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Francophonie

Le français veut reconquérir l’Europe

L'avenir du français en tant que langue à vocation internationale se joue en grande partie en Europe au sein des institutions de l'Union où les rapports de force linguistiques représentent un véritable enjeu. Il s’agit d’un vaste chantier pour la Francophonie, la France et l’Europe.
Le constat est sévère. Mais il faut se rendre à l'évidence : la place du français au sein des institutions européennes n’est plus ce qu’elle était. Jacques Legendre, sénateur français, secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et rapporteur de l’année européenne des langues au Conseil de l’Europe, met en valeur cette situation. «Au sein de l’Union européenne, toutes les langues sont officielles, il y a donc en principe une égalité. Mais dans la pratique, certaines langues sont plus égales que d’autres. Pendant longtemps, le français a été la principale langue européenne. Depuis quelques années, il faut constater que l’anglais a d’abord rééquilibré sa présence par rapport au français et est en train de devenir maintenant la langue la plus utilisée

La majorité des documents émis au sein des institutions de l’Union européenne sont en anglais. Certains appels à candidature destinés aux pays de l’Europe centrale exigent que les demandes soient rédigées en anglais exclusivement. Sans parler de la tendance des fonctionnaires francophones, y compris français, à recourir systématiquement, et souvent sans réelle nécessité, à l’anglais au cours de leurs discussions, réunions, allocutions au prétexte que cette langue fait office de plus petit dénominateur commun. Pour Jacques Legendre, il s’agit de signes révélateurs d’une évolution en cours. «Le problème devant lequel nous nous trouvons, c’est que l’anglais est de plus en plus la langue des relations internationales de l’Union européenne

«Certaines langues sont plus égales que d’autres»

Cette situation n’est pas due qu’à une question de budget. L’argument souvent invoqué du coût des traductions n’est pas le cœur du problème. La question de l’usage des langues dans les institutions européennes a «une signification politique profonde… Il y a des pressions pour limiter le recours au français». Boutros Boutros Ghali, aujourd’hui secrétaire général de la Francophonie, estimait lorsqu’il occupait le même poste à l’ONU que «l’usage d’une langue signe un rapport de force». Pour Jacques Legendre, si l’anglais devient la langue la plus utilisée dans l’Union européenne, «cela n’ira pas dans le sens d’une affirmation de l’Europe par rapport aux Etats-Unis».

Le français n’est pas la seule langue concernée. Toutes les grandes langues de culture européennes ont à pâtir d’une généralisation de l’usage de l’anglais qui peut les priver de rayonnement international. L’Allemand, par exemple. Alors que les germanophones représentent le premier groupe linguistique en Europe avec environ 90 millions de locuteurs, les Allemands se sont plusieurs fois émus du manque de reconnaissance dont souffre leur langue dans les réunions de travail internes des institutions où la traduction n’est pas toujours disponible.

Dans le cadre de l’élargissement envisagé de l’Union européenne, la question des langues se pose avec encore plus d’acuité. La convention européenne qui travaille sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing sur les questions qui y sont liées, va devoir s’attaquer à ce chantier. «La convention ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion sur les langues. Il faut un vrai débat pour que le régime linguistique de l’Union soit clairement précisé et que l’on concrétise la volonté de maintenir la diversité culturelle». D’ailleurs, Valéry Giscard d’Estaing a prononcé le discours d’ouverture de la convention en trois langues, français, anglais et allemand. Pour Jacques Legendre, «il a tout à fait rempli son rôle. S’il l’avait fait uniquement en français et en anglais, j’aurais été une peu inquiet car il faut éviter l’affrontement français-anglais».

Dans ce contexte, l’un des enjeux majeurs se situe au niveau de l’apprentissage des langues étrangères par les jeunes européens. La seule alternative à la domination de l’anglais passe par la maîtrise de deux langues étrangères. Car s’il n’y en a qu’une, ce sera forcément l’anglais. Jacques Legendre estime que «c’est la troisième langue qui fera la différence».

La Francophonie qui fête sa journée internationale le 20 mars et organise ses principales manifestations à Bruxelles sous l’égide de Boutros Boutros Ghali et de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie, s’investit de plus en plus dans ce chantier de la promotion de l’usage de la langue française en Europe. L’Agence a ainsi signé, le 11 janvier dernier, avec la France, la Communauté française de Belgique et le Luxembourg, un plan d’action pour renforcer le français dans l’Union européenne. Il prévoit notamment des formations spécifiques pour les diplomates et fonctionnaires, le recours aux nouvelles technologies, le développement de l’interprétariat pour favoriser le français comme langue de travail et d’échange.

Pour Jacques Legendre, cet engagement de l’Organisation internationale de la Francophonie sur la scène européenne est très positif. «Je me réjouis que la Francophonie se porte sur le front c’est à dire à Strasbourg et à Bruxelles. Il ne faut pas oublier un propos de 1995 de Jacques Chirac qui disait que l’avenir du français se jouait dans les institutions européennes, à Bruxelles. Je pense qu’il avait raison». La thématique développée au sein des instances francophones correspond tout à fait à la problématique linguistique en Europe. Diversité culturelle contre risque d'uniformisation. De ce point de vue, il y a pour Jacques Legendre, «convergence entre l’existence de la Francophonie et la place de la diversité linguistique au sein de l’Europe».



par Valérie  Gas

Article publié le 19/03/2002