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RFI en deuil

Trois journalistes tués dans une embuscade

Trois grands reporters ont trouvé la mort dans une embuscade tendue par les Taliban dans le nord-est de l'Afghanistan. Deux Français, notre consoeur de Radio France Internationale, Johanne Sutton, Pierre Billaud de RTL et un Allemand du magazine Stern, Volker Handloik. Ce sont les premiers journalistes victimes de cette guerre. Les corps de Johanne Sutton, Pierre Billaud et Volker Handloik sont arrivés en France, tôt ce jeudi matin. Les obsèques de notre consoeur de RFI ont lieu ce jeudi après-midi à Saint-Germain-en-Laye, celles de Pierre Billaud se dérouleront le vendredi 16 novembre dans le sud-ouest de la France. La dépouille de Volker Handloik a, quant à elle, été rapatriée en Allemagne.
La nuit était tombée. Les chars de l'Alliance du Nord, l'opposition afghane qui a lancé une grande offensive contre les Taliban dans le nord du pays, avançaient sur un chemin caillouteux. Plusieurs journalistes avaient pris place aux côtés des soldats. Tout à coup, des coups de feu ont retenti. Rafales de Kalachnikov et roquettes anti-char sont tombées sur le convoi. Un groupe de Taliban descendu d'une colline a lancé un assaut meurtrier. Véronique Rebeyrotte, grand reporter à France Culture, rescapée du massacre, a témoigné des conditions dans lesquelles Johanne Sutton, Pierre Billaud et Volker Handloik ont perdu la vie.

Les journalistes avaient eu, un peu plus tôt, l'occasion de partir sur un char avec les soldats de l'Alliance du Nord pour avancer en direction de Mazar-e-Sharif, la deuxième ville d'Afghanistan dont l'opposition a pris le contrôle vendredi soir. Il s'agissait pour eux de vérifier la situation réelle sur le terrain. Une mission risquée mais indispensable dans un contexte extrêmement tendu où l'information est souvent manipulée par les forces en présence en fonction de leurs objectifs stratégiques, où le travail des journalistes prend toute sa valeur.

Tout a été très vite. Trop vite. «On a entendu beaucoup de coups de feu, des tirs. Le char a freiné brutalement, donc les gens sont tombés ou ont sauté. C'était la nuit noire. Le char est reparti très très vite en essuyant des coups de feu». Véronique Rebeyrotte est choquée, perdue. Ses camarades, Johanne et Pierre, n'étaient plus à ses côtés lorsque le char, enfin à l'abri, a arrêté sa course. Depuis plusieurs semaines, tous trois partageaient une vie difficile, dangereuse. Johanne et Véronique avaient passé la frontière entre l'Ouzbékistan et l'Afghanistan ensemble. Johanne représentait un véritable soutien pour sa consoeur. Toujours optimiste malgré la fatigue accumulée après six semaines sur le terrain. Pourtant, le matin même, son moral en avait pris un coup. Elles avaient toutes les deux été soumises à une pression très forte de la part des moujahidines au milieu desquels elles étaient les seules femmes occidentales. Une ambiance que Johanne avait de plus en plus de mal à supporter.

Le manteau de Johanne serait criblé de balles

Dimanche soir, Johanne Sutton est morte. Son corps a été ramené par les soldats. Son manteau était criblé de balles. La dépouille de Pierre Billaud a, elle aussi, été retrouvée un peu plus tard comme celle de la troisième victime décédée dans cette embuscade des Taliban, Volker Handloik. Les corps des trois journalistes ont été transportés lundi à Douchanbé, au Tadjikistan, avant d'être très rapidement rapatriés dans leurs pays respectifs.

Tous les trois étaient dans la fleur de l'âge, tous les trois aimaient leur métier et le connaissait bien. Ils avaient déjà couvert de nombreux conflits, avaient baroudé aux quatre coins de la planète. Courageux certes, inconscients absolument pas. Mais pour faire leur métier, ce dimanche, ils n'avaient pas le choix. Il fallait avancer car rester là où ils étaient n'avait plus de sens. D'ailleurs, ils n'étaient pas seuls. En dehors de Véronique Rebeyrotte, un journaliste canadien de la Gazette de Montréal, un photographe allemand, un reporter australien et un interprète étaient aussi présents. Ils ont eu la vie sauve.

Aujourd'hui, c'est toute une profession qui est en deuil. «Aucun sujet ne mérite que l'on perde la vie», a dit Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ). «Les journalistes et les médias doivent s'assurer que la sécurité soit la priorité.» Le Syndicat national des journalistes (SNJ) demande de son côté «aux responsables des rédactions de continuer à veiller à la sécurité des reporters engagés sur le terrain du conflit afghan». Pour Robert Ménard, secrétaire général de Reporter sans frontières (RSF) : «Nous ne pouvons que saluer le courage de ces journalistes qui souhaitaient, malgré les risques, couvrir les affrontements au plus près, entre les Taliban et les forces de l'opposition».

Les témoignages de solidarité et d'émotion ne manquent pas. Le président de la République, Jacques Chirac, a rendu hommage «au courage de tous les journalistes qui, au nom de la liberté et du devoir d'informer, sont conduits à mettre leur vie en péril». Le Premier ministre, Lionel Jospin a fait part de sa «profonde émotion». «En mon nom personnel et au nom du gouvernement, je tiens à présenter mes plus sincères condoléances à la famille de Johanne Sutton et à m'associer à la douleur de tous ses proches et au deuil qui frappe la communauté des correspondants de guerre.» Le gouvernement allemand a exprimé «ses sincères condoléances» aux familles des trois journalistes. Pour Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR : «Leur mort, dans ces circonstances tragiques, rappelle les exigences et les risques d'une profession symbole de démocratie». Nicole Fontaine, la présidente du Parlement européen, a elle aussi témoigné de son émotion face au décès des trois journalistes qui «sont morts alors qu'ils exerçaient leur métier, celui d'informer». Laurent Fabius, ministre français de l'Economie, a quant à lui déclaré : «On se rend compte à travers ce drame que quand on entend les reportages des journalistes, on a l'impression que c'est un peu distancié mais enfin, ce sont des hommes et des femmes qui exposent leur vie pour faire leur métier».



par Valérie  Gas

Article publié le 15/11/2001