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Argentine

Dans la rue contre l’état de siège

Les Argentins défient l’état de siège décrété mercredi soir après de nouveaux pillages de magasins. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Buenos Aires et de nouveaux rassemblements ont commencé ce jeudi. Le ministre de l’Economie Domingo Cavallo a démissionné.
La crise économique qui ravage l’Argentine se double maintenant d’une crise sociale et politique majeure. Après de nouveaux pillages de magasins et de véritables émeutes à Cordoba, la deuxième ville du pays, le président Fernando de la Rua a décrété mercredi l’état de siège pour une période de trente jours. En vingt-quatre heures, les mises à sac et manifestations s’étaient multipliées, faisant au moins seize morts, 150 blessés, et entraînant l’arrestation de 350 personnes.
Les Argentins, exaspérés par la dégradation de leurs conditions de vie, ont vivement réagi à l’annonce de l’état de siège: des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues à Buenos Aires: «A vingt-trois heures, le président s’est exprimé à la télévision… Ca a duré cinq minutes et aussitôt, nous sommes sortis des maisons. Au début, nous étions cinq, puis vingt, puis très vite, des milliers de personnes», témoigne Nelly Turlione, membre du syndicat de l’Association des travailleurs. Les manifestants se sont regroupés sur la place de Mai, dans le centre de la capitale, où la police a tenté de les disperser, sans aucun ménagement. Les affrontements se sont poursuivis tout au long de la nuit de mercredi à jeudi dans le centre, devant le Parlement et le ministère de l’Economie, où plusieurs foyers d’incendie ont été allumés. «C’était une manifestation pacifique», poursuit Nelly Turlione, «Mais la répression policière a été très brutale. Quand je suis rentrée chez moi, il y avait des voitures banalisées dans la rue… Les portières s’ouvraient et ils attrapaient des gens… On ignore où ils ont été conduits!»

Démission du ministre de l’Economie

Dans cette même nuit, le ministre de l’Economie Domingo Cavallo a présenté sa démission. Après neuf mois d’exercice, cet économiste libéral reconnaît ainsi son échec à redresser la situation du pays. A l’époque, Cavallo restait auréolé d’un certain prestige. Ministre de l’Economie au début des années 90, il est l’homme qui avait mis en œuvre la politique de parité avec le dollar, un politique qui avait permis de juguler l’hyperinflation.
A son retour aux affaires, au printemps dernier, il avait tenté une politique de relance de la consommation, avant de revenir à l’orthodoxie budgétaire pour enrayer un endettement insoutenable et la faillite du pays. En vain. Les mesures adoptées n’ont fait que dégrader la situation de milliers d’Argentins et exacerber leur ressentiment à l’égard du gouvernement. La plus impopulaire, sans doute, les limitations de retrait d’argent liquide (250 pesos par semaine) qui complique terriblement la vie d’une population sous-équipée en chéquiers ou en cartes de paiement.
Alors que le pays doit honorer dans les toutes prochaines semaines des dettes de plusieurs milliards de dollars et que le FMI refuse de lui accorder des crédits supplémentaires, l’instauration de l’état d’urgence augure mal de la suite des événements. Après Domingo Cavallo, c’est l’ensemble du gouvernement qui devrait maintenant démissionner à la demande du Premier ministre. Quant aux Argentins, ils semblent décidés à braver les interdictions de rassemblement: ce jeudi, les syndicats de Cordoba ont appelé à la grève et des centaines de personnes se sont à nouveau réunies sur la place de Mai, à Buenos Aires. «C'est une ambiance surréaliste, confiait ce jeudi Estella Scandel, qui travaille à deux pas de la place de Mai, Les gens sont revenus avec des casseroles et des klaxons... Mais alors qu'ils manifestaient tranquillement, la Police les a encore bousculés et a utilisé des gaz lacrymogènes! Tout ça ne sert qu'à faire enrager les gens! Tout ça donne envie de pleurer!»



par Nicolas  Sur

Article publié le 20/12/2001