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Timor-oriental

Piétinements judiciaires

Trois ans après les violents événements de 1999, la justice est rendue par deux instances différentes. Un tribunal ad hoc, créé à Djakarta, qui manque de volonté, et une unité judiciaire spéciale, à Dili, qui manque de pouvoir.
Un crime contre l’humanité passible de trois ans d’emprisonnement. Voilà qui a de quoi déconcerter. C’est pourtant ce premier verdict que vient de rendre un tribunal ad hoc créé à Djakarta l’année dernière, reconnu compétent par l’ONU pour juger les crimes commis au Timor-oriental en 1999. Cette année-là, une fois annoncés les résultats du référendum du 30 août sur l’autodétermination du Timor Oriental, l’armée indonésienne et les milices à sa solde se retiraient laissant derrière elles un territoire brûlé, vidé de sa population, et un millier de morts.

Une sentence «trop indulgente», un procès «risible», duquel ne sortira «ni vérité, ni justice»: à l’instar de Mary Robinson, haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, d’associations timoraises, ou de groupements comme Amnesty International, le jugement rendu suscite l’indignation.

Dès les premiers travaux de cette autorité indonésienne, au printemps dernier, le Réseau d’Action pour le Timor-oriental, puissante association américaine soutenue notamment par l’universitaire Noam Chomsky, estimait qu’elle ne rendrait pas la justice: des champs d’investigation trop restreints tant d’un point de vue géographique (trois districts timorais sur treize) que temporel (les enquêteurs n’étudient que les faits survenus entre avril et septembre 1999), ou proprement juridique (les personnes coupables de viols ne seront pas poursuivies); des suspects désignés parmi des responsables de second rang; des témoins quasi absents; et pour finir des juges peu qualifiés pour ce genre d’affaire.

Enquêtes parallèles, conclusions divergentes

Ces doutes semblent se confirmer avec les sentences prononcées le 15 août dernier à Djakarta. Abilio Soares, gouverneur de la province indonésienne de Timor au moment des faits, est reconnu coupable de crime contre l’humanité par omission en n’ayant pas empêché le déferlement de violence qu’a connu le pays après le référendum de 1999. Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement. Le même jour, Timbul Silaen, le chef indonésien de la police au Timor en 1999 est acquitté, ainsi que cinq de ses compatriotes, policiers et militaires. Des jugements qui laissent perplexe et qui ne coïncident pas avec les conclusions d’une autre instance: l’Unité des crimes graves.

Créée dès octobre 1999 en vertu de la résolution 1272 du Conseil de sécurité de l’ONU, cette unité siège au tribunal de Dili, au Timor Oriental. Ses champs d’investigation sont plus étendus que ceux du tribunal de Djakarta. Déjà, les procureurs de cette juridiction ont procédé à la mise en accusation de dizaines de personnes poursuivies pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, tortures ou viols. Cinq d’entre eux ont même pu être jugés. Toutefois un problème de taille se pose: cette unité juridique spéciale ne peut poursuivre et interpeller que des suspects se trouvant au Timor Oriental. Or, la plupart des miliciens et des militaires impliqués se trouvent aujourd’hui en Indonésie, et seule l’Indonésie a le pouvoir soit, de les juger en les assignant devant son tribunal ad hoc, soit de les extrader vers le Timor.

Pour le moment, ainsi que le démontre le verdict du tribunal ad hoc de Djakarta, les autorités indonésiennes semblent peu enclines à coopérer. La création d’un tribunal pénal international, réclamée à cor et à cris par les défenseurs de la cause timoraise pourrait certes accélérer le processus judiciaire, mais elle n’est toujours pas à l’ordre du jour. Et quand bien même elle le serait, ainsi que l’a montré le cas Milosevic en ex-Yougoslavie, l’extradition des suspects ne dépend que du bon vouloir des États. Un «bon vouloir» qu’aux dires d’un procureur de l’Unité des crimes graves, seule «une pression constante de la communauté internationale» peut influencer.

A l’énoncé du récent verdict, de nombreux États, notamment occidentaux, ont fait part, via leurs diplomates, de leur «déception». Des mots qui, pour l’heure, ne semblent pas presser outre mesure le pouvoir de Djakarta.



par Cyril  Bousquet

Article publié le 02/09/2002