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France : législatives 2002

Les abstentionnistes, premier parti de France

L’abstention massive cache mal une capacité d’analyse et un intérêt intacts des citoyens français pour la politique. Reste à imaginer dans quoi l’investir.
Les instituts de sondages les classent dans une catégorie particulière: les NSP, «ne se prononcent pas». Si l’on considère le taux considérable enregistré par cette catégorie, dimanche, avec un score de plus de 40%, les NSP constituent désormais, et tous les observateurs en étaient d’accord lundi matin, le premier parti de France. Première observation: cette fois, le caractère à la fois inédit, massif et répétitif de cette tendance force le respect. Contrairement aux discours en circulation au cours de ces dernières années, cette fois les abstentionnistes ne sont plus stigmatisés comme étant de mauvais citoyens et ridiculisés comme des paresseux sous l’appellation du «parti des pêcheurs à la ligne».

Il n’a échappé à personne que ces gens-là savent s’impliquer massivement lorsque les enjeux leur paraissent cruciaux et qu’ils ressentent que la démocratie est fragile. Le meilleur exemple en est la démonstration de civisme qui conduisit à l’élection du candidat d’union républicaine, Jacques Chirac, contre l’incarnation de l’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, avec 82% des suffrages et un taux d’abstention conforme à ceux habituellement enregistrés dans ce type de consultation, soit 20%. La preuve est ainsi faite que les Français n’éprouvent pas à l’égard de la politique la désaffection que l’on voudrait bien leur faire croire. Mais plutôt, peut être, le désamour vis-à-vis d’une classe politique à laquelle ils répètent, depuis un certain nombre d’années maintenant, qu’ils n’iront pas là où elle veut qu’ils aillent.

Faire du neuf avec du vieux ?

Ce qui s’est passé au cours de quatre scrutins qu’ils viennent de connaître, faute d’y avoir pleinement participé, montre à l’évidence que, désormais, ils démentent sans vergogne les présupposés qui leur sont infligés. Notamment qu’ils sont assez grands pour choisir eux-mêmes leurs épouvantails et qu’ils ne se satisfont plus des campagnes électorales à l’issue desquelles ils ne se sentent pas représentés dans toute leur diversité (en raison de l’absence de représentation proportionnelle), que la cohabitation (qu’ils ont appelé de leurs vœux par trois fois au cours de ces quinze dernières années) leur pose apparemment moins de problèmes qu’à ceux qui les gouvernent et que les colères qu’ils manifestent bruyamment, ou pas, sur des directions qui engagent l’avenir du pays (Union européenne, réforme de la Sécurité sociale, dépérissement des services publiques) ne sont pas liées à un «déficit d’explications», comme voudraient le faire croire nombre de responsables politiques, mais bien le résultat d’une opposition à des projets biens compris qu’ils rejettent.

Il n’y a d’ailleurs rien de pire et d’aussi contre-productif que de leur dire qu’ils n’ont pas compris, la preuve. Le danger est donc immense pour les partis d’apparaître comme manipulateurs. Cette situation pourrait ouvrir la porte à la politique sous d’autres formes. D’une certaine manière, avec quinze millions d’abstentionnistes (dont 58% de jeunes entre 18 et 25 ans), c’est déjà ce qui est en train de se passer dans la mesure où, mal élue quoi qu’on en dise, cette Assemblée nationale, faute d’état de grâce, travaillera dans la hantise d’un troisième tour social. La modestie dont fait preuve le Premier ministre, en dépit d’un score que ne renierait pas une république bananière, le confirme.

Dans cette configuration, ce sont paradoxalement les sortants qui… s’en sortent le mieux! Apparemment, en tout cas: par définition, ils ne gouvernent pas et n’auront donc pas à gérer cette contradiction d’avoir à affronter une démocratie sans peuple. Leur contre-performance illustre leur discrédit en tant qu’opposition et ce taux d’abstention est la marque du vide sidéral qui s’est installé dans le paysage politique en leur absence. Pourtant il faut bien l’analyser comme une donnée politique «en creux». C’est à dire comme un mouvement politique en devenir.

C’est en effet là que se trouve le principal gisement d’où émergera la future opposition. Tout est à présent question de méthode. Allons-nous assister à une tentative de reconstruction des appareils à l’identique, au risque de faire «fonds de commerce» et de prêter le flanc aux soupçons de convoiter l’héritage des usines à gaz «fin de siècle» ? A entendre les ténors des partis socialiste et communiste, c’est pourtant la voie vers laquelle ils s’engagent. Les communistes parlent d’un congrès refondateur, les appétits socialistes se concentrent sur le leadership de la formation, les Verts ont des bleus à l’âme... Toute la difficulté sera de renoncer à ce que les Français viennent de rejeter, apparatchiks et langues de bois, de faire du neuf avec du vieux.

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par Georges  Abou

Article publié le 17/06/2002