n'en est pas moins un symbole haï dans tout le pays : on lui crache à la figure, il reçoit des menaces de mort et il ne peut pas entrer dans un restaurant sans être mis à la porte».



par Nicolas  Sur

Article publié le 16/08/2001