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Niger

Le pouvoir s’en prend aux média et aux associations

Les mesures d’exception prises par le gouvernement nigérien pour réprimer la mutinerie de la fin juillet, au sein de l’armée, se traduisent aujourd’hui par certaines restrictions des libertés. La presse privée en parle, les associations défense des droits de l’homme s’en inquiètent et elles tombent toutes sous le coup de cette loi. Leurs représentants sont arrêtés et traduits en justice.
Pour mater la mutinerie dans certaines casernes dans le sud-est du Niger, dans la région de Diffa et à Niamey, la capitale, le président Mamadou Tandja a pris un décret plaçant les régions de tension en état d’alerte. Cette mesure justifiée par les événements militaires était accompagnée d’une autre disposition interdisant «la propagation, par tout moyen de communication, d’information ou d’allégations de nature à mettre en cause les opérations de défense nationale. Toute violation de ces mesures entraînera la suspension ou la fermeture provisoire de l’organe de presse et de l’imprimerie l’éditant, ainsi que la saisie du support employé». Cette dernière inquiète en premier lieu la presse et la société civile qui y voient un prétexte utilisé par le pouvoir pour mettre la presse au pas et pour «régler certains comptes». Les propos du président de la République en ont rajouté aux inquiétudes des uns et des autres. Il avait notamment déclaré que «l’Etat allait imposer des sanctions exemplaires contre les personnes ayant eu une responsabilité, de près ou de loin, dans la mutinerie».

La menace des autorités de prendre des sanctions contre les journalistes qui ne respecteraient pas ces nouvelles mesures sont prises très au sérieux par l’association «Reporters sans frontières» qui juge le maintien de ces mesures comme une régression et grave atteinte aux libertés de la presse et d’expression. Moussa Kaka, correspondant de Radio France Internationale et directeur d’une radio privée Saraounia avait été interpellé et interrogé pendant dix heures, au commandement de la gendarmerie à Niamey, avant d’être libéré dans la nuit du 23 au 24 août. Boulama Ligari, journaliste d’une radio privée Anfani avait été arrêté le 26 août et libéré quelques jours plusieurs plus tard. En vertu des mêmes décrets présidentiels, Elhadji Bagnou Bonkoukou, président de la Ligue nigérienne des doits de l’homme a été arrêté le 17 août. On lui reproche de contester le bilan en pertes de vies humaines dressé par les autorités. Selon le militant des droits de l’Homme le nombre de victimes annoncé par les autorités ne correspond pas à la réalité. Il a aussi demandé la constitution d’une commission d’enquête conduite par la Fédération internationale des droits de l’Homme. Ses propos ont irrité le pouvoir nigérien qui l’a fait comparaître devant un tribunal de Niamey, où une peine d’un an de prison a été requise contre lui, doublée d’une amende de 100 000 francs CFA (152 euros). Le verdict sera prononcé le 19 septembre prochain.

«La dérive arbitraire est à craindre»

Mais les associations de défense des droits de l’homme n’en démordent pas et continuent de dénoncer la dérive arbitraire du pouvoir, pourtant démocratiquement élu. Selon elles, les «sanctions exemplaires» exhibées par le pouvoir ne règlent aucunement les problèmes de fond que posent ces mutineries à répétition au Niger. La Coordination des organisations de la société civile et la Coordination des forces démocratiques (opposition) invitent plutôt le pouvoir à prendre des «mesures courageuses de réforme en vue de transformer les forces armées du Niger en une institution républicaine respectueuse de l’ordre démocratique». Ces organisations ont dressé une liste des facteurs d’instabilité qui font le lit de l’incivisme et de l’explosion sociale, au nombre desquels, la corruption, le favoritisme et le gaspillage. Elles craignent que le gouvernement ne profitent de l’écrasement de la dernière mutinerie pour «tirer le rideau sur la situation précaire dans laquelle vivent les soldats au Niger». Elles rappellent qu’un soldat de 2ème classe ne perçoit que 24 000 francs CFA, le prix d’un sac de mil.

Tout en condamnant la mutinerie comme moyen de revendication, ces organisations politiques et sociales n’expriment pas moins une certaine compréhension de la «situation» des militaires et réclament un traitement approprié et humain. Elles s’opposent à l’Alliance des forces démocratiques, coalition politique qui soutient le gouvernement, et qui exige de le fermeté et même l’instauration d’une cour martiale pour juger les mutins et leurs complices. Ils sont plus 250 personnes à être déjà sous les verrous.

Mais pourquoi les mesures d’exception persistent-elles encore, alors que la situation est entièrement sous contrôle du gouvernement ? Pourquoi une commission ad hoc de l’assemblée nationale n’est-elle pas constituée pour le suivi et l’application des décrets présidentiels ? Ces questions sont aujourd’hui posées par Soly Abdourahamane, ancien ministre de la Justice et ancien membre de la cour suprême. «Les plus grands abus commencent par de petites choses qu’on tolère, qui s’accumulent et qu’on ne dénonce pas, jusqu’à ce que cela fasse des torts aux institutions» conclut-il.



par Didier  Samson

Article publié le 05/09/2002 Dernière mise à jour le 04/09/2002 à 22:00 TU