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Pakistan

Bienvenue au «Journalistan»

Ils ont débarqué en rang serré sur Islamabad, le regard déterminé, uniforme de rigueur avec veste multi-poches et des moyens de communication au top de la technologie, leur permettant d'être autonomes en toute circonstance. Ce ne sont pas les soldats américains à la poursuite d'Oussama Ben Laden, mais les 500 journalistes venus couvrir la «troisième guerre mondiale» depuis le Pakistan.
De notre envoyé spécial à Islamabad

Les vieux baroudeurs tombent dans les bras les uns des autres ; ils ont déjà couverts ensemble la guerre du Golfe ou le conflit dans l'ex-Yougoslavie. George W. Bush rêverait d'un tel ralliement international : les as de la plume et du micro viennent de 68 pays. Cela ne va pas toujours sans mal.

Les pharmacies d'Islamabad sont en rupture de stock de médicaments contre les douleurs gastriques, les estomacs finlandais ou canadiens ne supportant pas toujours les kebab épicés ou les kabouli pulao bien gras. Le club des Nations Unies est aussi en rupture de stock, mais de whisky cette fois-ci. Un comble dans une république islamique où l'alcool est officiellement interdit. Mais il faut bien se détendre après une dure journée de travail.

Le choc des cultures est vif aussi. Ainsi les Talibans ont imposé aux femmes afghanes le port de la burqa, ce voile qui les couvre intégralement. On comprend donc que l'ambassadeur afghan à Islamabad ûqui ne manque pourtant pas de courage puisqu'il a guerroyé contre l'occupant soviétique- soit déboussolé quand une journaliste américaine blonde platinée, sans voile mais en short, téléphone portable à la ceinture, l'apostrophe avec un fort accent texan. Certains manquent aussi de documentation. A l'instar de ce cameraman demandant, à l'aéroport d'Islamabad, comment se rendre au Pakistan. Il croyait avoir atterri en Afghanistan.

Les interprètes ont multiplié leur tarif par dix

Cette présence massive de journalistes irrite parfois. Ainsi à Peshawar, superbe ville traditionnelle proche de la frontière afghane, des équipes de télévision ont essuyé les jets de pierres d'habitants ûpourtant habituellement accueillants- mais qui ne supportaient plus cette tribu pas toujours respectueuse des us et coutumes locaux. Craignant des incidents, les autorités pakistanaises ont imposé des gardes aux journalistes dans la ville de Quetta, la capitale du Baloutchistan dont les habitants cultivent une indépendance fière et sourcilleuse.

Cependant les journalistes font aussi marcher les affaires. Les chambres d'hôtel sont toutes occupées malgré des prix largement révisés à la hausse ; les interprètes ont multiplié leur tarif par dix et on ne trouve plus une seule voiture à louer. Une chaîne japonaise a même acheté deux 4X4 flambant neufs tellement le prix des locations les a choqué. Pour sa part, la chaîne américaine CNN s'est adjugé tout un étage de l'hôtel le plus luxueux d'Islamabad. Les lits ont été déposés dans le couloir afin de transformer des chambres en studio d'enregistrement ou en salle de montage. La même chaîne paie 3000 francs par jour pour déployer son matériel de transmission sur le toit de l'hôtel. Le salaire moyen au Pakistan est de 2 600 francs par an.

Mais cette tribu journalistique n'est pas seulement caricaturale. Elle travaille beaucoup aussi, courant d'une conférence de presse à l'autre, suivant les manifestations des intégristes ou des pro-américains, interviewant les spécialistes de la région qui ont du mal à répondre à la demande mais restent toujours courtois. Comme le disait l'un d'entre eux : «Ce n'est plus le Pakistan, c'est le Journalistan».



par Jean  Piel, à Islamabad

Article publié le 04/10/2001