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Arabie Saoudite

Tensions entre Washington et l'Arabie Saoudite

Les relations entre l'administration Bush et Ryad sont au plus froid, depuis les révélations du Washington Post selon lesquelles l'Arabie saoudite a été qualifiée d'«ennemi» au cours d'une réunion de travail du Pentagone. Mercredi, Ryad a réaffirmé que son territoire ne pourrait pas être utilisé comme base contre l'Irak.
De notre correspondant à New York

La fuite a tourné à l'incident diplomatique. Le Washington Post a révélé cette semaine que lors d'une réunion de travail au Pentagone, l'Arabie Saoudite avait été dépeinte comme un ennemi des États-Unis auquel il serait bon de présenter l'ultimatum suivant : arrêtez de soutenir le terrorisme ou nous allons saisir vos exploitations pétrolières et vos avoirs financiers aux États-Unis. Au cours de ce briefing du Defense Policy Board, un organe consultatif composé d'éminents chercheurs et d'anciens officiels du gouvernement, un analyste aurait affirmé que «les Saoudiens sont actifs à tous les niveaux de la chaîne de la terreur, des planificateurs aux financiers, des cadres aux simples soldats, des idéologues aux supporters». Les mots seraient de Laurent Murawiec, de la Rand Corporation, un think tank proche de la CIA. Il aurait par ailleurs affirmé que «l'Arabie Saoudite soutient nos ennemis et attaque nos alliés». Dans un style que George Bush lui-même ne renierait pas, il est précisé que l'Arabie Saoudite est «la graine du mal, l'acteur primordial, le plus dangereux des ennemis».

Ces propos sont en totale contradiction avec la politique officielle de Washington qui au cours du dernier demi-siècle a fait de l'Arabie Saoudite un de ses alliés les plus solides dans la région. Il y a quelques semaines, le président Bush a même reçu dans son ranch le prince héritier Abdallah Ben Abdelaziz –un privilège qu'il réserve à des happy few. Les deux pays sont liés par des jeux d'interdépendance extrêmement solides. Les États-Unis ont besoin de Ryad pour assurer la stabilité du prix du pétrole, alors que la famille royale a besoin de l'aide militaire de Washington pour se maintenir au pouvoir.

Cette recette simplissime, agrémentée de solides intérêts commerciaux, a résisté à toutes les tempêtes depuis plus de 50 ans. Pourtant, depuis le 11 septembre, les relations entre les deux pays ne cessent de se détériorer. Lorsqu’il s’est avéré que 15 des 19 terroristes suicidaires étaient des citoyens saoudiens, la presse américaine s'est déchaînée contre l’Arabie Saoudite, qui a par ailleurs refusé de servir de base de décollage pour les bombardements en Afghanistan. La situation des quelque 6 000 soldats américains stationnés en Arabie saoudite est devenue délicate.

Selon le Washington Post, un courant grandissant au sein de l'administration Bush remet en cause la vieille amitié entre les deux pays. C'est particulièrement le cas dans les milieux néo-conservateurs, ainsi que dans l'équipe du vice-président Dick Cheney et parmi les fonctionnaires du Pentagone. Selon eux, les États-Unis devraient forcer l'Arabie Saoudite à cesser tout financement des mouvements islamistes radicaux, et à mettre un terme aux déclarations anti-américaines et anti-israéliennes dans la région. Toujours selon le Washington Post, cette tendance voudrait que l'Arabie Saoudite «poursuive ou isole ceux qui sont impliqués dans la chaîne de la terreur, y compris les services de renseignement saoudiens». Ce courant de pensée est le même que celui qui réclame une prompte invasion de l'Irak, qui permettrait de mettre aux commandes à Bagdad un régime ami. L'Irak pourrait alors se substituer à l'Arabie Saoudite pour exporter son pétrole vers les États-Unis. Ryad ne serait ainsi plus en mesure de résister aux pressions américaines pour lutter plus efficacement contre le terrorisme.

L’administration Bush dans l’embarras

Le raisonnement semble peut-être séduisant, mais sa publication à la une du Washington Post a plongé l'administration Bush dans l'embarras. «Cela ne reflétait pas la position du gouvernement, cela ne représentait pas l'opinion du Defense Policy Board», a assuré le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. «Quelqu'un a décidé que c'était une bonne idée de choisir une possible source de controverse et de la livrer à un journal, alors qu'il s'agissait d'une rencontre classée secrète et non publique», a-t-il commenté, avant d'ajouter : «J'estime qu'il s'agit d'un comportement terriblement non-professionnel aux conséquences manifestement nuisibles». Le secrétaire d'État Colin Powell a dû se fendre d'un coup de téléphone à son homologue saoudien, le prince Saoud al-Fayçal, pour arrondir les angles.

Cela sera-t-il suffisant ? Dans un entretien accordé hier à Associated Press, le ministre saoudien des Affaires étrangères a clairement démenti les rumeurs d'un accord secret entre Washington et Ryad, en affirmant qu'en aucun cas le sol saoudien ne servirait de base de départ à des attaques contre l'Irak. «Nous sommes opposés à toute attaque contre l'Irak car nous pensons qu'elle n'est pas nécessaire, notamment depuis que l'Irak cherche à appliquer les résolutions» du Conseil de sécurité de l'ONU, a-t-il expliqué, en référence à l'invitation du ministre irakien des affaires étrangères Naji Sabri, qui a offert au chef des inspecteurs en désarmement de l'ONU, Hans Blix, de se rendre à Bagdad pour discuter de la reprise des inspections (l'offre a été qualifiée de «tentative de gagner du temps» (par les Américains). «Tout changement concernant le gouvernement irakien, la direction du pays, doit venir du peuple irakien», a-t-il ajouté. Officiellement, l'Arabie Saoudite n'a pas pris ombrage des fuites sur les réflexions du Pentagone, mais pour Washington, qui se prépare à attaquer l'Irak, elles ne pouvaient plus mal tomber.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 08/08/2002