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Proche-Orient

Arafat de nouveau au centre du jeu

En interdisant à Yasser Arafat de se rendre à Bethléem, lundi 24 décembre, pour les cérémonies de Noël, le Premier ministre israélien Ariel Sharon a focalisé l’attention internationale sur le chef palestinien, qu’il avait pourtant déclaré récemment «hors jeu».
Ariel Sharon est-il allé trop loin ? A la suite des récents attentats commis en Israël, on lui prêtait l’intention de marginaliser Yasser Arafat, voire de l’éliminer de la scène politique. Le président de l’Autorité palestinienne n’était plus considéré comme un interlocuteur valable par le Premier ministre israélien. Depuis le 3 décembre, Arafat, accusé de ne pas lutter contre les organisations terroristes palestiniennes, est assigné à résidence à Ramallah, en Cisjordanie. Il est cerné par les chars israéliens, ses hélicoptère sont détruits.

Or voilà qu’en interdisant au chef palestinien de se rendre à Bethléem pour les festivités de Noël, Sharon a déclenché un tollé international, un mouvement d’opinion en faveur de celui qu’il avait proclamé «hors jeu». Des États-Unis à l’Union européenne, en passant par l’Onu et les capitales arabes, les critiques fusent contre l’attitude du Premier ministre israélien. Selon un haut responsable de la présidence du Conseil israélien, Washington a entamé une démarche auprès d’Israël afin que Yasser Arafat puisse se rendre à Bethléem pour assister à la messe de minuit dans l’église Sainte-Catherine, comme il le fait chaque année depuis 1995 en compagnie de sa femme Souha, de confession chrétienne.

Le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, qui préside le conseil des ministres de l'Union européenne, a appelé dimanche Israël à ne pas «entraver» la visite du chef palestinien. Les journaux du Golfe dénoncent la «stratégie d’humiliation» menée par Israël. Par son interdit, écrit ainsi le quotidien émirati Al-Khaleej, «Israël punit non seulement Arafat (...), mais tous les Palestiniens».

«Qu’il y aille et qu’il prie»

Au sein même du gouvernement israélien, les divisions se sont creusées. Lors du vote de la décision, dimanche matin, celle-ci n’a été acquise qu’à huit voix contre six. Parmi les opposants, deux ministres travaillistes, celui de la Défense Benjamin Ben Eliezer et celui des Affaires étrangères Shimon Peres. Même le ministre des Finances, Silvan Chalom, pourtant membre du Likoud d’Ariel Sharon s'est opposé à cette décision.

Shimon Peres a senti le parti que pourrait en tirer le chef palestinien. «Je ne tiens pas à ce que le fait que nous empêchions Arafat de se rendre à Bethléem devienne le sujet de conversation de Noël à travers le monde chrétien (...) Qu'il y aille et qu'il prie, qu'il fasse ce qu'il veut faire», a-t-il déclaré à la radio militaire israélienne.

Crainte fondée puisque Yasser Arafat, rompu aux jeux d’influences, n’a pas manqué de s’engouffrer dans la brèche, s’adressant directement à Jean-Paul II par la voix d’un de ses lieutenants. «J'appelle le pape à intervenir pour mettre un terme à cette atteinte à une tradition religieuse (...) Le peuple palestinien est aujourd'hui en colère», a affirmé le secrétaire du gouvernement palestinien, Ahmad Abderrahmane. En réponse, le Vatican a qualifié d'«arbitraire» l'interdiction faite au président palestinien.

Selon la radio publique israélienne, Ariel Sharon exige, pour que Yasser Arafat puisse se rendre à Bethléem, que l'Autorité palestinienne arrête les auteurs et les commanditaires de l'assassinat en octobre de Réhavam Zéevi, un ministre israélien d'extrême droite. Il réclame notamment l’arrestation du chef du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) Ahmad Saadat, qui a revendiqué l’attentat.

«Personne ne pourra m’empêcher de me rendre à Bethléem», a répliqué Yasser Arafat. L'armée israélienne n'excluait pas que le président palestinien cherche à gagner Bethléem par ambulance, par voiture diplomatique, par des chemins de traverse, ou encore qu'il se présente en personne à un barrage routier, sous les caméras de télévision. Le vieux chef palestinien, à la santé défaillante, a affirmé qu'il se rendrait à Bethléem, pourtant distant d’une vingtaine de kilomètres, «même à pied».

En milieu de journée, l’incertitude demeurait sur l’attitude de Yasser Arafat. «Le président palestinien pourrait ne pas être avec nous ce soir à Bethléem», a déploré le patriarche latin de Jérusalem, Mgr Michel Sabbah, qui a été reçu par M. Arafat à Ramallah. Quelle qu’en soit l’issue, l’épreuve de force entre Sharon et Arafat pourait, paradoxalement, remettre en selle celui qu’elle devait désarçonner.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 24/12/2001