Côte d''Ivoire
La crise ivoirienne s’internationalise
Au lendemain de la chute de la ville de Daloa aux mains des rebelles, l'Angola de Eduardo Dos Santos a commencé à livrer de l'armement lourd à l'armée ivoirienne.
Mieux vaut tard que jamais. Quelques heures à peine après la chute aux mains des rebelles de la ville clé de Daloa - l’un des centres névralgiques de la production de cacao - dimanche matin à l’aéroport d’Abidjan deux blindés lourds angolais sont descendus d’un appareil Iliouchine. Peu de temps auparavant d’autres avions de transports pilotés par des Bulgares faisaient parvenir à l’armée ivoirienne des cargaisons de munitions, apparemment prélevées sur des stocks de l’ancienne Europe de l’Est. On a également remarqué récemment que le gouvernement israélien avait lui aussi assuré une certaine assistance militaire et sécuritaire à une armée - les Fanci, Forces armées nationales de Côte d’Ivoire - qui n’a visiblement pas les moyens de faire face aux rebelles. Et qui a perdu littéralement sa tête, le dimanche 13 octobre, lors du limogeage du ministre de la défense Moïse Lida Kouassi. Autant dire que la crise ivoirienne est désormais entrée dans une autre phase, sur le plan militaire mais aussi sur le plan continental. Elle s’est d’ores et déjà internationalisée, hier par l’implication indirecte du Burkina, pays d’accueil des rebelles, aujourd’hui par l’intervention militaire angolaise.
L’arrivée de l’aide militaire angolaise n’est guère surprenante. En 2001 la Côte d'Ivoire avait déjà demandé à l'Angola d'entamer une coopération militaire. Ce pays, désormais débarrassé de la guérilla de l’Unita de Jonas Savimbi, regorge à la fois de pétrole, de soldats, d’armes en tous genres. Depuis 1997, il est présent sur deux théâtres cruciaux en Afrique centrale : d’abord au Congo-Brazzaville, lorsqu’il décide d’intervenir massivement dans la guerre civile en cours, pour soutenir l’ancien président Denis Sassou Nguesso contre le président élu Pascal Lissouba, coupable d’accueillir sur son sol des représentants de l’Unita. Son intervention est déterminante, surtout dans la région de Pointe Noire, la «capitale du pétrole» congolais.
Bénédiction de Paris et de Washington
En 1998, c’est autour de la République démocratique du Congo (RDC) du tombeur de Mobutu Sese Seko, le président Laurent-Désiré Kabila, de faire appel à Luanda pour faire face à des «rebelles» de taille : les Rwandais et les Ougandais qui l’ont installé au pouvoir à Kinshasa. En RDC aussi l’armée angolaise à des vieux compte à régler, en raison du soutien assuré par Mobutu aux maquisards de l’Unita près de trente années durant.
Actuellement, seuls quelques centaines de soldats angolais sont toujours présents dans les deux Congos, respectivement près de la frontière congo-angolaise (et notamment autour de l’enclave angolaise de Cabinda) et autour de l’aéroport de Kinshasa. Ce qui signifie que l’armée de Eduardo Dos Santos sait aussi éviter les bourbiers et peut désormais se permettre de se déployer en force, si nécessaire, sur d’autres fronts. Et la Côte d’Ivoire lui offre des raisons spécifiques pour se ranger derrière le successeur inattendu de Félix Houphouët-Boigny.
L’ancien président ivoirien en effet avait lui aussi assuré un appui sans faille, à la fois diplomatique et financier, à l’Unita, et son pays était devenu une plaque tournante dans le trafic de diamants au profit de la rébellion de Jonas Savimbi. La disparition de celui-ci étant intervenue peu après le départ d’Abidjan du successeur immédiat d’Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, la voie était désormais ouverte à un autre type de coopération entre Luanda et Abidjan. Y compris sur le plan militaire, au moment où le président Gbagbo est obligé de s’exposer de plus en plus, en montant seul ou presque en première ligne, après avoir perdu deux de ses principaux soutiens : le ministre de l’Intérieur Boga Doudou (tué le premier jour de la nouvelle révolte) et celui de la Défense, Lida Kouassi, limogé au bout de trois semaines de soupçons indicibles, de rodomontades médiatiques et surtout de défaites retentissantes.
La «libération de Bouaké» annoncée par Lida Kouassi a été fatale à des dizaines d’Ivoiriens sortis dans les rues de la deuxième ville du pays pour célébrer une victoire très virtuelle. Les récentes campagnes de presse anti-françaises qui lui ont été attribuées ont conforté son image de «faucon». L’arrestation par ses gendarmes du porte-parole du RDR Ali Coulibaly, la semaine dernière à Abidjan, a été peut-être la dernière goutte d’eau qui a fait déborder la vase. Ce n’est sans doute pas par hasard si Ali Coulibaly a été libéré dès ce dimanche.
Le limogeage de Lida Kouassi coïncide aussi avec l’arrivée de renforts plus que nécessaires pour arrêter la débandade des différentes garnisons des Fanci. Ceci s’est vraisemblablement fait avec la bénédiction de Paris comme de Washington. Alors que la CEDEAO, et surtout le Sénégal poursuit une négociation entre des mutins qui changent constamment de revendications et un pouvoir central très affaibli. Et pourtant «ce coup est injustifiable», a dit de nouveau Gbagbo, dans une interview au Monde. «Je me sens trahi. Je ne crois pas qu’un seul chef d’Etat en Afrique ait œuvré autant que moi pour la réconciliation nationale», a-t-il ajouté. Pour le président ivoirien «la CEDEAO demande à l’agresseur, qui a été clairement désigné, de déposer les armes. Elle m’a demandé si, dans un deuxième temps, j’étais disposé à discuter avec les rebelles. J’ai répondu que oui». Et le président Gbagbo de préciser qu’il avait prévenu les autorités françaises «que le Burkina Faso accueillait sur son territoire des soldats en rupture avec l’armée ivoirienne et qu’ils préparait un mauvais coup ». «Les Français m’ont jugé trop alarmiste. Je ne l’étais pas», a-t-il dit.
La «guerre totale» contre les rebelles prônée (verbalement) par Lida Kouassi n’est apparemment plus à l’ordre du jour à Abidjan. Une véritable intervention angolaise pourrait quant à elle faire réfléchir les assaillants, qui semblent satisfaits de leurs conquêtes. Que peut faire désormais Gbagbo ? Face à des rebellions semblables Houphouët-Boigny a choisi (contre-cœur) en 1990 d’ouvrir les caisses de l’Etat aux revendications corporatistes des mutins. Et ainsi sauvé son régime. En 1999, son successeur Konan Bédié a refusé de «négocier» avec d’autres mutins, qui finalement l’ont renversé en faisant appel à Robert Gueï. Et celui-ci de devenir aussitôt prisonnier de différentes «bandes militaires», avant d’être emporté par une élection atypique et tronquée, mais bien réelle quia permis aux Ivoirien de choisir entre un militaire et un civil. Quant à Laurent Gbagbo, il a aussitôt pris le risque de mettre un place un «assainissement» des Fanci, devenu indispensable, étant donné les vexations qui leur étaient imputées. La suite n’est pas encore connue.
L’arrivée de l’aide militaire angolaise n’est guère surprenante. En 2001 la Côte d'Ivoire avait déjà demandé à l'Angola d'entamer une coopération militaire. Ce pays, désormais débarrassé de la guérilla de l’Unita de Jonas Savimbi, regorge à la fois de pétrole, de soldats, d’armes en tous genres. Depuis 1997, il est présent sur deux théâtres cruciaux en Afrique centrale : d’abord au Congo-Brazzaville, lorsqu’il décide d’intervenir massivement dans la guerre civile en cours, pour soutenir l’ancien président Denis Sassou Nguesso contre le président élu Pascal Lissouba, coupable d’accueillir sur son sol des représentants de l’Unita. Son intervention est déterminante, surtout dans la région de Pointe Noire, la «capitale du pétrole» congolais.
Bénédiction de Paris et de Washington
En 1998, c’est autour de la République démocratique du Congo (RDC) du tombeur de Mobutu Sese Seko, le président Laurent-Désiré Kabila, de faire appel à Luanda pour faire face à des «rebelles» de taille : les Rwandais et les Ougandais qui l’ont installé au pouvoir à Kinshasa. En RDC aussi l’armée angolaise à des vieux compte à régler, en raison du soutien assuré par Mobutu aux maquisards de l’Unita près de trente années durant.
Actuellement, seuls quelques centaines de soldats angolais sont toujours présents dans les deux Congos, respectivement près de la frontière congo-angolaise (et notamment autour de l’enclave angolaise de Cabinda) et autour de l’aéroport de Kinshasa. Ce qui signifie que l’armée de Eduardo Dos Santos sait aussi éviter les bourbiers et peut désormais se permettre de se déployer en force, si nécessaire, sur d’autres fronts. Et la Côte d’Ivoire lui offre des raisons spécifiques pour se ranger derrière le successeur inattendu de Félix Houphouët-Boigny.
L’ancien président ivoirien en effet avait lui aussi assuré un appui sans faille, à la fois diplomatique et financier, à l’Unita, et son pays était devenu une plaque tournante dans le trafic de diamants au profit de la rébellion de Jonas Savimbi. La disparition de celui-ci étant intervenue peu après le départ d’Abidjan du successeur immédiat d’Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, la voie était désormais ouverte à un autre type de coopération entre Luanda et Abidjan. Y compris sur le plan militaire, au moment où le président Gbagbo est obligé de s’exposer de plus en plus, en montant seul ou presque en première ligne, après avoir perdu deux de ses principaux soutiens : le ministre de l’Intérieur Boga Doudou (tué le premier jour de la nouvelle révolte) et celui de la Défense, Lida Kouassi, limogé au bout de trois semaines de soupçons indicibles, de rodomontades médiatiques et surtout de défaites retentissantes.
La «libération de Bouaké» annoncée par Lida Kouassi a été fatale à des dizaines d’Ivoiriens sortis dans les rues de la deuxième ville du pays pour célébrer une victoire très virtuelle. Les récentes campagnes de presse anti-françaises qui lui ont été attribuées ont conforté son image de «faucon». L’arrestation par ses gendarmes du porte-parole du RDR Ali Coulibaly, la semaine dernière à Abidjan, a été peut-être la dernière goutte d’eau qui a fait déborder la vase. Ce n’est sans doute pas par hasard si Ali Coulibaly a été libéré dès ce dimanche.
Le limogeage de Lida Kouassi coïncide aussi avec l’arrivée de renforts plus que nécessaires pour arrêter la débandade des différentes garnisons des Fanci. Ceci s’est vraisemblablement fait avec la bénédiction de Paris comme de Washington. Alors que la CEDEAO, et surtout le Sénégal poursuit une négociation entre des mutins qui changent constamment de revendications et un pouvoir central très affaibli. Et pourtant «ce coup est injustifiable», a dit de nouveau Gbagbo, dans une interview au Monde. «Je me sens trahi. Je ne crois pas qu’un seul chef d’Etat en Afrique ait œuvré autant que moi pour la réconciliation nationale», a-t-il ajouté. Pour le président ivoirien «la CEDEAO demande à l’agresseur, qui a été clairement désigné, de déposer les armes. Elle m’a demandé si, dans un deuxième temps, j’étais disposé à discuter avec les rebelles. J’ai répondu que oui». Et le président Gbagbo de préciser qu’il avait prévenu les autorités françaises «que le Burkina Faso accueillait sur son territoire des soldats en rupture avec l’armée ivoirienne et qu’ils préparait un mauvais coup ». «Les Français m’ont jugé trop alarmiste. Je ne l’étais pas», a-t-il dit.
La «guerre totale» contre les rebelles prônée (verbalement) par Lida Kouassi n’est apparemment plus à l’ordre du jour à Abidjan. Une véritable intervention angolaise pourrait quant à elle faire réfléchir les assaillants, qui semblent satisfaits de leurs conquêtes. Que peut faire désormais Gbagbo ? Face à des rebellions semblables Houphouët-Boigny a choisi (contre-cœur) en 1990 d’ouvrir les caisses de l’Etat aux revendications corporatistes des mutins. Et ainsi sauvé son régime. En 1999, son successeur Konan Bédié a refusé de «négocier» avec d’autres mutins, qui finalement l’ont renversé en faisant appel à Robert Gueï. Et celui-ci de devenir aussitôt prisonnier de différentes «bandes militaires», avant d’être emporté par une élection atypique et tronquée, mais bien réelle quia permis aux Ivoirien de choisir entre un militaire et un civil. Quant à Laurent Gbagbo, il a aussitôt pris le risque de mettre un place un «assainissement» des Fanci, devenu indispensable, étant donné les vexations qui leur étaient imputées. La suite n’est pas encore connue.
par Elio Comarin
Article publié le 14/10/2002