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Gabon

<i>«Mba Abessole a fait un choix stratégique»</i>

Paul Mba Abessole, adversaire historique du président Bongo, fait son entrée dans le gouvernement gabonais, formé le 27 janvier dernier, avec deux membres de son parti. Pour Guy Rossanta-Rignault, professeur à la faculté de droit de Libreville et auteur de l’Etat au Gabon, cette décision est loin d’être une surprise, alors que l’opposition gabonaise sort laminée des dernières législatives.
RFI : Quelle portée donnez-vous à la formation de ce gouvernement dit «d’ouverture» ?

Guy Rossantaga-Rignault :
La problématique du gouvernement de consensus, de large ouverture ou de rassemblement est, contrairement à ce qu’on imagine, une constante de la vie politique gabonaise, et cela depuis l’époque pré-indépendance. C’est donc tout sauf une nouveauté. Cet esprit s’est installé, depuis 1957 jusqu’à présent, à l’exception bien sûr de la parenthèse du parti unique. L’un de ceux qui sont entrés avant-hier dans le gouvernement, en la personne de Pierre-Claver Maganga Moussavou, président du Parti social démocrate (PSD) était déjà entré dans le gouvernement dit de la «démocratie», de 1994-1995, en tant que représentant de l’opposition. Donc une partie de cette dernière, dont certaines composantes sont revenues aujourd’hui, était déjà entrée dans un gouvernement d’ouverture décidé lors des accords de Paris.

RFI : Ce qui marque, c’est peut-être l’entrée du Père Mba Abessole dans l’équipe gouvernementale, qui fut longtemps le principal adversaire d’Omar Bongo, avant d’entrer dans une «opposition conviviale»…

G.R-R :
L’originalité principale de ce gouvernement, c’est en effet l’entrée de Paul Mba Abessole. Mais, une fois de plus, ça ne peut surprendre que les naïfs. Lorsque ce dernier rentre au Gabon en 1989, et qu’ensuite à la conférence nationale il négocie avec le président de la République et le camp présidentiel, c’est pour réaliser ce qui est en train de se passer aujourd’hui. En 1990, le Père Mba Abessole était pour la création du Rassemblement social démocrate gabonais, une plate-forme sur laquelle il était parvenu avec le chef de l’Etat et qui devait donc servir de cadre d’apprentissage à la démocratie avant l’ouverture totale. Mais au moment de la conférence nationale, un mouvement beaucoup plus radical s’est développé au sein de l’opposition, qui s’est battue pour le multipartisme immédiat. Et en bon tacticien, le père Mba Abessole s’est rallié au dernier moment à ce courant, lâchant par la même occasion celui avec qui il avait contracté auparavant, à savoir le Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir. Mais son mouvement, le Rassemblement national des bûcherons (RNB) avait déjà participé au gouvernement qui a suivi la conférence nationale. Par ailleurs, cela fait trois ans que le RNB et son leader [qui est maire de Libreville depuis 1998], n’apparaissent plus comme les plus radicaux de l’opposition.

RFI : Les adversaires du parti au pouvoir n’ont remporté que 14 sièges sur 120 aux dernières législatives. Certains d’entre eux sont entrés au gouvernement. Que reste-t-il de l’opposition gabonaise ?

G.R-R :
Tout dépend de ce qu’on appelle opposition au Gabon. Si on s’attend à trouver un groupe suffisamment organisé, ayant une conscience de groupe et une prise réelle sur la société, cette définition ne s’applique plus à ce qui demeure aujourd’hui l’opposition. C’est le naufrage. La force qu’on a pu mesurer il y a une dizaine d’années s’est singulièrement étiolée. Mais cela est dû aussi au comportement des différents chefs de cette opposition qui ont récolté ce qu’ils ont semé.

RFI : N’est-ce pas, en partie au moins, en raison de la force d’attraction, notamment financière, du pouvoir en place ?

G.R-R :
Ce n’est pas faux mais ce n’est pas l’explication essentielle. A ce niveau-là, il n’y a pas de spécificité gabonaise. En 1990, on a beaucoup promis et on a espéré. Et, forcément, les gens qui attendaient trop et trop rapidement de l’opposition, n’ont rien vu venir. Ils sont arrivés à un niveau de déception terrible, qui explique la très forte abstention lors des dernières législatives. L’autre problème de fond c’est que cette opposition n’a jamais réussi à constituer une véritable plate-forme. Il n’y a aucun ciment idéologique entre ses différentes composantes. Le seul point commun entre tout ce monde c’est qu’ils n’aiment pas Bongo et ne veulent plus du PDG. C’est peu.

RFI : Au fond est-ce que les véritables luttes ne se jouent pas au sein du camp présidentiel, avec en ligne de mire la succession du président Bongo ?

G.R-R :
Tout à fait. A la limite, si certains pouvaient éventuellement s’inquiéter de troubles, il y a fort à parier qu’ils viendraient plus de l’appareil dirigeant que de l’opposition. C’est clair, les enjeux sont à l’intérieur de l’équipe dirigeante et, effectivement, en terme de perspective de succession. Et c’est peut-être le lieu de faire le rapprochement avec cette entrée du Père Mba Abessole dans le gouvernement. Tout porte à croire qu’il a fait un choix stratégique qui est celui d’aller participer, à l’intérieur de l’appareil, à ce positionnement. L’idée étant probablement que, lorsque le moment sera venu, il vaudra mieux avoir une image de gouvernant, de gens qui ont déjà été des hommes d’Etat, apte à gérer les affaires de la cité.

RFI : La question de la succession d’Omar Bongo est-elle officiellement à l’ordre du jour ?

G.R-R :
Tout le monde ne parle que de ça dans tous les salons et dans tous les bistros. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour du point de vue du président. Certaines tendances consisteraient à le presser de désigner un successeur. Mais il ne veut pas en entendre parler. Il a toujours répondu que ce n’est pas à lui mais aux Gabonais de le faire.

Dernier ouvrage paru :
L’Etat au Gabon, Histoire et Institutions, Editions Raponda Walker, Libreville, Gabon



par Propos recueillis par Christophe  CHAMPIN

Article publié le 29/01/2002