Arabie Saoudite
Bush et Abdallah trouvent un terrain d'entente
Le prince Abdallah d'Arabie Saoudite a assuré le président américain qu'il n'utiliserait pas le pétrole comme une arme politique pour infléchir la politique américaine au Proche-Orient. En signe de bonne volonté, George Bush a de son côté demandé à Israël d'achever son retrait. Les deux hommes sont écartelés entre des opinions publiques divergentes et des intérêts stratégiques communs.
De notre correspondant à New York
La rencontre était à haut risque, elle s'est bien déroulée selon le président Bush qui se réjouit d'avoir créé «un fort lien personnel» avec le prince hériter saoudien. Les deux hommes se trouvaient pourtant dans une position délicate. Pressé par une opinion publique qui voit d'un très mauvais oeil le soutien de l'Arabie Saoudite à l'Intifada, le président Bush a demandé au prince Abdallah ben Abdelaziz de faire pression sur les Palestiniens pour mettre un terme aux attentats suicides. De son côté, le prince Abdallah a prévenu sans détours le président Bush que le soutien sans réserve des États-Unis à Ariel Sharon enflammait l'opinion publique arabe et plaçait les gouvernements les plus modérés de la région dans une position intenable.
En apparence au moins, le message du prince Abdallah est passé. «Israël doit achever son retrait, en trouvant une solution non violente aux problèmes posés à Ramallah et à Bethléem» a affirmé le président Bush au terme de la rencontre. Donnant-donnant, il a aussi assuré que le prince avait promis que «l'Arabie Saoudite n'utiliserait pas l'arme pétrolière pour influer sur la politique américaine» au Proche-Orient. «Je lui en suis reconnaissant», a-t-il ajouté. Un peu plus tôt dans la journée, les cours du pétrole s'étaient emballés après la publication dans le New York Times d'informations selon lesquelles des membres de la famille royale saoudienne envisageaient d'avoir recours à un embargo pétrolier, et d'expluser les quelque 6000 soldats américains stationnés dans leur pays.
«Il y a une vision partagée», a affirmé le président Bush qui a également débattu de la meilleure façon de faire progresser l'initiative de paix saoudienne (reconnaissance d'Israël par les pays arabes contre retrait israëlien des territoires palestiniens occupés depuis 1967) -un plan qui selon Bush constitue «une percée» dans la crise au Proche-Orient. Les États-Unis se sont pourtant désintéressés ces dernières semaines de ce plan, rejeté par les Israéliens.
Pour traiter de thèmes aussi sensibles, le président américain a reçu son hôte dans son ranch de Crawford, au Texas, en costume de ville agrémenté de bottes et d'une ceinture façon cow-boy. La stratégie -cadre détendu, preque familial- semble avoir payé. La rencontre a duré cinq heures, soit deux de plus que prévu. Entre deux séances de travail, George Bush a offert un aperçu de ses terres au cours d'une promenade en véhicule tout-terrain, se réjouissant même qu'Abdallah ait pu observer une dinde sauvage. «Nous avons passé beaucoup de temps à discuter seuls de nos visions respectives, à parler de nos familles» a assuré George Bush, visiblement fier d'avoir si bien retenu ses leçons de rattrapage de civilisation arabe.
Une tension palpable
Le prince Abdallah étant connu pour son franc-parler et sa détermination, certains craignaient que la rencontre ne tourne court. Le président s'était entouré des poids lourds de son gouvernement : le vice président Dick Cheney, le secrétaire d'Etat Colin Powell et la conseillère pour la Sécurité nationale Condoleezza Rice. Dick Cheney et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld avaient préparé le terrain en rencontrant Abdallah la veille à Houston. La Maison Blanche avait même prévu des scénarios de rechange au cas où la rencontre dégénère en incident diplomatique.
Dans la presse, la tension était palpable. «Quand le président recevra le prince héritier dans son ranch, demandera-t-il à son invité pourquoi des membres de son gouvernement ont récemment financé le terrorisme ?», demandait le tabloïde conservateur New York Post. La presse conservatrice et l'aile droite du parti de George Bush, à l'image du public américain, sont majoritairement favorables à Israël. Les Conservateurs ont une vision morale de la guerre contre le terrorisme qui ne souffre pas les ambiguités saoudiennes sur les attentats suicide des Palestiniens. A cet égard, le poème de l’ambassadeur saoudien à Londre glorifiant les attentats suicides et le téléthon qui a permis de collecter près de 100 millions de dollars en soutien à l’Intifida en Arabie Saoudite ont fait des dégâts dans l'opinion.
Mais même les plus intransigeants de ces adeptes d'une guerre morale comprennent que les Etats-Unis doivent ménager Abdallah dans l'espoir d'attaquer l'Irak. Les Américains regardent certes du côté du Qatar ou de Bahrein pour établir leurs bases, «mais pour le genre d'offensive qu'ils préparent, ils ont besoin de l'Arabie Saoudite», estime Timothy Mitchell, directeur du Centre des études moyen-orientales de l’université de New York. L'élimination de Saddam Hussein vaut bien quelques compromis, même si le soutien saoudien sera difficile à obtenir.
En dépit des tensions qui s'accumulent entre les deux pays depuis les attentats du 11 septembre et la flambée de violence au Proche-Orient, les relations américano-saoudiennes tiennent bon, solidement ancrées dans une dépendance réciproque vieille de 60 ans : outre les bases militaires, les Etats-Unis ont besoin de l'Arabie Saoudite pour stabiliser les cours du pétrole, surtout lorsque l'Irak s'engage dans des embargos politiques. Ryad s'assure fidèlement depuis 20 ans que les prix ne montent pas trop (pour ne pas déprimer l'économie américaine) et ne baissent pas trop non plus (pour ne pas se mettre à dos les producteurs de brut texans chers à la famille Bush).
«Les Saoudiens ne vont pas toucher à la question du pétrole. En échange, les Etats-Unis vont garder la famille royale au pouvoir», explique le professeur Timothy Mitchell. Car les Saoudiens ont besoin des armes que les Américains leurs vendent en abondance (28 milliards de dollars en 7 ans). Les États-Unis assurent aussi la formation des forces de l'ordre saoudiennes sans lesquelles la famille royale ne vaudrait pas cher. Si l'on y ajoute de puissants intérêts financiers et commerciaux qui ont tout à perdre d'une brouille entre Bush et Abdallah, on peut deviner que les déclarations musclées de part et d'autres ne sont peut-être pas le signe d'une crise imminente, mais plutôt un effort pour contenter les opinions publiques américaine et saoudienne.
La rencontre était à haut risque, elle s'est bien déroulée selon le président Bush qui se réjouit d'avoir créé «un fort lien personnel» avec le prince hériter saoudien. Les deux hommes se trouvaient pourtant dans une position délicate. Pressé par une opinion publique qui voit d'un très mauvais oeil le soutien de l'Arabie Saoudite à l'Intifada, le président Bush a demandé au prince Abdallah ben Abdelaziz de faire pression sur les Palestiniens pour mettre un terme aux attentats suicides. De son côté, le prince Abdallah a prévenu sans détours le président Bush que le soutien sans réserve des États-Unis à Ariel Sharon enflammait l'opinion publique arabe et plaçait les gouvernements les plus modérés de la région dans une position intenable.
En apparence au moins, le message du prince Abdallah est passé. «Israël doit achever son retrait, en trouvant une solution non violente aux problèmes posés à Ramallah et à Bethléem» a affirmé le président Bush au terme de la rencontre. Donnant-donnant, il a aussi assuré que le prince avait promis que «l'Arabie Saoudite n'utiliserait pas l'arme pétrolière pour influer sur la politique américaine» au Proche-Orient. «Je lui en suis reconnaissant», a-t-il ajouté. Un peu plus tôt dans la journée, les cours du pétrole s'étaient emballés après la publication dans le New York Times d'informations selon lesquelles des membres de la famille royale saoudienne envisageaient d'avoir recours à un embargo pétrolier, et d'expluser les quelque 6000 soldats américains stationnés dans leur pays.
«Il y a une vision partagée», a affirmé le président Bush qui a également débattu de la meilleure façon de faire progresser l'initiative de paix saoudienne (reconnaissance d'Israël par les pays arabes contre retrait israëlien des territoires palestiniens occupés depuis 1967) -un plan qui selon Bush constitue «une percée» dans la crise au Proche-Orient. Les États-Unis se sont pourtant désintéressés ces dernières semaines de ce plan, rejeté par les Israéliens.
Pour traiter de thèmes aussi sensibles, le président américain a reçu son hôte dans son ranch de Crawford, au Texas, en costume de ville agrémenté de bottes et d'une ceinture façon cow-boy. La stratégie -cadre détendu, preque familial- semble avoir payé. La rencontre a duré cinq heures, soit deux de plus que prévu. Entre deux séances de travail, George Bush a offert un aperçu de ses terres au cours d'une promenade en véhicule tout-terrain, se réjouissant même qu'Abdallah ait pu observer une dinde sauvage. «Nous avons passé beaucoup de temps à discuter seuls de nos visions respectives, à parler de nos familles» a assuré George Bush, visiblement fier d'avoir si bien retenu ses leçons de rattrapage de civilisation arabe.
Une tension palpable
Le prince Abdallah étant connu pour son franc-parler et sa détermination, certains craignaient que la rencontre ne tourne court. Le président s'était entouré des poids lourds de son gouvernement : le vice président Dick Cheney, le secrétaire d'Etat Colin Powell et la conseillère pour la Sécurité nationale Condoleezza Rice. Dick Cheney et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld avaient préparé le terrain en rencontrant Abdallah la veille à Houston. La Maison Blanche avait même prévu des scénarios de rechange au cas où la rencontre dégénère en incident diplomatique.
Dans la presse, la tension était palpable. «Quand le président recevra le prince héritier dans son ranch, demandera-t-il à son invité pourquoi des membres de son gouvernement ont récemment financé le terrorisme ?», demandait le tabloïde conservateur New York Post. La presse conservatrice et l'aile droite du parti de George Bush, à l'image du public américain, sont majoritairement favorables à Israël. Les Conservateurs ont une vision morale de la guerre contre le terrorisme qui ne souffre pas les ambiguités saoudiennes sur les attentats suicide des Palestiniens. A cet égard, le poème de l’ambassadeur saoudien à Londre glorifiant les attentats suicides et le téléthon qui a permis de collecter près de 100 millions de dollars en soutien à l’Intifida en Arabie Saoudite ont fait des dégâts dans l'opinion.
Mais même les plus intransigeants de ces adeptes d'une guerre morale comprennent que les Etats-Unis doivent ménager Abdallah dans l'espoir d'attaquer l'Irak. Les Américains regardent certes du côté du Qatar ou de Bahrein pour établir leurs bases, «mais pour le genre d'offensive qu'ils préparent, ils ont besoin de l'Arabie Saoudite», estime Timothy Mitchell, directeur du Centre des études moyen-orientales de l’université de New York. L'élimination de Saddam Hussein vaut bien quelques compromis, même si le soutien saoudien sera difficile à obtenir.
En dépit des tensions qui s'accumulent entre les deux pays depuis les attentats du 11 septembre et la flambée de violence au Proche-Orient, les relations américano-saoudiennes tiennent bon, solidement ancrées dans une dépendance réciproque vieille de 60 ans : outre les bases militaires, les Etats-Unis ont besoin de l'Arabie Saoudite pour stabiliser les cours du pétrole, surtout lorsque l'Irak s'engage dans des embargos politiques. Ryad s'assure fidèlement depuis 20 ans que les prix ne montent pas trop (pour ne pas déprimer l'économie américaine) et ne baissent pas trop non plus (pour ne pas se mettre à dos les producteurs de brut texans chers à la famille Bush).
«Les Saoudiens ne vont pas toucher à la question du pétrole. En échange, les Etats-Unis vont garder la famille royale au pouvoir», explique le professeur Timothy Mitchell. Car les Saoudiens ont besoin des armes que les Américains leurs vendent en abondance (28 milliards de dollars en 7 ans). Les États-Unis assurent aussi la formation des forces de l'ordre saoudiennes sans lesquelles la famille royale ne vaudrait pas cher. Si l'on y ajoute de puissants intérêts financiers et commerciaux qui ont tout à perdre d'une brouille entre Bush et Abdallah, on peut deviner que les déclarations musclées de part et d'autres ne sont peut-être pas le signe d'une crise imminente, mais plutôt un effort pour contenter les opinions publiques américaine et saoudienne.
par Philippe Bolopion
Article publié le 26/04/2002