Francophonie
Chronique d’une victoire africaine annoncée
Le sommet de Beyrouth, un an après la date prévue, doit désigner le successeur de Boutros Boutros-Ghali au poste de secrétaire général de la Francophonie. Abdou Diouf, l’ex-président sénégalais, retiré à Paris depuis mars 2000, doit, cinq ans après le sommet de Hanoï, incarner la victoire des Africains.
«Boutros Boutros-Ghali a fait un excellent travail». Le bilan du premier secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, ancien ministre égyptien et ex-secrétaire général des Nations unies est considéré par tous les interlocuteurs interrogés comme globalement positif. A son actif, il a dû donner à la fonction un standing international élevé, ouvrir un chantier de coopération avec les grandes organisations régionales; il a aussi favorisé pendant son mandat la montée en puissance de la francophonie politique… Motivé par ce bilan reconnu, Boutros-Ghali a fait campagne énergiquement pendant de longs mois pour son renouvellement, convaincu à juste titre, au fur et à mesure qu’approchait le Sommet qui devait se tenir à Beyrouth en octobre 2001, qu’il avait toutes les chances de l’emporter.
Retour en arrière au sommet de Hanoï en novembre 1997. C’est au cours de cette septième conférence des chefs d’Etat et de gouvernements ayant le français en partage que doit être désigné le premier secrétaire général de l’OIF. Depuis le sommet de Chaillot en 1991, la constellation francophone s’est engagée dans un processus de réforme qui mettra du temps à aboutir. Le dispositif doit être rationalisé et devenir plus performant sur la scène internationale. Le projet, qui va être finalement adopté au Viêtnam, prévoit la création d’une nouvelle organisation internationale de la Francophonie, avec, à sa tête, un «patron» politique, une locomotive: le secrétaire général. Tout le monde est d’accord sur l’idée que le premier titulaire du poste doit être une personnalité internationale de haut niveau capable de donner un nouvel élan à la Francophonie dans le contexte de l’après-guerre froide.
A écouter aussi:
C’est là un début de consensus encourageant… Sauf que la majorité des dirigeants africains, qui se prévalent de représenter les gros bataillons de la Francophonie, estiment que le poste doit revenir à l’un des leurs. En lice à l’époque, deux candidats: Boutros Boutros-Ghali, non renouvelé au secrétariat général des Nations unies en raison de l’hostilité des États-Unis, et le Congolais Henri Lopès. La bataille dans les coulisses du septième sommet fut rude. Très rude. Le président français Jacques Chirac, le ministre français de la Coopération et de la Francophonie, installé depuis quelques semaines, le Premier ministre canadien Jean Chrétien, se dépensèrent sans compter pour imposer leur choix. Boutros-Ghali fut désigné par consensus. A demi-mot, sans rien officialiser, on s’engagea auprès des Africains à envisager un demi-mandat (au sommet suivant à Moncton, personne ne remit cette hypothèse sur la table). On promit également qu’après Boutros, ce serait Lopès.
Certains soutiennent Boutros, d’autres Lopès
Mars 2000, à Dakar: le pouvoir bascule par des élections exemplaires. Le président Abdou Diouf, battu par Abdoulaye Wade, décide de s’installer à Paris. Le petit monde francophone n’a plus qu’une idée en tête: et si Diouf était candidat à la succession de Boutros-Ghali ? Diouf lui-même se tait, consulte, réfléchit. Les Africains sont encore divisés. Certains soutiennent Boutros, d’autres Lopès, d’autres encore hésitent… ou promettent leur soutien aux deux candidats. Fin 2000 et au cours des premiers mois de l’année 2001, de nouveaux noms vont circuler. Celui du Malien Alpha Konaré qui ne dira jamais ni oui, ni non, du Sénégalais Ibrahima Fall ou du Guinéen Lansana Kouyaté, ancien secrétaire exécutif de la CEDEAO, reconverti dans la médiation francophone au Togo. Alors que Boutros-Ghali et Henri Lopès redoublent d’efforts pour promouvoir leurs candidatures, Abdou Diouf devient peu à peu le «non-candidat» favori et restera, durant la période, d’une discrétion absolue.
La candidature de l’ancien président sénégalais était en réalité rendue difficile par un élément de blocage essentiel: le refus catégorique du président sénégalais Abdoulaye Wade, soucieux de voir son ex-rival revenir sur le devant de la scène. Wade se déclarait officiellement en faveur du candidat des Africains Henri Lopès et refusait de céder aux nombreuses et fortes sollicitations en faveur de Diouf.
D’ailleurs, inquiets de voir s’accroître les chances de Boutros-Ghali et de réduire les chances d’une victoire du candidat africain, les dirigeants du continent se mobilisent en faveur du Congolais, fortement appuyé par le président Sassou N’Guesso et par le chef de l’Etat gabonais Omar Bongo, très déterminé depuis le diktat de Hanoï à obtenir satisfaction et à écarter Boutros-Ghali. Réunis à huis-clos, en marge du 37e sommet de l’OUA à Lusaka, pas moins de 22 chefs d’Etats africains francophones s’engagent par écrit à soutenir Henri Lopès.
C’est seulement après les élections françaises et la défaite du gouvernement socialiste (qui penchait discrètement pour la candidature d’Abdou Diouf) que le président sénégalais Abdulaye Wade, sans vacarme, lève son veto. Dès lors, il ne restait plus, en attendant le sommet de Beyrouth finalement programmé pour la mi-octobre 2002, qu’à construire patiemment un consensus autour de la candidature d’Abdou Diouf.
«Le secrétaire général de la Francophonie est élu pour quatre ans par les chefs d’Etat et de gouvernement. Son mandat peut être renouvelé», indique sans autre précision l’article 6 de la charte de la Francophonie. C’est donc sans vote explicite, qui complique trop politiquement le choix, que sa désignation doit s’effectuer. Diouf symbolise déjà un nouveau souffle et l’optimisme est de rigueur: «Aujourd’hui, les vrais enjeux pour la Francophonie, c’est le développement de son volet politique, c’est la diversité culturelle dans le contexte de l’après 11 Septembre. Qui mieux que Diouf peut incarner et promouvoir les valeurs et l’action de la Francophonie dans ces domaines ? », explique-t-on dans les milieux concernés. «Et pour les Africains, c’est incontestablement une issue tout à fait heureuse…».
Ecouter aussi:
Boutros Boutros Ghali est l'Invité de la semaine RFI-l’Express du 12 octobre 2002. Il est interviewé par Pierre Ganz (RFI) et Alain Louyot (l’Express).
Retour en arrière au sommet de Hanoï en novembre 1997. C’est au cours de cette septième conférence des chefs d’Etat et de gouvernements ayant le français en partage que doit être désigné le premier secrétaire général de l’OIF. Depuis le sommet de Chaillot en 1991, la constellation francophone s’est engagée dans un processus de réforme qui mettra du temps à aboutir. Le dispositif doit être rationalisé et devenir plus performant sur la scène internationale. Le projet, qui va être finalement adopté au Viêtnam, prévoit la création d’une nouvelle organisation internationale de la Francophonie, avec, à sa tête, un «patron» politique, une locomotive: le secrétaire général. Tout le monde est d’accord sur l’idée que le premier titulaire du poste doit être une personnalité internationale de haut niveau capable de donner un nouvel élan à la Francophonie dans le contexte de l’après-guerre froide.
A écouter aussi:
C’est là un début de consensus encourageant… Sauf que la majorité des dirigeants africains, qui se prévalent de représenter les gros bataillons de la Francophonie, estiment que le poste doit revenir à l’un des leurs. En lice à l’époque, deux candidats: Boutros Boutros-Ghali, non renouvelé au secrétariat général des Nations unies en raison de l’hostilité des États-Unis, et le Congolais Henri Lopès. La bataille dans les coulisses du septième sommet fut rude. Très rude. Le président français Jacques Chirac, le ministre français de la Coopération et de la Francophonie, installé depuis quelques semaines, le Premier ministre canadien Jean Chrétien, se dépensèrent sans compter pour imposer leur choix. Boutros-Ghali fut désigné par consensus. A demi-mot, sans rien officialiser, on s’engagea auprès des Africains à envisager un demi-mandat (au sommet suivant à Moncton, personne ne remit cette hypothèse sur la table). On promit également qu’après Boutros, ce serait Lopès.
Certains soutiennent Boutros, d’autres Lopès
Mars 2000, à Dakar: le pouvoir bascule par des élections exemplaires. Le président Abdou Diouf, battu par Abdoulaye Wade, décide de s’installer à Paris. Le petit monde francophone n’a plus qu’une idée en tête: et si Diouf était candidat à la succession de Boutros-Ghali ? Diouf lui-même se tait, consulte, réfléchit. Les Africains sont encore divisés. Certains soutiennent Boutros, d’autres Lopès, d’autres encore hésitent… ou promettent leur soutien aux deux candidats. Fin 2000 et au cours des premiers mois de l’année 2001, de nouveaux noms vont circuler. Celui du Malien Alpha Konaré qui ne dira jamais ni oui, ni non, du Sénégalais Ibrahima Fall ou du Guinéen Lansana Kouyaté, ancien secrétaire exécutif de la CEDEAO, reconverti dans la médiation francophone au Togo. Alors que Boutros-Ghali et Henri Lopès redoublent d’efforts pour promouvoir leurs candidatures, Abdou Diouf devient peu à peu le «non-candidat» favori et restera, durant la période, d’une discrétion absolue.
La candidature de l’ancien président sénégalais était en réalité rendue difficile par un élément de blocage essentiel: le refus catégorique du président sénégalais Abdoulaye Wade, soucieux de voir son ex-rival revenir sur le devant de la scène. Wade se déclarait officiellement en faveur du candidat des Africains Henri Lopès et refusait de céder aux nombreuses et fortes sollicitations en faveur de Diouf.
D’ailleurs, inquiets de voir s’accroître les chances de Boutros-Ghali et de réduire les chances d’une victoire du candidat africain, les dirigeants du continent se mobilisent en faveur du Congolais, fortement appuyé par le président Sassou N’Guesso et par le chef de l’Etat gabonais Omar Bongo, très déterminé depuis le diktat de Hanoï à obtenir satisfaction et à écarter Boutros-Ghali. Réunis à huis-clos, en marge du 37e sommet de l’OUA à Lusaka, pas moins de 22 chefs d’Etats africains francophones s’engagent par écrit à soutenir Henri Lopès.
C’est seulement après les élections françaises et la défaite du gouvernement socialiste (qui penchait discrètement pour la candidature d’Abdou Diouf) que le président sénégalais Abdulaye Wade, sans vacarme, lève son veto. Dès lors, il ne restait plus, en attendant le sommet de Beyrouth finalement programmé pour la mi-octobre 2002, qu’à construire patiemment un consensus autour de la candidature d’Abdou Diouf.
«Le secrétaire général de la Francophonie est élu pour quatre ans par les chefs d’Etat et de gouvernement. Son mandat peut être renouvelé», indique sans autre précision l’article 6 de la charte de la Francophonie. C’est donc sans vote explicite, qui complique trop politiquement le choix, que sa désignation doit s’effectuer. Diouf symbolise déjà un nouveau souffle et l’optimisme est de rigueur: «Aujourd’hui, les vrais enjeux pour la Francophonie, c’est le développement de son volet politique, c’est la diversité culturelle dans le contexte de l’après 11 Septembre. Qui mieux que Diouf peut incarner et promouvoir les valeurs et l’action de la Francophonie dans ces domaines ? », explique-t-on dans les milieux concernés. «Et pour les Africains, c’est incontestablement une issue tout à fait heureuse…».
Ecouter aussi:
Boutros Boutros Ghali est l'Invité de la semaine RFI-l’Express du 12 octobre 2002. Il est interviewé par Pierre Ganz (RFI) et Alain Louyot (l’Express).
par Jean-Paul Hughes
Article publié le 12/10/2002