Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Immigration

Les sans-papiers pris au piège

Après avoir mis fin à quinze jours d’occupation de la basilique Saint-Denis, le 30 août, les sans-papiers du département de la Seine Saint-Denis (93), ont reçu des engagements de réexamen de leurs dossiers. Leurs actions ont fait naître des espoirs dans toute la France que la coordination nationale, qui a pris le relais, ne peut plus gérer.
«Nous ne sommes pas dangereux mais nous sommes en danger» scandaient des milliers d’Africains et d’Asiatiques, place du Trocadéro, au pied de la Tour Eifel sur le parvis des droits de l’homme. En quittant la basilique Saint-Denis, les sans-papiers ont jugé avoir obtenu gain de cause, dans la mesure où leurs leaders ont promis de maintenir la pression sur les autorités politiques par différentes actions. A leurs côtés de nombreuses personnalités politiques et syndicales dont Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, Mouloud Aounit, secrétaire général du MRAP (Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples), Alain Krivine de la Ligue communiste révolutionnaire, Jack Ralite sénateur-maire d’Aubervilliers et ancien ministre, Léon Schwarzenberg, célèbre cancérologue et ancien ministre, Patrick Braouezec, député-maire de Saint-Denis, ont également apporté leur soutien à la poursuite du mouvement. Parti d’une centaine de personnes, le mouvement des sans-papiers du 93 s’est retrouvé, au bout de quinze jours, à plusieurs millier de manifestants.

Les initiateurs du mouvement ont très vite compris que les frontières départementales du 93 étaient franchies et ont très rapidement confié la poursuite des actions à une coordination nationale des sans-papiers censé organiser les choses: «inscription sur des listes pour une étude des dossiers qui seront déposés dans les différentes préfectures». Mais pour les sans-papiers, cette invitation a valeur de régularisation de leur situation en France. Pour la plupart, mal renseignés et parlant et comprenant très peu le Français, les actions arrêtées par la coordination sont assez osées pour qu’il n’y ait pas derrière «des informations béton» auxquelles le commun des sans-papiers ne peut avoir accès. En effet, il ne s’agit plus seulement de manifester en groupe pour réclamer l’ouverture de sessions spéciales dans les préfectures, pour des régularisations massives, comme se fut le cas en 1982 pour 144 000 personnes ou en 1996 pour 90 000. Aujourd’hui le collectif des sans-papiers ouvre des listes d’inscription avec constitution de dossier dévoilant la clandestinité des sans-papiers, sans avoir au préalable obtenu des engagements des autorités administratives du pays.

Les organisateurs débordés

La situation de précarité et l’envie d’obtenir des papiers sont à un point exacerbées que quiconque sortant d’un bureau avec une liasse de papiers ou un stylo à la main se fait littéralement dépouiller ou assaillir par des gens qui déclinent à tout-va leur identité. La distribution d’un tract de la CGT, le 2 septembre, à la Bourse du travail à Paris a donné lieu à une bousculade géante, parce que les gens ont pensé que «le papier» qu’il faut avoir est enfin arrivé. En effet, invités par le collectif, les sans-papiers se sont amassés par milliers devant la Bourse du travail à Paris, dans le quartier de la République. Certains y ont passé la nuit, pour être sûrs d’être les premiers inscrits. Cette opération d’inscription était à l’origine destinée aux sans-papiers de Paris. Mais on est venu de toute la région parisienne et même de provinces pour ce rendez-vous. Les syndicalistes qui ont prêté leurs locaux ont dû apporter leur secours aux organisateurs, subitement avares d’informations pour leurs invités. Dans une pagaille indescriptible, 1500 personnes ont, néanmoins, réussi à s’inscrire. Selon Didier Niel, secrétaire général de la CGT-Paris, les opérations d’inscription ne reprendront pas à la Bourse du travail de Paris. «Nous avons inscrit les gens pour aider mais c’est à la coordination de prendre les choses en main» a-t-il déclaré.

La préfecture de Paris a envoyé sur place plusieurs pelotons de CRS qui ont installé des barrières pour mieux contenir la foule des sans-papiers qui grandissait d’heure en heure au fil de la journée. La coordination nationale a dû arrêter les inscriptions aux alentours de 18 heures en invitant les sans-papiers à un nouveau rassemblement le 3 septembre à 15 heures place du Châtelet. Une fois de plus les sans-papiers ont compris qu’il s’agirait de la reprise des opérations d’inscription. Rumeurs et bousculades ont repris en rythmant le mouvement des manifestants qui commencent par dénoncer une certaine mauvaise organisation. Selon la coordination nationale, à l’issue de chaque manifestation des les chefs-lieux des départements de la région parisienne, des listes de demandeurs de régularisation de situation seraient déposées dans les préfectures. Elle a prévu, pour chaque action, le soutien des autres collectifs de départements de l’Ile-de-France durant la première quinzaine du mois de septembre, avant de se tourner vers la province.

Mais le besoin de reconnaissance et l’envie de sortir des cachettes ont débordé les calculs des défenseurs des sans-papiers. Pris au dépourvu par leurs protégés, ils n’osent d’ailleurs pas annoncer le sort qui pourrait être réservé aux demandes qu’ils introduisent. Le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé a d’ores et déjà annoncé que le gouvernement se refuse d’entrer «dans un processus de régularisation massive». Or, la mobilisation des sans-papiers qui est, malgré, tout une réussite risque d’être en deçà des attentes qu’elle a suscitée, parce que les intentions au départ ont été mal énoncées.



par Didier  Samson

Article publié le 03/09/2002