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France: présidentielle 2002

Le jour de gloire de Le Pen

Consécration de près de cinquante ans d’une carrière politique cahotique, la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle a été favorisée par l’actualité, une campagne menée sobrement et un discours moins provocateur.
Tribun hors pair, ancien des guerres d’Indochine et d’Algérie, plus jeune député de France en 1956, Jean-Marie Le Pen, président du Front national (FN) depuis 30 ans, s'est retrouvé dimanche au second tour de l'élection présidentielle face à Jacques Chirac. C’est l’aboutissement de près d’un demi-siècle d'engagement politique pour celui que ses amis surnomment «le menhir», en raison de sa santé de fer et de son énergie exceptionnelle.

A 73 ans, et après quatre candidatures à l'Elysée, c'est la consécration d’une carrière pour le fondateur du FN, le pourfendeur de l'insécurité et de l'immigration. Lui seul y croyait. Quelques jours avant le scrutin, il expliquait que «tout se jouera autour de 17% ; moi je monte vers ce score, les autres descendent». Vendredi, il déclarait qu'il était «le seul à pouvoir battre Jospin au premier tour», confirmant qu’il avait réservé des chapiteaux pour ses réunions publiques. Résultat : 17,2%.

Quel chemin parcouru, depuis sa première candidature, en 1974, lorsqu’il plafonnait à 0,74% des voix. A cette époque, il porte encore son bandeau sur l’œil, séquelle d’une bagarre, et ne s’adresse qu’à une frange d’extrémistes. Les faits ne lui ont pas encore «donné raison», comme il le dit aujourd’hui. En 1981, il n’obtient pas les parrainages nécessaires pour se présenter. C’est en 1983 que le succès du Front national aux élections municipales à Dreux (Eure-et-Loir) le propulse vraiment sous les feux des médias. Son slogan : «Deux millions de chômeurs, c’est deux millions d’immigrés». Cible privilégiée de l’association SOS racisme, il déclenche plusieurs scandales par des propos xénophobes et antisémites, qualifiant les chambres à gaz de «détail de l'histoire», affirmant qu’il croit à «l’inégalité des races», ou commettant un jeu de mots sur le nom d'un ministre, «Durafour crématoire». Ces dérapages, plus ou moins calculés, lui valent plusieurs procès.

La Marseillaise sifflée

Bien qu’ayant le vocabulaire le plus élaboré de toute la classe politique, il séduit un électorat populaire, essentiellement urbain, au point que le Front national devient «le premier parti ouvrier de France». Il prend des électeurs au Parti communiste. Grâce à l’instauration du scrutin proportionnel par François Mitterrand, Jean-Marie Le Pen est élu député en 1986. Il sera ensuite élu au Parlement européen et conseiller régional. C’est à la présidentielle de 1988 qu’il réalise son premier gros score, 14,4%. En 1995, il fait mieux :15,1%.

Coup de théâtre en 1998, son bras droit Bruno Mégret le trahit et tente un putsch au sein du FN. Episode qui affaiblit l’extrême-droite, au point que certains observateurs la voient moribonde. Mais quelques années plus tard, durant les mois qui précèdent le scrutin de 2002, les médias s’étonnent et décrivent un «nouveau Le Pen». Fini les dérapages, les provocations et les jeux de mots. Plus populiste qu’extrémiste, souriant face aux caméras, répondant calmement aux questions qui fâchent, il ne brandit plus ses thèmes favoris qu’en les enrobant dans un discours lisse et policé, affirmant «qu’il est un homme de paix civile». En réalité, il sait que les événements plaident en sa faveur et flaire le profit qu’il peut en retirer. Les attentats du 11 septembre, la psychose Ben Laden, la Marseillaise sifflée au Stade de France, le climat d’insécurité, les incidents dans les banlieues créent un contexte qui le porte peu à peu au dessus de 10% dans les sondages.

A quelques semaines du premier tour, il dénonce haut et fort un «complot» destiné à l'empêcher de disposer des 500 parrainages. Réalité, intoxication, manipulation ? Il réussit en tout cas à passer pour la victime d’un déni de démocratie. Même à gauche, à l’image du Vert Noël Mamère, on estime que Le Pen doit avoir le droit de se présenter. Qualifié, il mène une campagne sobre, cherchant à ratisser large avec son slogan «Socialement je suis de gauche, économiquement je suis de droite, nationalement je suis de France». Lors de son dernier meeting avant le premier tour, il surprend en appelant la jeunesse vers des horizons francophones, expliquant «plus qu’un lieu, la France est un lien». Même si le fond du programme est toujours le même, c’est sans doute ce discours recentré qui l’a rendu plus fréquentable aux yeux des électeurs, contribuant à le propulser au second tour de la présidentielle.



par Philippe  Quillerier-Lesieur

Article publié le 22/04/2002