Prix Nobel
Naipaul : un regard sombre sur l'Afrique post-coloniale
Lauréat du prix Nobel de littérature, V.S. Naipaul est couronné pour une £uvre très largement tournée vers les sociétés post-coloniales, notamment en Afrique. L'écrivain y développe une critique acerbe de ces «sociétés incomplètes».
Naipaul, est-il un écrivain politique ? Il l'est profondément, si l'on en croit le critique palestino-américain Edward Saïd qui en cite pour preuve la lecture invariablement pessimiste de la décolonisation que fait Naipaul dans ses livres. En effet, dans ses romans comme dans ses essais, l'auteur de L'Enigme de l'Arrivée s'est attaché à dénoncer les fantasmes et les échecs des nationalismes contemporains, qui ont pris le relais des empires coloniaux finissant. Il a parcouru le monde post-impérial de long en large, établissant avec une grande lucidité la géographie politique et émotionnelle de ce qu'il appelle les «sociétés incomplètes» issues de la colonisation. Critique sévère des dérives des nations nouvellement indépendantes, il n'oublie pas la responsabilité de l'Europe dans les problèmes dont souffrent ses ex-colonies. Il n'oublie pas non plus le rôle primordial que l'impérialisme occidental a joué dans la pacification du monde et dans la diffusion de la pensée moderne aux quatre coins du globe.
Issu lui-même de l'univers post-colonial caribéen, il a nourri ses récits de ses propres expériences des «societés incomplètes». La société caribéenne multiraciale, née de la colonisation et gouvernée par des «hommes de paille» violents et corrompus, est au coeur des premiers romans de Naipaul. C'est également le cas du Congo et de la Côte d'Ivoire... L'écrivain n'éprouve aucune sympathie pour les régimes qui se sont installés dans ces pays au lendemain des indépendances. Son séjour à l'Université de Makerere (Ouganda) dans les années 60 et les voyages effectués au Congo-Zaïre à cette époque, ont fini par le convaincre de l'étendue du mal. «Je me suis retrouvé, se souvient-il, dans une ville autrefois prospère, abandonnée par les Belges. Les réverbères avaient commencé à se rouiller. Il y avait du sable partout. Des vérandas s'étaient écroulées. Les Africains squattaient les maisons, tout comme autrefois les premiers Anglais avaient squatté les villas romaines. Voilà que l'Afrique avait fait un saut en arrière de quinze siècles. Les autochtones squattaient les ruines de la civilisation. On pouvait presque voir la brousse en train de regagner le terrain perdu...»
Naipaul stigmatise la mégalomanie d'Houphouët-Boigny
Cette vision quasi-apocalyptique du monde contemporain avait à l'époque poussé Naipaul à écrire par provocation que l'Afrique n'avait plus d'avenir. Ses premiers récits mettant en scène l'Afrique postcoloniale, réunis dans le recueil intitulé Dis-moi qui tuer (1971), reflètent ce pessimisme. Il stigmatise la mégalomanie du président de la Côte d'Ivoire dans «Les Crocodiles de Yamoussoukro», paru dans le recueil Sacrifice (1984). Mais c'est dans son roman A la courbe du fleuve que Naipaul a réussi à rendre puissamment la stagnation et la vulnérabilité de l'Afrique des indépendances. Ce roman raconte la dérive matérielle, psychologique et spirituelle du pays du «centre», qui n'est pas sans rappeler le Zaïre du maréchal Mobutu. Un «grand homme» règne en maître sur ce pays imaginaire. Après avoir pris le pouvoir, il s'est proclamé président à vie. Il prêche le socialisme, fait des discours-fleuves rédigés par un intellectuel parisien et réprime dans le sang les moindres velléités d'opposition. La scène finale du livre, qui décrit un vieux vapeur à la dérive au milieu des jacinthes blanches, évoque métaphoriquement le sort peu enviable d'un continent marginalisé et condamné aux malheurs.
Cette critique naïpaulienne de la rhétorique du nationalisme noir en Afrique ou dans les Caraïbes n'a pas manqué, comme on peut l'imaginer, de susciter des controverses. On a reproché à l'auteur de s'être laissé influencer par Conrad et d'avoir créé son «grand homme» à l'image de Kurtz de Apocalypse now! Pour Derek Walcott, autre grand caribéen et prix Nobel de littérature 1992, la prose de Naipaul est défigurée par «la répulsion que lui inspirent manifestement les Noirs». Le nigérian Chinua Achebe a qualifié A la courbe du fleuve d'«ineptie pompeuse». Faisons confiance à Edward Saïd pour faire la part des choses. Il écrit que si en Occident «Naipaul est considéré comme un maître de la fiction et un témoin important de la désintégration et de l'hypocrisie du tiers monde, dans les pays postcoloniaux il est montré du doigt comme un pourvoyeur de stéréotypes (...), mais cela ne les empêche pas de reconnaître ses talents d'écrivain!»
Issu lui-même de l'univers post-colonial caribéen, il a nourri ses récits de ses propres expériences des «societés incomplètes». La société caribéenne multiraciale, née de la colonisation et gouvernée par des «hommes de paille» violents et corrompus, est au coeur des premiers romans de Naipaul. C'est également le cas du Congo et de la Côte d'Ivoire... L'écrivain n'éprouve aucune sympathie pour les régimes qui se sont installés dans ces pays au lendemain des indépendances. Son séjour à l'Université de Makerere (Ouganda) dans les années 60 et les voyages effectués au Congo-Zaïre à cette époque, ont fini par le convaincre de l'étendue du mal. «Je me suis retrouvé, se souvient-il, dans une ville autrefois prospère, abandonnée par les Belges. Les réverbères avaient commencé à se rouiller. Il y avait du sable partout. Des vérandas s'étaient écroulées. Les Africains squattaient les maisons, tout comme autrefois les premiers Anglais avaient squatté les villas romaines. Voilà que l'Afrique avait fait un saut en arrière de quinze siècles. Les autochtones squattaient les ruines de la civilisation. On pouvait presque voir la brousse en train de regagner le terrain perdu...»
Naipaul stigmatise la mégalomanie d'Houphouët-Boigny
Cette vision quasi-apocalyptique du monde contemporain avait à l'époque poussé Naipaul à écrire par provocation que l'Afrique n'avait plus d'avenir. Ses premiers récits mettant en scène l'Afrique postcoloniale, réunis dans le recueil intitulé Dis-moi qui tuer (1971), reflètent ce pessimisme. Il stigmatise la mégalomanie du président de la Côte d'Ivoire dans «Les Crocodiles de Yamoussoukro», paru dans le recueil Sacrifice (1984). Mais c'est dans son roman A la courbe du fleuve que Naipaul a réussi à rendre puissamment la stagnation et la vulnérabilité de l'Afrique des indépendances. Ce roman raconte la dérive matérielle, psychologique et spirituelle du pays du «centre», qui n'est pas sans rappeler le Zaïre du maréchal Mobutu. Un «grand homme» règne en maître sur ce pays imaginaire. Après avoir pris le pouvoir, il s'est proclamé président à vie. Il prêche le socialisme, fait des discours-fleuves rédigés par un intellectuel parisien et réprime dans le sang les moindres velléités d'opposition. La scène finale du livre, qui décrit un vieux vapeur à la dérive au milieu des jacinthes blanches, évoque métaphoriquement le sort peu enviable d'un continent marginalisé et condamné aux malheurs.
Cette critique naïpaulienne de la rhétorique du nationalisme noir en Afrique ou dans les Caraïbes n'a pas manqué, comme on peut l'imaginer, de susciter des controverses. On a reproché à l'auteur de s'être laissé influencer par Conrad et d'avoir créé son «grand homme» à l'image de Kurtz de Apocalypse now! Pour Derek Walcott, autre grand caribéen et prix Nobel de littérature 1992, la prose de Naipaul est défigurée par «la répulsion que lui inspirent manifestement les Noirs». Le nigérian Chinua Achebe a qualifié A la courbe du fleuve d'«ineptie pompeuse». Faisons confiance à Edward Saïd pour faire la part des choses. Il écrit que si en Occident «Naipaul est considéré comme un maître de la fiction et un témoin important de la désintégration et de l'hypocrisie du tiers monde, dans les pays postcoloniaux il est montré du doigt comme un pourvoyeur de stéréotypes (...), mais cela ne les empêche pas de reconnaître ses talents d'écrivain!»
par Tirthankar Chanda
Article publié le 12/10/2001